Jean-Jacques Friboulet

Les liaisons néfastes du sabre et du goupillon

Face à la guerre d’invasion qui ensanglante l’Ukraine, on reste dans un premier temps sans voix. On est bouche bée devant l’arrogance et la cruauté du maître du Kremlin. Dans un second temps, on cherche à comprendre. Comment le président Poutine peut-il se faire le héraut d’une croisade antinazie et pour la civilisation orthodoxe contre une population ukrainienne qui est massivement chrétienne?

L’article de Noël Ruffieux dans le dernier Echo Magazine nous l’explique magistralement. Le président Poutine s’est petit à petit acquis le soutien total du Patriarcat de Moscou qui, la veille de l’invasion de l’Ukraine, lui «souhaite une aide abondante du Seigneur».

En tant que catholique, nous ne devons pas oublier les leçons de l’histoire. Pendant très longtemps, notre Eglise a été inféodée à certains régimes. Il a fallu attendre les Accords de Latran en 1929, qui ont créé officiellement l’Etat du Vatican, pour que notre Eglise soit indépendante des pouvoirs politiques. Grâce, sur ce point, soit rendue à Pie XI qui avait compris la nécessité, déjà énoncée dans l’Evangile, de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. En s’associant au pouvoir politique pour étendre sa domination sur la société russe, le Patriarcat de Moscou devait s’attendre à une contrepartie. Cette guerre est la rançon de cette association. Elle va faire perdre au Patriarcat toute relation avec les églises ukrainiennes sœurs. Les dictatures ne donnent jamais rien sans rien.

«La situation financière de la Russie fait que la guerre sans aide extérieure chinoise ne pourra durer très longtemps»

Ma deuxième observation concerne la situation des populations. Cette guerre est désastreuse car elle atteint profondément les conditions de vie des personnes. Il y a en premier lieu les milliers de morts et de blessés. De plus, plusieurs millions d’Ukrainiennes et leurs enfants sont obligés de se réfugier en Europe. Et la réaction de solidarité de nos pays face à cette émigration massive est une joie profonde. Mais il ne faut pas oublier la situation de la population russe. Sa partie la plus pauvre va profondément souffrir en raison des pénuries, de l’inflation (qui dépasse 20%), et de la baisse du rouble (près de 30%). A cause du gel de ses avoirs à l’étranger, la Banque nationale de Russie sera prochainement en cessation de paiement.

Or la Russie n’est pas un pays riche. Son produit par habitant est inférieur au produit chinois et le huitième de celui de la Suisse. C’est un pays profondément inégalitaire, où les 10% les plus riches captent 50% du revenu national, contre 34% en Suisse. A ce sujet, la situation des oligarques n’est pas représentative. Les 50% des Russes les plus pauvres ne perçoivent que 17% du revenu national. Cette situation financière de la Russie fait que la guerre sans aide extérieure chinoise ne pourra durer très longtemps.

Pour sortir de la guerre, les deux pays devront construire à moyen terme la paix. Le pape Jean XXIII, qui était un maître en la matière en raison de ses fonctions durant la seconde guerre mondiale, écrivait dans Pacem in Terris (1963, paragraphe 35) que toute vraie paix est fondée sur quatre conditions: la vérité, la justice, la liberté et la charité. En envahissant l’Ukraine et en faisant une propagande insensée, la dictature du président Poutine a nié ces quatre nécessités de la vie sociale. En relisant ce magnifique texte de Jean XXIII, on mesure le chemin à parcourir et on doit prier pour que l’Esprit Saint ouvre le cœur et l’intelligence de la population russe et de ses dirigeants.

Jean-Jacques Friboulet

23 mars 2022

Le président Poutine s’est petit à petit acquis le soutien total du Patriarcat de Moscou | © EPA/MIKHAIL METZEL / KREMLIN / POOL MANDATORY CREDIT/Keystone
23 mars 2022 | 07:42
par Jean-Jacques Friboulet
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