
Lettre ouverte à Monika Schmid
Je ne vous connais pas personnellement, chère Monika Schmid, et n’ai pas eu le plaisir encore de vous croiser. D’emblée je salue votre courage et votre dynamique bravoure. Je suis une pasteure réformée, votre église sœur. La sororité dans l’Église est un thème que me tient à cœur. La liturgie un domaine que je considère vital. Je suis une théologienne qui s’émerveille sur le bien nommé Docteur Magnifique, Anselme de Cantorbéry, inspiration de la pensée systématique de toute l’Église chrétienne. Aussi le dialogue interconfessionnel n’est-il pas, à mes yeux, une formule creuse.
Je me permets de vous adresser ces quelques mots.
Mauvais réflexe, un peu outrecuidant et pédant, infatuée dans ma théologie réformée, je condamnais l’origine du tintamarre doctrinal catholique tellement romain! Ah, m’écriais-je, intérieurement, une femme ›concélèbre’ la messe, l’eucharistie et c’est un sacrilège pour eux! Chez nous, les pasteures peuvent être des femmes. Manifestement je me suis complu dans une attitude d’indignation primitive. Celle où l’on se targue d’avoir raison et les autres tort. Alors que, comme nous l’enseignait mon professeur de dogmatique, nos deux confessions, le catholicisme et le protestantisme ont une mission à remplir, une responsabilité ou un ministère à exercer l’un à l’égard de l’autre. La dualité n’est pas absurde ni déplorable. Si la tension cessait, concluait-il, il en résulterait la fin d’un christianisme vivant et authentique. Car ce qui nous divise nous lie; ce qui nous distingue nous associe; ce qui nous oppose nous allie. Il était temps de dépasser ma première posture stérile et de laisser résonner en moi la fécondité de cette controverse.
«Le courage de vivre ce que l’on croit, quel bel exemple pour la réformée que je suis!»
C’est pourquoi je salue le courage liturgique de cette messe du 28 août 2022. Au poste de chargée des questions liturgiques pour nos églises réformées de Suisse, j’ai pu observer les liturgies de nos différentes paroisses. L’innovation, la recherche de nouveaux langages et de gestes liturgiques sont au cœur de nos attentions ecclésiales réformées. Semper reformanda: toujours en quête de dynamisme et de vigueur. Malgré cela, souvent, j’ai reculé en paroisse pourtant convaincue de la nécessité de réformer la liturgie. Je craignais les réactions épidermiques et pire encore la force de la tradition que je ne voulais pas heurter. J’ai reculé plus d’une fois.
Mais vous, vous l’avez vécu. Vous, vous l’avez fait. Que dire? sinon mon admiration. Le courage de vivre ce que l’on croit, quel bel exemple pour la réformée que je suis!
Je salue le courage de votre équipe pastorale qui a pris le risque de l’innovation sans se laisser paralyser par la crainte des polémiques voire des représailles. Pouvoir affirmer et vivre ce que l’on croit sans peur et avec audace. Cette foi m’impressionne. Elle n’est pas sans convoquer le souvenir des huguenots en France du XVIème siècle. Celles et ceux qui au nom d’une conviction profondément ancrée ont risqué leur confort, leur emploi, leur existence traqués qu’ils étaient par les dragonnades. Offrant de la sorte un appel d’air dans l’Église. En plaisantant à demi, je regrettais ma poltronnerie comparée aux huguenots. Aujourd’hui le couteau sous la gorge au sens littéral serais-je assez intrépide pour affirmer ma foi envers et contre tout?
Dans Le courage d’être, le philosophe et théologien Tillich structure le courage en deux. Le courage d’être soi: s’affirmer soi-même dans son individualité. Le courage d’être participant.e: s’affirmer en tant que participant.e à divers secteurs du monde. Vous avez eu le courage de matérialiser et de représenter ce courage. Là, en tant Monika Schmid, agente pastorale participante à la messe. Là, en pleine participation de la concélébration de l’eucharistie.
Merci pour ce cran dont vous avez fait preuve qui attise en moi un peu de votre courage.
Et que Dieu nous garde!
Nadine Manson
28 septembre 2022
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