Sœur Anne-Sophie

Évangile de dimanche: servir en dansant

Chaque fois que je relis le récit de la visite de Jésus chez Marthe et Marie me revient en mémoire une chanson de Daniel Facérias qui disait : « Elles étaient deux sœurs ne vivant que pour lui. L’une s’appelait Marthe, l’autre s’appelait Marie. Quand l’une puisait l’eau, l’autre chantait au puits. Marthe portait le seau lorsque dansait Marie.»

À l’époque (il y a 30 ans), je me voyais bien dans le rôle de Marie, à chanter et à danser plutôt qu’à puiser et porter l’eau ! D’ailleurs je suis devenue moniale, et c’est bien à la vie contemplative que toute la tradition a associé cette meilleure part choisie par Marie qui la faisait – d’après le compositeur – chanter et danser.

«Jésus met en contraste les deux attitudes des deux sœurs en utilisant précisément deux mots…»

Selon l’évangile, elle se tient plutôt assise mais c’est la même gratuité qui préside à ces attitudes de Marie. Tout cela est bien joli mais serons-nous toujours tributaires de cette lecture stéréotypée de notre récit ? S’agit-il vraiment dans cet enseignement circonstancié de Jésus de promouvoir la contemplation au détriment de l’action, le « être-là» au détriment de l’agir ?

La pointe du récit semble être ailleurs. Certes, Jésus met en contraste les deux attitudes des deux sœurs mais il le fait en utilisant précisément deux mots ou expressions : « bien des choses » et « une seule ». Toutes les choses que Marthe a à faire la mettent en souci et dans un état d’agitation. La seule chose que Marie a choisie de faire la tient au repos. Est-ce un repos de fainéante ?

«Ce repos ne doit pas nous distraire trop longtemps des obligations de l’hospitalité…»

Plutôt celui que l’on trouve quand le cœur s’unifie, quand il rencontre l’objet de ses désirs les plus profonds. Il y a alors un moment où toute activité est suspendue parce que l’on goûte ce repos de l’unification de soi en un Autre. Mais Marthe a peut-être raison de bousculer sa sœur. Ce repos dans l’unique nécessaire ne doit pas nous distraire trop longtemps des obligations de l’hospitalité c’est-à-dire de la charité. Il doit plutôt en être le socle, la source, l’élan.

Le mystique Jean Tauler n’hésite pas à considérer que Marthe est en cela en avance sur sa sœur et attendrait d’elle qu’elle avance plus vite sur le chemin de la vie spirituelle en passant de l’intimité amoureuse à la diffusion de l’amour par son exercice dans le service des autres. L’interprétation n’est pas sans intérêt mais elle fait fi de l’agitation de Marthe et de sa dispersion dans la multiplicité des choses à faire.

«…Se joindre à cette œuvre de salut en toutes nos activités»

Par contre, elle tient compte de la Marthe de Jean 11, active mais unifiée dans sa requête auprès de Jésus pour son frère Lazare, au point d’être peut-être la première disciple accomplie de Jésus, confessant non seulement qu’il est le Messie mais qu’il est aussi la Résurrection et la Vie. Marie ne sera pas en reste par le geste de l’onction de Jésus chez elle, à Béthanie, anticipant la mort de Jésus.

Quel chemin pour l’une et l’autre entre ces deux repas à la maison avec l’Ami venu de l’intimité du Père pour œuvrer au salut de tous ! Se joindre à cette œuvre en toutes nos activités et même dans notre repos, voilà la tâche unique qui nous fera chanter et danser en puisant de l’eau et en portant le seau.

Sr Anne-Sophie Porret OP | Vendredi 18 juillet 2025


Lc 10, 38-42

En ce temps-là,
Jésus entra dans un village.
Une femme nommée Marthe le reçut.
Elle avait une sœur appelée Marie
qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
Quant à Marthe, elle était accaparée
par les multiples occupations du service.
Elle intervint et dit :
« Seigneur, cela ne te fait rien
que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ?
Dis-lui donc de m’aider. »
Le Seigneur lui répondit :
« Marthe, Marthe, tu te donnes du souci
et tu t’agites pour bien des choses.
Une seule est nécessaire.
Marie a choisi la meilleure part,
elle ne lui sera pas enlevée. »

«Christ dans la maison de Marthe et Marie», de Diego Velasquez. Huile sur toile, 1618. National Gallery de Londres. | Domaine public.
18 juillet 2025 | 17:00
par Sœur Anne-Sophie
Temps de lecture : env. 3  min.
Partagez!