Michel Danthe

Le détonant paradoxe au cœur de la sainteté de Carlo Acutis

C’est un feuilleton dont je suis depuis quelques années les avancées et les rebondissements avec fascination: celui de Carlo Acutis, ce jeune Italien né en 1991, frappé d’une leucémie foudroyante en 2006, et que l’Église catholique va proclamer saint le 7 septembre de cette année.

Pour le protestant que je suis, le processus de canonisation des saints et des saintes de l’Église catholique c’est déjà «quelque chose», si j’ose m’exprimer ainsi. «Quelque chose» à laquelle s’ajoute, dans le cas de Carlo Acutis, son très jeune âge et le courant de dévotion enthousiaste auquel le jeune homme est lié. De quoi plonger l’observateur extérieur que je suis dans un étonnement où n’est pas absente la perplexité.

Cette perplexité, elle naît bien sûr de l’éducation religieuse que j’ai reçue et qui fit apparaître la multitude des saints et des saintes, comme la pratique de leur vénération, telle une incongruité, un brouillard doctrinal, un champ de perturbations magnétiques, là où, pour un protestant bon teint, la boussole spirituelle ne devrait indiquer qu’un seul nom, Jésus Christ. Et il est vrai que pendant de nombreuses années, je suis resté sur cette impression, sans vraiment ni l’interroger, ni essayer de comprendre la profondeur et la complexité du phénomène par moi ainsi caricaturé. En un mot, tout cela c’était ce que j’appelais le «folklore catho» et sa propension à l’idolâtrie…

Mais il y a un temps pour tout, semble-t-il, et mon cursus théologique m’a amené à nourrir sur la question une position plus nuancée. M’ont fait avancer dans cette direction certains cours de psychologie des religions où, précisément, l’on se pencha sur le contour du phénomène. Me reviennent en souvenir des témoignages liés à la fameuse sainte fribourgeoise Marguerite Bays. Tant de piété s’exprimait là, naïve, peut-être, que je restai tout de même un peu coi. Et commençai à m’interroger.

«Carlo Acutis semblait être le résultat d’un parfait casting pour une œuvre de communication à grande échelle à l’heure de l’internet et des réseaux sociaux»

C’est que j’avais été petit à petit plus accoutumé, grâce précisément à ce cursus théologique, à saisir toute l’importance, dans l’existence de certains et certaines, de ces récits de vie que sont les vies des saints et des saintes. Je saisissais petit à petit quelle pouvait être la force dégagée par ces existences exemplaires auprès du commun des mortels plongé dans les aléas de la vie. Bref, quelle force et quelle énergie, pouvant confiner à l’incandescence, ces figures exemplaires pouvaient susciter auprès des fidèles.

Prenez, précisément Carlo Acutis. Je discute avec un de mes libraires à qui je demande un livre sur le désormais presque saint. Il me tend le recueil d’entretiens des parents de Carlo, Antonia Salzano et Andrea Acutis, avec le Père Giorgio Maria Carbone et intitulé Transmettre la foi. Le libraire ajoute qu’il était récemment à une conférence consacrée au jeune Acutis, à Lausanne: il n’avait jamais vu tant de monde venu écouter, ni tant de ferveur s’exprimer dans la salle.

Moi, ce qui m’avait frappé dans un premier temps avec Carlo Acutis, c’était le génie consommé de l’Église d’avoir su capter, grâce à lui, une frange de son troupeau qui n’avait visiblement jusqu’alors pas de figure médiatrice missionnaire: la génération issue de l’internet, tombée dans sa marmite quand elle était petite. Avec ses cheveux bouclés, son polo rouge, ses lunettes de soleil et son sourire bienveillant, Carlo Acutis semblait être le résultat d’un parfait casting pour une œuvre de communication à grande échelle à l’heure de l’internet et des réseaux sociaux.

La précédente fois que j’avais entendu parler de l’intérêt de Rome pour ce même internet, c’était dans les années 2000, lorsque l’on évoqua avec insistance le nom de saint Isidore de Séville pour devenir le patron de l’internet. Mais, en l’espèce, rien n’a jamais été officiellement promulgué. Et d’autres candidats ont depuis, dans des sondages d’internautes, gagné leurs faveurs.  

«C’est dans la rencontre de la réalité virtuelle et ses technologies avec la réalité de l’incarnation et son miracle eucharistique, que se situe la figure de Carlo Acutis»

J’avais, d’ailleurs, à cette occasion découvert également que Pie XI n’avait pas oublié la confrérie à laquelle j’appartenais, celle des journalistes, lorsqu’en 1923 il proclama saint François de Sales, évêque de Genève, saint patron des journalistes…

Mais creusant cette fois les tenants et les aboutissants du processus de canonisation de l’adolescent italien, j’avise cependant que, avec Carlo Acutis, c’est autre chose encore: non plus une histoire de patronage pour signifier que rien de ce qui est humain n’est étranger à l’Église. Non plus qu’une histoire de communication. Parcourant la courte vie du béatifié et futur saint, je découvre, ce qui, à mon sens, forme la spécificité, le cœur du message, la capsule essentielle de ce que Carlos Acutis porte en témoignage.

Car à dire vrai, Carlo Acutis encapsule par son existence un paradoxe à la fois étrange et magnétique: lui que l’on nomme le saint «geek», la personnification de cette jeunesse qui n’a jamais vécu sans l’internet, et les mondes virtuels que suscitent les nouvelles technologies; lui, Carlo, le saint geek, fait de l’adoration eucharistique, de l’incarnation dans l’eucharistie du sacrifice du Christ, le fer de lance de son message.

En d’autres termes, là où, avec Carlo Acutis, le virtuel et l’immatérialité de l’internet est à son maximum, coexiste le maximum de l’incarnation: le sacrifice eucharistique. Rien chez lui qui s’apparenterait à une mise au goût du jour des fondements doctrinaux de l’Église, à une accommodation gentillette de cette doctrine au goût des geeks d’aujourd’hui. Mais au contraire l’exaltation ardente d’une pratique fichée au cœur suprême de la tradition: l’eucharistie.

C’est dans la rencontre de ces deux ordres de réalité, la réalité virtuelle et ses technologies, la réalité de l’incarnation et son miracle eucharistique, c’est à ce carrefour précis que se situe la figure de Carlo Acutis. Un point de rencontre qui donne aux natifs digitaux l’occasion de se colleter avec ce qui meut l’Église depuis son début: le mystère de l’incarnation et du sacrifice qui le signe définitivement.

Michel Danthe

16 juillet 2025

Messe de béatification de Carlo Acutis, en octobre 2020 | © Vatican Media
16 juillet 2025 | 07:44
par Michel Danthe
Temps de lecture : env. 4  min.
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