Philippe Golay

La société des arbres parmi les hommes (7) Cœur

2011 Année internationale de la forêt

 

Le cœur de l’arbre est plus volumineux que celui de l’être humain. Sans bois de cœur, l’arbre s’effondre. La partie centrale du tronc de l’arbre a pour nom  «bois de cœur». Son rôle ? Le stockage de la sève dans des canaux (les rayons médulaires).

 

On connaît les fonctions du cœur de l’homme. Et sur le bout du doigt quelques-unes des expressions françaises – une soixantaine – comprenant le mot cœur. A ce jour, aucune n’assure que la personne humaine nourrie de sciences et de techniques est à l’abri d’un effondrement. Aux dernières nouvelles, «Avoir à cœur de rendre et maintenir l’humain humain»  – une expression non encore répertoriée dans Les usuels Le Robert – s’entend ici et là.

 

Un poète du dimanche parlait l’autre jour des arbres. Avait-il lu auparavant le texte d’un ami ou s’exprimait-il librement ? D’une voix calme, le poète disait ceci : Regardez les arbres par tous les temps ; la souplesse de la plupart d’entre eux vous étonnera. Dans le calme le plus complet possible, voyez-les méditer. Dans la brise comme le gros temps, écoutez-les prier. Parfois serrés les uns contre les autres, ou enracinés dans des endroits dangereux, ils protégent les gens. Dans les tempêtes, observez-les entretenir leur souplesse. S’ils viennent à tomber, sachez reconnaître leur rôle, saluer leur présence dans la nature. Quelques secondes de silence, puis le modeste homme ajoute : Debout, les arbres ont aussi leur place dans le cœur des humains, afin d’éviter leur effondrement.

 

Pour vivre en humain véritable, pour demeurer une créature réelle, suffit-il de regarder les arbres, de passer quelques instants en leur compagnie ? Suffit-il de cela pour faire échec à la privation grandissante de contacts naturels, tangibles entre humains devenus avant tout une cible économique en quasi permanence ? A l’aide d’appareils  – des déshumanisateurs P (portables) ou F (fixes) – le cœur de l’homme, de la femme, de l’adulte en devenir, de l’enfant gagnera-t-il en humanité ? La technicisation à outrance enverra-t-elle le monde droit dans le mur ? A en juger par l’inexpressivité du visage de clients dans les commerces d’appareils électroniques et autres moyens dits de communication, des questions se présentent.

 

Le cœur et l’arbre ou plus largement l’espace forestier : un «duo» que l’on pourrait placer parmi les exemples donnés à l’entrée ressourcer (se) dans un dictionnaire.  Non seulement source d’énergie,  mais source de valeurs fondamentales, de forces morales – «à l’origine emplois mystiques», précise le petit Robert – «se ressourcer dans la solitude d’un monastère». Ou en forêt, dans des sites alpestres, des lieux boisés aménagés en ville. Parfois la seule présence d’un arbre apaise qui, inquiet, perturbé, tourmenté, se déplace à pied.

 

Les forêts ont un cœur dans lequel soi et les autres viennent parfois. Dans la clairière, assis ou debout,  tous partagent un pique-nique et petit à petit ce qui marque leur vie. Ils viennent aussi goûter la paix, de temps à autre redécouvrir le respect, prendre la mesure du silence, renouer avec la spiritualité, laisser ce qu’ils nomment «la vraie joie», vraie car à la fois simple et profonde, envahir discrètement leur cœur. Au fil des quarts d’heure, quand ce n’est pas d’heures entières, la nature pénètre en eux, tente de joindre leur propre nature. Tout ou partie du siège des émotions et sentiments, des passions, de la pensée, de l’intelligence, de la mémoire, de la volonté, tout ou partie vibre alors, légèrement. Qui ressent cela, une fois ou l’autre, forme une phrase qu’il tait généralement : Je fais partie d’un tout.

 

L’univers du vivant

Une forêt mixte (résineux et feuillus) offre au randonneur la beauté de sa diversité. Son étendue fait d’elle la première représentante des arbres.

Explorer la multifonctionnalité de la forêt…et celle des hommes, faire quelques pas dans l’univers du vivant. Prendre goût à cela, cheminant tantôt seul, tantôt à plusieurs. S’offrir une centaine de pas avec, dans une main, une bûche ou un bout de bois ; s’accorder le temps de ressentir leur présence. Fréquenter un chemin de bisse quand, en route vers sa destination, l’eau roule ses milliers de gouttes à côté de soi.

Dans l’histoire du mot société apparaît le sens de communication. Dans l’esprit de qui prend le temps de regarder vivre un arbre vient le mot debout.

La lumière naturelle qui fait croître un arbre devient en tout lieu de prière lumière surnaturelle grandissant l’être humain. L’une et l’autre lui permettent de croire.

François d’Assise, dans le Cantique de frère Soleil ou des créatures (suggestion du chroniqueur: accompagner la lecture avec Le Laudi di Francesco d’Assisi, œuvre pour soli, chœur et orchestre (1927) de Hermann Suter (1870-1926) évoque avec simplicité et bonté le soleil et le jour, la lumière, la lune et les étoiles, frère Vent, l’air et les nuages, l’azur calme et tous les temps, sœur Eau, frère Feu, notre mère la  Terre qui nous porte et nous nourrit, qui produit la diversité des fruits avec les fleurs diaprées et les herbes… Le Cantique prend fin avec le mot humilité. Qui cherche le mot arbre ne le trouve point. Cependant, on peut penser que les mentions du feu et de la terre dans le Cantique englobent le plus aérien des végétaux.

 

Un avis

Etablir, rétablir, maintenir, développer le contact direct – visuel, tactile, verbal, auditif -entre les êtres humains.

Si 2011 Année internationale de la forêt peut rapprocher les vivants que sont les arbres et les dotés d’un corps, cœur, esprit, âme, cette Année aura atteint son principal but.

Si chacune, chacun des membres de la société des humains privilégie le contact réel – visuel, tactile, verbal, auditif – avec autrui, c’est qu’il n’est pas ridicule le propos entendu au sujet de la communication dans la société d’aujourd’hui. (De mémoire) Le Créateur a créé des êtres humains. Que la perception, l’expression et la sensibilité des humains créés se manifestent par de vrais liens entre vivants. Développer l’acuité dans ces domaines est mobile, gratuit, sans danger pour la santé.

 

Debout

Suivant la direction de la pesanteur, droit, sur pied ? L’arbre. Debout parmi les hommes, les arbres sont avec eux au cœur du mot vie. Non seulement par la lettre i dont la ligne est constante, mais du fait de leur nature.

L’histoire de la langue française dit de cet adverbe que son sens temporel fut un temps «tout de suite», «d’emblée». Puis (XVIe s.) «sur l’un des bouts», à propos de la personne sur ses pieds, levée, ce faisant «en vie», «active».

La société des arbres parmi les hommes porte les vivants à explorer l’espace entre terre et ciel, de bout en bout. Pour découvrir les autres, cheminer parfois ensemble, prêter attention aux musiques de l’âme.

 

LES AUTRES, une chronique de Phil’obs

 

Société, arbres, hommes

Provenant du latin (série de socius), l’un des mots les plus anciens de l’histoire de société a pour nom communication.
L’arbre est symbole de vigueur, résistance, ténacité.
L’homme ? Le mot (latin et sa racine indo-européenne) signifie littéralement né de la terre.

 

Les arbres
L’arbre de la croix
Le bois de la croix où fut attaché Jésus.
L’arbre de vie
Le thuya.
L’arborisation que présente la coupe longitudinale du cervelet.
L’arbre du paradis terrestre, que la Bible oppose à l’arbre de la science du bien et du mal (v. Genèse). L’arbre du fruit défendu.
L’arbre de Jessé
Généalogie du Christ.

(source : Dictionnaire culturel de la langue française, éd. Le Robert)

 

 

Nature et nom d’arbres

L’arbre d’argent, des banians, à beurre, à caoutchouc, des castors, à chandelle, à chapelet, du ciel, à cire, des conseils, au corail, de Cythère, au diable, de Dieu (le figuier des pagodes), de dragon, aux quatre écus, à encens, aux fraises, à la gale, à la glu, à la gomme, à grives, immortel (erythrina), impudique ou indécent, à ivoire, de juda ou de Judée, à lait, à laque, aux lys, de Sainte Lucie, à la manne, à melons, de mille ans de Moïse, de mort, aux mouchoirs, de neige, à pain, à papier, de paradis, aux perruques, à la pistache, pluvieux, à poison, au poivre, puant, à la puce, saint, à savon, à seringue, du soleil, à suif, de St Thomas, triste, du voyageur, d’Apollon, de Cybèle, des Dryades, des Euménides, des Helliades, à Hercule, de Jupiter, de Minerve ou de Pallas, de Pluton, de Vénus, à palabres, aux tulipes, de vie.

(source : Dictionnaire culturel de la langue française, éd. Le Robert)

 

Noms symboliques des arbres
Le ginkgo, l’arbre de la mémoire
Le platane, l’arbre de la rencontre
Le peuplier d’Italie, l’arbre de l’eau et du vent
Le figuier, l’arbre à lait
L’olivier, l’arbre à huile
Le cèdre, l’arbre à parfums
Le bouleau, l’arbre de la purification
Le pin sylvestre, l’arbre du feu et du sable
Le mélèze, l’arbre d’or
L’épicéa, l’arbre à musique
Le sapin pectiné, l’arbre de Noël
L’érable sycomore, l’arbre aux mains
Le tilleul, l’arbre à tisane
Le hêtre, l’arbre aux pinsons
Le chêne, l’arbre de justice
Le frêne, l’arbre de la vigueur
Le châtaignier, l’arbre à pain
L’if, l’arbre de la vie et de la mort.

(source : Histoires d’arbres, Philippe Domont et Edith Montelle, éd. Delachaux & Niestlé et Office national des forêts, France)

 

Dossier réalisé avec le concours de l’agence pro info et des jeunes photographes Quentin, Valentine.
Notre gratitude va particulièrement à la Communauté des moines de l’Abbaye d’Hauterive ; Mme Vanessa Lagier, pasteure à la Paroisse Protestante de Chêne GE ; M. Philippe Domont, ingénieur forestier EPFZ, formateur et auteur d’ouvrages grand public sur la forêt et les arbres ; Mme Edith Montelle, bibliothécaire, conteuse, écrivain, formatrice.

7 novembre 2011 | 16:47
par Philippe Golay
Temps de lecture : env. 7  min.
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