

«En mai, l’Église catholique a laissé admiratif le protestant que je suis»
Pour le protestant que je suis, ce dernier mois a profilé d’une manière singulièrement riche et spectaculaire l’Église catholique romaine. Et plus particulièrement son attachement aux rituels séculaires (et pour certains même millénaires) qui fondent sa tradition visible. Je parle bien sûr de toutes les informations et toutes les images qui nous sont parvenues sur le processus de la succession apostolique, ouvert après la mort du pape François.
À une époque où les sociétés, pour ne pas dire les foules, manifestent un besoin et un désir intense de faire corps avec des dispositifs rituels puissants qui les transcendent et les unissent, je reconnais que les traditions qui structurent la désignation du successeur de Pierre ainsi que la grandiose et subtile chorégraphie qui la ponctue, ont, une fois de plus, laissé admiratif et confondu le membre que je suis d’une communauté ecclésiale qui a rompu théologiquement avec un tel processus et s’en est éloigné.
Mais qu’est ce qui, au fond des entrailles, est mû, lorsqu’on passe des heures à guetter, sur la place Saint Pierre ou devant son poste de télévision, l’apparition d’une fumée noire ou blanche échappée d’une fluette cheminée romaine? Qu’est-ce qui est mû lorsque, à l’apparition de la blanche, l’émotion redouble et l’impatience augmente? Qu’est-ce qui est mû lorsque est annoncé au monde et dans un latin surgi du fond de deux millénaires, le nom du successeur de Pierre?
Qu’est ce qui est mû enfin lorsque, quelques jours plus tard, on voit le cardinal philippin Luis Antonio Tagle remettre solennellement au pape Léon XIV l’anneau du pêcheur, signe tangible de l’unité du nouveau pontife avec Pierre, le premier des apôtres? Qu’est-ce qui meut mes amis catholiques avertis qui dissèquent, à la recherche de signes, son blason où figurent, entre autres symboles, les fameuses clés de Saint Pierre? Tandis que de nombreux autres spéculent sur le choix du nom qu’a décidé de revêtir le cardinal Prevost, scrutant eux aussi à la recherche de signes, ce qui, dans le pontificat de Léon XIII, a pu incliner Léon XIV à s’inscrire précisément dans cette lignée patronymique.
«Et voici que je tombe sur quatre textes de… Léon XIII»
Oui, à une époque où l’agir humain se disperse si souvent dans l’instantanéité évanescente de l’immédiateté d’un présent sans histoire, ces dispositifs rituels si profondément ancrés dans une tradition maintenue, respectée et exercée, fascinent, tant ils semblent répondre à une réelle aspiration de bien des fidèles.
Quelques jours plus tard, tout affairé que j’étais à classer, dans les antres souterraines du siège mondial des YMCA, où j’œuvre une fois par semaine, les trésors de ses archives, le hasard me fait me pencher sur les vieux feuillets jaunis d’une bibliographie initiée en 1918, et dont je consultais l’état de l’année 1928. Une bibliographie consacrée à ce qu’on appelait à l’époque simplement l’unité chrétienne, et qui allait devenir petit à petit l’œcuménisme.
Et voici que je tombe sur la section «ouvrages latins», et parmi cette section sur quatre textes de… Léon XIII. Mes yeux pétillent car il n’y est pas question de l’encyclique la plus connue de ce pape, Rerum novarum, et que tous les observateurs et autres vaticanistes n’ont pas manqué d’évoquer en boucle dans leurs commentaires, supputant chez Léon XIV une volonté de rester, comme François, attentif aux lancinantes préoccupations sociales du temps présent.
Or ces quatre textes – trois lettres apostoliques, Praeclara gratulationis publicae, Orientalum dignitas, Amatissimae voluntatis nostrae, et une encyclique, Satis cognitum – martèlent l’importance qu’accorda Léon XIII à l’unité de l’Église catholique et romaine; à la conviction que seul Pierre et ses successeurs paissent les brebis et les agneaux du Christ; à la conviction que seul Pierre et ses successeurs possèdent les clés de l’Église qui scelleront la porte aux puissances maléfiques.
Un Léon XIII qui convoque même deux autres Léon dans Satis cognitum: Léon Ier le Grand au sujet duquel le Concile de Chalcédoine, en 451, rappelle que «Pierre a parlé … par la bouche de Léon». Enfin Léon X qui décréta, au cinquième concile de Latran, dans une bulle de 1516, que le pontife romain «a autorité sur tous les conciles».
«L’expression de la tradition est, dans l’Église catholique, chose vivante et créative»
En choisissant d’être appelé désormais Léon XIV et en passant à son doigt l’anneau du pêcheur, signe visible de son pouvoir apostolique, le cardinal Prevost avait-il aussi en tête tous les termes de cette tranchante armature doctrinale que déploie Léon XIII et qui cloute avec force, clarté et sans ambiguïté, la nécessité de l’unité de l’Église catholique et romaine autour de son pasteur. Et qui réaffirme et proclame qu’en dehors de cette Église point de salut?
Chi lo sa?
Ce qu’en revanche nous savons, c’est que l’Église catholique et romaine ne cessa jamais, au sein de ses traditions, d’approfondir et de faire évoluer son corps doctrinal.
Ainsi entre Léon XIII et Léon XIV, un concile est passé par là, qui, s’il n’a pas changé la pierre angulaire de la doctrine, en a aménagé les contours et adouci le tranchant. Autre manière de dire que l’expression de la tradition en son sein est, dans l’Église catholique – quoi que puissent en penser ceux qui en doutent –, chose vivante et créative. Son génie, pour le protestant que je suis, résidant dans cette tension que renouvelle chaque souverain pontife, entre tradition et création.
Ce mois qui vient de s’écouler nous a largement donné à voir la tradition. Laissons-nous surprendre maintenant par la création.
Michel Danthe
28 mai 2025
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