Jean-Jacques Friboulet

La fragilité des banques

L’Autorité Bancaire Européenne (ABE) qui supervise la banque Centrale Européenne, vient de conduire des tests de solvabilité sur 51 grands établissements européens. Les résultats de ces tests montrent que beaucoup de banques ne sont pas encore sorties de la crise de 2008. Le principe de ces tests est simple et réaliste. On imagine une récession économique sur 3 ans et une forte baisse du prix de l’immobilier et on regarde comment les bilans des banques vont réagir.

A l’issue de ces tests une banque italienne s’est révélée insolvable. Mais sept autres établissements sont apparus en situation de faiblesse en Italie, en Autriche, en Allemagne, en Irlande et en Espagne. Cela fait quand même beaucoup si l’on ajoute à ce tableau les banques françaises et anglaises que les experts estiment en manque de fonds propres. A la suite de ces informations, la valeur des actions bancaires a fortement baissé. Les investisseurs jugent à juste titre que certaines banques de ce panel devront augmenter leur capital à très court terme et donc faire baisser la valeur des actions. Les banques suisses ont subi le même traitement boursier car leurs derniers résultats n’ont pas rassuré.

Il y a un phénomène plus grave: la banque de l’ombre.

Comment en est-on arrivé là? A ces difficultés des banques, il y a quatre causes majeures. La première est la baisse du prix des matières premières en début d’année qui a fait fortement chuté les bourses. La seconde est le Brexit qui provoque une incertitude sur l’avenir des marchés financiers, la City en particulier qui est le centre névralgique du système bancaire européen. La troisième cause est plus profonde. Il s’agit de la politique des taux d’intérêt négatifs mise en place par la Banque Centrale Européenne et à sa suite la BNS. Cette politique réduit le niveau des taux d’intérêt à presque 0 et empêche donc les banques d’engranger des revenus. Cette diminution des profits les empêche de satisfaire à la fois les exigences de leurs actionnaires et des autorités monétaires en matière de fonds propres. Cela est confirmé dans les résultats présentés par l’ABE.

Mais derrière tout cela il y a un phénomène plus grave pour les banques. Il s’agit du développement de ces que les spécialistes appellent la banque de l’ombre. Mes lectures d’été1 m’ont fait comprendre à la fois l’étendue du phénomène et sa gravité. Les acteurs de cette finance qui n’est pas soumise aux règles des banques, sont des fonds d’investissement, des courtiers-négociants, des hedge funds, des sociétés financières et des fonds immobiliers. Selon le Conseil de stabilité financière qui a son siège à Bâle et qui regroupe les grands pays (le G 20), le volume de fonds gérés par la banque de l’ombre était en 2015 pour le G 20 (y compris la zone euro) de 80’000 milliards de dollars soit 128% du PIB de cet ensemble. Cette banque de l’ombre est entièrement gérée par le marché et ne fait l’objet d’aucun contrôle bancaire, encore moins public. Elle emprunte aux banques à des taux proches de 0 et fait des prêts risqués, en particulier aux entreprises, en réalisant une confortable plus-value.

La leçon de tout cela est triple. En multipliant les produits financiers au détriment de leur activité traditionnelle de crédit dans les années 1990, les grandes banques ont favorisé la naissance d’une banque de l’ombre qui leur prend aujourd’hui des parts substantielles de marché et qui est une des causes de leurs difficultés. Cette banque de l’ombre se nourrit des taux d’intérêt nuls et de la dette d’où l’urgence qu’il y a à abandonner la politique monétaire actuelle (urgence dont nous avons parlé dans une précédente chronique). Enfin la politique qui a consisté à réformer les banques après la crise de 2008 en les obligeant à augmenter fortement leurs fonds propres est un échec. Elle a favorisé le développement d’une banque de l’ombre qui n’a aucune obligation en la matière sous le prétexte qu’elle ne crée pas de monnaie, et n’a pas réduit la fragilité du système bancaire dans son ensemble.

Jean-Jacques Friboulet | 04.08.2016

1. D.Morisod, M.Zaki, (2016), La finance de l’ombre a pris le contrôle, Ed. Favre, Lausanne.

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4 août 2016 | 10:48
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 3 min.
banques (7), Economie (116)
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