Didier Berret

Evangile de dimanche: des épines et des figues

Quelques jours après la célébration des funérailles d’un homme dont la réputation ne faisait pas l’unanimité au village, un de ses voisins croisé par hasard dans la rue, m’apostrophait avec un ton gentiment réprobateur: «… De toute manière, il aurait pu faire n’importe quoi, vous finissez toujours par en dire du bien!»

Peut-être aurait-il voulu que l’on garde les bons mots pour les braves gens et que l’on mette en relief les défauts des moins recommandables? La voie publique s’en charge d’elle-même. Pourquoi faudrait-il centrer le focus sur les épines alors qu’elles cachent des bourgeons de roses ou de mûres ou de figues de barbarie? Autant révéler la promesse du fruit occulté par les ronces puisqu’à l’heure dernière, le fruit mûrit et l’épine tombe.

Mais dans sa grogne pataude, mon interlocuteur mettait le doigt sur une véritable carence des relations humaines: «Vous finissez toujours…» Il avait raison! On ne devrait pas finir, mais bien commencer! Dire du bien depuis le début! Pas en inventer, pas naïvement, pas en exagérant, pas en dire pour en dire. Il faut que les mots soient vrais.

Mais dire du bien en regardant plus loin, en cherchant ailleurs, derrière les poutres et les pailles qui masquent le regard. En contemplant les yeux. Dans la langue de Jésus, on dit qu’ils sont la source. On ne voit jamais jusqu’au fond des yeux. Les iridologues y scrutent des symptômes de dysfonctionnement du corps, mais ils restent en surface.

«[Il faut] dire du bien en regardant plus loin, en cherchant ailleurs, derrière les poutres et les pailles qui masquent le regard. En contemplant les yeux.»

Pour voir au fond des yeux, il faut un autre regard. Un regard aimant. Un regard qui descend jusqu’au fond de l’histoire, écoute les berceuses et les engueulades, découvre les absences et les rêves, escalade les gènes un à un, entre dans le secret des illusions perdues. Pas tant un regard médical de psy qu’un regard qui accueille sans juger, respecte, met debout, rend vivant. D’ailleurs étymologiquement, le verbe respecter signifie «regarder en arrière» ou mieux «regarder encore» et encore et encore…  

Et si, hélas, par manque de perspicacité, de patience ou de tendresse, on ne voit toujours rien, si on a cherché un peu et qu’on n’a pas trouvé, alors mieux vaut accepter l’énigme de l’autre et se taire. Parce qu’un aveugle ne saurait en guider un autre, et que consentir à sa propre impuissance ouvre la meilleure voie possible au «cheminer ensemble». En grec, à la synodalité.  

Pour cela, l’évangile ne propose aucune technique particulière. Pas de méthode Coué à appliquer minutieusement, ni manuel du bon regard ou du mot de circonstance. Luc rapporte ces paroles de Jésus à la suite de ses discours incandescents sur les béatitudes et l’amour des ennemis. La transformation en profondeur à laquelle il nous convie veut donner une chance à nos terreaux peu fertiles de porter des figues en accueillant sa vie.

Didier Berret | Vendredi 25 février 2022


Lc 6, 39-45

En ce temps-là,
    Jésus disait à ses disciples en parabole :
« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ?
Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ?
    Le disciple n’est pas au-dessus du maître ;
mais une fois bien formé,
chacun sera comme son maître.

    Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère,
alors que la poutre qui est dans ton œil à toi,
tu ne la remarques pas ?
    Comment peux-tu dire à ton frère :
‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’,
alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ?
Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ;
alors tu verras clair
pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

    Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ;
jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit.
    Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit :
on ne cueille pas des figues sur des épines ;
on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.
    L’homme bon tire le bien
du trésor de son cœur qui est bon ;
et l’homme mauvais tire le mal
de son cœur qui est mauvais :
car ce que dit la bouche,
c’est ce qui déborde du cœur. »

«Parabole de la poutre et de la paille». Domenico Fetti, vers 1619. | Wikimedia.
25 février 2022 | 17:00
par Didier Berret
Temps de lecture: env. 3 min.
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