Thierry Collaud

Le jeûne qui plaît à Dieu

À quoi sert le jeûne? se demande-t-on quand il redevient d’actualité en temps de carême. On ne croit plus tellement à la notion d’ascèse expiatrice ou de divinité à se concilier. On en ferait plutôt un exercice d’autocontrôle purifiant ou un acte de justice climatique.

Mais au fond quel est le jeûne que Dieu veut? J’ai donné récemment ma leçon d’adieu à l’université. Je l’avais construite autour de cette magnifique charte sociale que l’on trouve au chapitre 58 du livre d’Isaïe. Dans la communauté bonne qui y est décrite, on libère les opprimés, on partage son pain, on héberge les sans-abri, on donne à l’homme nu de quoi se vêtir, on élimine toute violence physique ou verbale et Dieu est là dans une immédiateté vivifiante.

«Mieux répartir les richesses ou améliorer notre santé, est-ce bien là le sens du carême?»

Ce qui est intéressant c’est que Dieu, par la voix du prophète, associe ces bonnes pratiques sociales au jeûne. Enfin, pas à n’importe quel jeûne. Il semble d’abord ignorer le jeûne et les mortifications des croyants pieux. Ceux-ci d’ailleurs s’en offusquent: «Quand nous jeûnons, pourquoi ne le vois-tu pas?» (58,3).  Le jeûne est, ici, utile. Il sert à se faire bien voir de Dieu. Mais celui-ci en a plus qu’assez de ces dévotions de façade. Non seulement il ne les regarde pas, mais il les exècre: «Vos fêtes, vos cérémonies, je les déteste, elles me sont un fardeau, je suis las de les supporter» (1,14).

Le jeûne est vu comme la réalisation d’une œuvre prescrite censée être efficace en elle-même. L’irritation divine vient d’une incohérence entre cette pratique et le reste de la vie concrète: «Oui, mais le jour où vous jeûnez, vous savez bien faire vos affaires, et vous traitez durement ceux qui peinent pour vous.» (58,3).

«Moins c’est plus» dit la Campagne œcuménique de carême. Consommer moins pour lever la pression mise sur la planète, mais aussi sur ceux qui souffrent de l’injustice à cause de notre accaparement. Oui, mais … dans une campagne de carême menée par les Églises chrétiennes, on s’attendrait à un propos plus théologique. Jeûner pour sauver la planète, mieux répartir les richesses ou améliorer notre santé, est-ce bien là le sens du carême?

«Si le carême est avant Pâques, ce n’est pas un hasard»

Le texte d’Isaïe 58 est théologique parce qu’il ne se contente pas de donner des recettes pour un «altruisme efficace» comme certains le prônent aujourd’hui.  Jeûner c’est se dépouiller pour pouvoir être avec l’autre, avec  «celui qui est ta propre chair», mais être pour quoi? Le jeûne devrait être l’occasion de découvrir que ce dont on s’est privé pour l’autre n’est pas l’essentiel. Sortis momentanément de nos possessions, nous sommes en manque. Or cet état de tension doit être l’occasion de nous interroger sur nos vrais besoins comme le disait dans une interview récente Dom Marc, l’abbé d’Hauterive.

Le jeûne qui plaît à Dieu c’est celui où étant sortis d’une logique d’appropriation et ayant renoncé à nos fausses richesses, nous sommes mis en état d’aspirer à sa présence parce que nous l’aurons reconnu comme la source de toute vie et de tous biens. Le vrai jeûne est la sortie de l’inessentiel pour laisser advenir Dieu. Il s’agit de renoncer à ce qui nous rassure en s’en désappropriant et en le partageant, pour prendre le risque d’un comblement par une réalité infiniment plus grande. Si le carême est avant Pâques, ce n’est pas un hasard. Le texte vétérotestamentaire d’Isaïe se termine par l’espérance du repos sabbatique et le carême chrétien nous fait prendre conscience que ce qui nous manque fondamentalement et que nous avons à laisser advenir, c’est la présence du Christ ressuscité. C’est quand cette inhabitation divine a lieu que la cohabitation fraternelle de tous les humains et l’amour des créatures peut se déployer.

Thierry Collaud

22 février 2024

Le jeûne, pratique, de santé, écologique, ou spirituelle? | © Jack Sharp/unsplash
22 février 2024 | 18:11
par Thierry Collaud
Temps de lecture : env. 3  min.
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