Jacques Berset

Il y a 80 ans l'Anschluss: «Les disciples d'Hitler et les bergers de Dieu»

Le mardi 10 avril la télévision autrichienne ORF 2 diffuse en fin de soirée le documentaire de la journaliste et théologienne Eva Maria Kaiser «Les disciples d’Hitler et les bergers de Dieu» à l’occasion des 80 ans de l’Anschluss, l’annexion en 1938 de l’Autriche par l’Allemagne nazie.

Longtemps, la version officielle a été celle d’une invasion nazie, et pas celle d’un accueil enthousiaste des troupes allemandes de la part d’une large partie de la population autrichienne. L’Eglise autrichienne ne sort pas grandie de cette période de l’histoire.

Eva Maria Kaiser rappelle qu’avec leur appel à voter «oui» au référendum nazi du 10 avril 1938 – il y a exactement 80 ans – les évêques avaient «béni» l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne hitlérienne, alors même que les premiers prêtres et laïcs étaient déjà internés dans des camps de concentration.

L’Eglise catholique en Autriche a énormément souffert de la terreur du régime nazi. Malgré tout, dans l’immédiat après-guerre, il s’est trouvé des évêques pour prendre la défense d’anciens nationaux-socialistes et pour les protéger, souligne la théologienne et journaliste Eva Maria Kaiser, citée par la Conférence des évêques autrichiens. On peut également lire sur le site des évêques (www.katholisch.at) la déclaration du Bureau du Conseil œcuménique des Eglises en Autriche: «Certaines Eglises n’ont pas seulement applaudi l’Anschluss, mais ont aussi pleinement soutenu la politique nazie, ce qui nous apparaît aujourd’hui honteusement comme une trahison de l’Evangile».

Linz, Filleule du Führer

Je me suis rendu, fin mars, à Linz, capitale du Land de Haute-Autriche. Je savais qu’Adolf Hitler était autrichien, né à Braunau am Inn, mais j’ignorais que Linz, où il avait fréquenté l’école durant quelques années, portait à l’époque nazie le titre honorifique de Filleule du Führer. Hitler avait d’ailleurs rêvé d’en faire la vitrine culturelle de son Reich de mille ans et avait même l’intention de s’y retirer après la guerre avec sa maîtresse Eva Braun.

A l’Office du tourisme de la ville, je tombe sur des ouvrages sur le national-socialisme à Linz, avec un chapitre sur l’Eglise et le régime nazi. Je découvre avec stupéfaction l’attitude de l’archevêque de Vienne d’alors, Theodor Innitzer. Dans sa lettre au Gauleiter Josef Bürckel accompagnant la «déclaration solennelle» des évêques autrichiens appelant les catholiques  à voter «oui» lors du référendum sur l’Anschluss, il écrit de sa propre main «Heil Hitler!»

Le Heil Hitler du cardinal

Etant donné les plans d’Hitler de réduire à néant l’Eglise catholique, notamment son influence sur la société, le cardinal autrichien allait rapidement regretter son geste, avec lequel il espérait amadouer le Führer et ses sbires. Il fut d’ailleurs cité au Vatican, où son attitude complaisante à l’égard du nouveau régime fut fustigée par le pape Pie XI. Il en portera les stigmates jusqu’à son décès en 1955.

Le prélat controversé avait auparavant soutenu le régime autoritaire, qualifié d’austro fascisme par ses détracteurs, des chanceliers Engelbert Dollfuss et Kurt von Schuschnigg. En outre il était courant au sein de l’épiscopat autrichien de l’époque de condamner l’antisémitisme racial des nazis, comme le faisait Mgr Johannes Maria Gföllner, évêque de Linz, mais de dénoncer dans le même souffle «l’influence juive pernicieuse» sur la culture et l’économie du pays.

L’antisémitisme «chrétien»

L’antisémitisme «chrétien» était largement partagé par de nombreux fidèles, relève le prélat Rudolf Zinnhobler, professeur émérite d’histoire de l’Eglise et ancien directeur des archives diocésaines de Linz. Ce dernier révèle également que Mgr Josef Calasanz Fliesser, successeur de Mgr Gföllner sur le siège de Linz, justifiera encore, après la chute du Troisième Reich, le soutien apporté alors par l’Eglise autrichienne à l’invasion de l’Union soviétique par les troupes hitlériennes. Ne qualifiait-il pas en 1946 de «plus grands héros ces jeunes catholiques exemplaires – séminaristes, prêtres, chefs de familles – qui ont combattu et sont morts dans l’accomplissement héroïque de leur devoir et dans la ferme conviction qu’ils accomplissaient la volonté de Dieu à leur poste».

Le prélat Rudolf Zinnhobler concède que l’Eglise autrichienne, en tant qu’institution, a été rachetée par le nombre considérable de prêtres et de laïcs qui se sont opposés au régime en payant un prix très élevé, «souvent sans le moindre soutien de leurs supérieurs ecclésiastiques». Et de citer en particulier Franz Jägerstätter, l’objecteur de conscience décapité par les nazis pour refus de porter les armes et vénéré comme bienheureux et martyr par l’Eglise catholique.

Rappelons que Mgr Andreas Laun, jusqu’à récemment évêque auxiliaire de Salzbourg, s’est fait rappeler à l’ordre par le cardinal Christoph Schönborn pour avoir fait de la propagande électorale pour le candidat d’extrême-droite Norbert Hofer. Ce dernier affrontait en octobre dernier le candidat écologiste Alexander Van der Bellen pour le poste de président de la République autrichienne. Si l’Eglise catholique en Autriche vogue depuis quelques années dans des eaux plus calmes, les démons du passé n’ont pas définitivement disparu.

Jacques Berset | 09.04.2018

Dans une église de Linz, le souvenir de Franz Jägerstätter, l'objecteur de conscience décapité par les nazis | © Jacques Berset
9 avril 2018 | 16:15
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 3 min.
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