Paul Dembinski

La magie de la monnaie : entre idée et réalité

Alors que les espèces monétaires sont sur le point de disparaître dans le gouffre de la digitalisation, et qu’il est question à tort et à travers des «monnaies virtuelles» le mystère de la monnaie se rappelle au bon souvenir de chacun d’entre nous.

En effet, il y a bien longtemps que le matériau a perdu de l’importance dans l’objet monétaire en mettant, en même temps, sur un piédestal sa dimension immatérielle et abstraite. Ainsi la monnaie est plus une institution qu’un objet. Les pièces de collection, même si elles sont en or, ont perdu leur caractère monétaire parce que l’institution et le contexte social qui leur correspondaient, ont disparu. C’est en eux que la monnaie – qu’elle soit matérielle ou digitalisée – puise sa force mystérieuse, celle du pouvoir d’achat.

«Le mystère de la monnaie se rappelle au bon souvenir de chacun d’entre nous»

Le philosophe de la monnaie Georg Simmel (1858-1918) opposait déjà, avec une grande perspicacité, la substance – le matériau accidentel de la monnaie – à son essence qu’il définissait comme la relation d’»échangeabilité» qui s’établit, grâce à la monnaie, entre les biens et services marchands. Dans ce contexte, le légendaire «pouvoir» d’achat que la détention de la monnaie confère, se traduit par sa potentialité à déclencher n’importe quelle acquisition. Toutefois, ce pouvoir (ou son illusion !) – comme celui de la baguette magique – ne dure aussi longtemps qu’il n’est pas utilisé. Il s’évanouit – ou plus précisément change de mains – dès qu’il est dépensé et qu’un bien réel prend sa place.

«Le pouvoir d’achat comme celui de la baguette magique ne dure aussi longtemps qu’il n’est pas utilisé puis il s’évanouit»

La particularité de l’argent – ou de la monnaie – tient à sa force évocatrice et aux potentialités qu’il véhicule. Tantôt virtualité, tantôt réalité, ces deux aspects restent en lui indissolublement liés. Il serait dès lors dangereux de ne retenir que son essence idéelle. Si l’homme, cet inépuisable créateur d’espèces, a imaginé la monnaie – et sa dérivée moderne la finance – pour faciliter les échanges, il importe de ne pas la réduire à une pure idée, car, comme le relève le pape François, «l’idée déconnectée de la réalité est à l’origine des idéalismes et des nominalismes inefficaces, qui, au mieux, classifient et définissent, mais n’impliquent pas» (La Joie de l’Evangile, n° 232)

«Entre faux maître et vrai objet, il est dangereux de ne retenir que l’essence idéelle de la monnaie»

La séduction dont l’argent est porteur, qui se traduit aujourd’hui par la réduction du monde au chiffre,  nous porte ainsi à oublier qu’il ne s’agit que d’une abstraction qui doit s’effacer devant la réalité. Entre faux maître et vrai objet, le Saint-Père nous recommande justement de prier, en ce mois d’avril, pour que «les penseurs et acteurs de l’économie mondiale trouvent le courage de dire non à une économie de l’exclusion, tout en ouvrant de nouveaux chemins».

11.04.18 / Paul H. Dembinski & Pascal Ortelli

« La réalité est supérieure à l’idée ». Dans son prochain atelier transversal, le 19 avril 2018, à Lausanne,  la Plateforme Dignité et Développement questionne ce principe d’action mis en avant par le pape François dans la Joie de l’Evangile (n° 231-233). Comment peut-on penser la monnaie à la lumière de cette affirmation ?

«Rendez dons à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» / monnaie de l'empereur Claude
11 avril 2018 | 10:17
par Paul Dembinski
Temps de lecture: env. 2 min.
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