Jean-Jacques Friboulet

L’agonie de la libre circulation

Certains commentaires ont montré après le Brexit que leurs auteurs vivaient dans une bulle. Le vote en faveur du Brexit aurait été le fait d’ouvriers, de personnes âgées ou de personnes non éduquées vivant dans une province à l’écart du paradis des métropoles contemporaines. La réalité est toute autre. Les citoyens attendaient de l’Union européenne qu’elle leur assure une certaine sécurité économique et personnelle. Or l’Union n’a ni politique de défense ni politique de sécurité. Mais attardons-nous ici sur la sécurité économique.

Au début du mois je suis allé rendre visite un ami, prêtre à Cambrai, qui m’a dit lui-même être le pasteur dans le diocèse le plus pauvre de France. La région du Nord a été sinistrée par quatre crises successives: la fermeture des mines de charbon, la fin de la sidérurgie, la fin de l’industrie textile, mise en déroute par les importations d’Europe orientale et d’Asie, et la crise financière qui a tari les ressources publiques. C’est difficile à imaginer pour un citoyen suisse mais je me suis promené dans le centre-ville de Cambrai (35’000 habitants) sans rencontrer une seule agence bancaire ou une billetterie. Cette situation m’a fait irrésistiblement penser aux films de K. Loach décrivant la désespérance des banlieues du nord et de l’ouest de l’Angleterre.

Les 27 membres de l’Union ont jalousement préservé leurs prérogatives en matière sociale.

En quoi la libre circulation a-t-elle été un facteur d’insécurité économique, insécurité qui a lourdement contribué au Brexit? Ce concept, inscrit dans le Traité sur l’Union européenne, a son origine dans le Traité de Rome (1957) instituant le Marché Commun. Il vise à normaliser les conditions d’emploi de la main d’oeuvre entre les pays de l’Union et à favoriser la mobilité des travailleurs d’un pays à l’autre. Or ce principe souffre congénitalement de deux maux dont il ne s’est jamais remis. Le premier est l’incapacité de l’Union à définir ses frontières. La libre circulation n’a de sens qu’à l’intérieur d’un espace donné. Or cet espace (le fameux espace Schengen) est mal défini. Ses frontières n’ont jamais été fixées définitivement (cf. les négociations en cours avec la Turquie et certains pays des Balkans), ni protégées convenablement.

La seconde tare de la libre circulation est l’absence d’homogénéité de la législation sociale entre les pays. Les 27 membres de l’Union ont jalousement préservé leurs prérogatives en matière sociale. Cela crée un appel d’air puissant dans les pays où la protection sociale est à un niveau élevé vis-à-vis des autres moins bien dotés. Dès lors de deux choses l’une. Soit on harmonise les législations par le haut mais c’est financièrement impossible, soit on laisse faire et on crée des tensions intenables à l’intérieur des pays. Les citoyens britanniques ont bien compris que la libre circulation conduisait tout droit à un nivellement par le bas des prestations sociales. Les plus démunis d’entre eux n’ont pas voulu partager leurs maigres avantages. Qui pourrait le leur reprocher?

La libre circulation existe aux Etats-Unis mais dans un tout autre cadre. La législation sociale est harmonisée, il y a une seule monnaie (ce qui n’est pas le cas dans l’espace Schengen), un pouvoir politique fédéral et une seule langue qui permet facilement aux travailleurs même les moins éduqués de passer d’un Etat à l’autre. Toutes ces conditions ne sont pas réunies en Europe. Mal conçue, la libre circulation ne peut malheureusement que conduire à l’échec.

Jean-Jacques Friboulet | 17.07.2016

La libre circulation: un facteur d’insécurité économique qui a lourdement contribué au Brexit
17 juillet 2016 | 17:35
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 2 min.
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