Paul Dembinski

La durabilité fait son entrée en bourse

A la fin juin, la durabilité est entrée dans le monde des normes comptables IFRS (International Financial Reporting Standards) grâce à la publication de deux premières normes en la matière. La première pose le cadre général et précise les conditions d’application (IFRS S1) alors que la seconde est spécifique aux risques climatiques (IFRS S2). De quoi s’agit-il au juste?

Il y a deux ans, le IFRS a été sollicité par le G20, la fédération mondiale des autorités des bourses de valeurs (IOSCO) et le Conseil de Stabilité Financière, pour proposer une série de normes financières et comptables applicables au niveau global à toutes les entreprises cotées. L’intention était de trouver un moyen pour mettre fin (progressivement) à la cacophonie en la matière et aboutir à terme à une information comparable dans le temps et dans l’espace.

A cet effet, la Fondation IFRS a créé en 2021 un Conseil de durabilité plus connu sous son sigle anglais ISSB (International Sustainability Standards Board), présidé par Emmanuel Faber, ancien PDG de Danone. Il est à noter que, bien que l’initiative vienne des pouvoirs publics, le mandat a été confié à une entité non-gouvernementale bien reconnue par le monde de la finance et des marchés de capitaux, souvent en mains privées. La prochaine étape sera l’adoption des normes publiées par les diverses autorités boursières à travers le monde lesquelles obligeront les entreprises cotées sur leurs marchés à les appliquer, après un temps de transition et d’adaptation, dans les rapports financiers.

Cette démarche s’inscrit dans la logique selon laquelle les opérateurs financiers et autres gestionnaires de fortune, tout comme les épargnants actifs sur les bourses, ont besoin d’une information solide et uniformisée pour prendre les décisions pertinentes en matière d’achat ou de vente de titres. Ce qui est nouveau dans l’initiative actuelle est la reconnaissance implicite que la dimension «durabilité» fait désormais partie de l’information pertinente, au même titre que l’information financière classique, dont l’investisseur lambda a besoin pour faire son marché. Il s’agit donc d’offrir au détenteur de fonds les moyens pour moduler ses choix y compris en fonction de ses vues sur la durabilité. Les nouvelles normes ne proposent pas un nouveau paradigme, ni une nouvelle rationalité financière, mais offrent les moyens informationnels à qui voudrait s’y essayer.

«Dans Laudato si’, le pape François a affirmé avec force que la crise écologique et la crise sociale du monde contemporain n’étaient qu’une seule et même crise»

Le travail de ISSB va se poursuivre, à ce stade il demande aux entreprises d’expliciter dans leurs états financiers comment elles abordent les risques et opportunités en matière de durabilité. Plus précisément, elles doivent indiquer comment ces risques et opportunités sont identifiées, mesurées et gérés par l’entité en question et sur l’ensemble de sa chaine d’approvisionnement. Toutefois, aussi prometteur que puisse paraître l’énoncé, il ne faut pas s’attendre à des révélations fracassantes dans la mesure ou la norme stipule expressément que l’entreprise doit communiquer sur la base des informations dont elle dispose ce qui la dispense de l’obligation d’aller combler les lacunes éventuelles. Deuxième bémol sérieux, cette information ne devra être mise à jour qu’en cas d’événements majeurs, ce qui dispense l’entreprise d’un suivi systématique des enjeux de la durabilité.

A ce stade, difficile de porter un jugement à l’emporte-pièce: s’agit-il d’une opération alibi qui permet aux marchés boursiers de garder l’initiative et déjouer ainsi les velléités d’intervention publique, potentiellement plus exigeante? Ou bien, avons-nous là un premier pas qui conduit à faire endosser à l’épargnant ou sa caisse de pension des responsabilités qui ne sont que partiellement les siennes? En effet, il reste à démontrer – et cela est un secret de Polichinelle – primo, que la dimension durabilité peut véritablement faire bouger les cours boursiers au point, secundo, d’amener les entreprises pénalisées à modifier leurs pratiques.

Dans Laudato si’, le pape François a affirmé avec force que la crise écologique et la crise sociale du monde contemporain n’étaient qu’une seule et même crise. Le pape y appelle à mettre le turbo. Le travail de que vient de publier ISSB est un jalon qui en appelle d’autres avant qu’on puisse parler de percée. En conclusion, en dépit des efforts de l’ISSB, le turbo se fait attendre.

Paul Dembinski

5 juillet 2023

La durabilité est une donnée de plus en plus prise en compte dans l'économie mondiale | © Tyler Casey/Unsplash
5 juillet 2023 | 08:59
par Paul Dembinski
Temps de lecture: env. 3 min.
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