Jean-Jacques Friboulet

L’inflation, une vieille connaissance

L’économie est une activité humaine. Elle a donc nécessairement une dimension morale. On peut le constater à propos de l’inflation.

Du point de vue technique, l’inflation est une hausse des prix générale qui touche presque tous les produits. Elle risque de s’emballer si les pouvoirs publics ne prennent pas les mesures adéquates. Mais il faut préciser ses faces politique et humaine. Du point de vue politique, elle peut déstabiliser les Etats si elle devient trop forte. On l’a observé en Suisse et en Allemagne après la Première guerre mondiale. On le constate aujourd’hui dans les pays à monnaie faible comme la Turquie (+ 40 % de hausse des prix sur un an).

Même si l’inflation est modérée (moins de 5%), elle déséquilibre les finances publiques, car les impôts sont indexés sur l’année précédente. Ils évoluent moins vite que les coûts qui dépendent de l’année en cours. Les comptes publics en 2022 et 2023 passeront en Suisse du noir au rouge et les budgets seront plus difficiles à équilibrer.

«Face à l’inflation, l’économie se répète et utilise toujours les mêmes remèdes»

Enfin les conséquences sociales de l’inflation sont lourdes. Il y aura une baisse du pouvoir d’achat des salaires et des rentes. Mais c’est nécessairement pour les plus pauvres et les bénéficiaires de l’aide sociale que la note sera la plus salée. Les prix alimentaires et ceux des biens de première nécessité augmenteront le plus vite alors que le tarif des aides et des prestations sociales ne s’accroîtra qu’avec retard. Les titulaires de petits revenus sont toujours les premières victimes de l’inflation.

A l’inverse, les emprunteurs, en particulier dans l’immobilier, seront les grands gagnants, s’ils ont pris la précaution de bloquer leur taux hypothécaire. La hausse des prix grignotera leur dette.

Face à un phénomène comme l’inflation, l’économie se répète et utilise toujours les mêmes remèdes pour la combattre: limitation de la création monétaire et freinage des dépenses publiques. Ce déséquilibre ressurgit aujourd’hui alors que ses causes sont connues depuis le 18e siècle: excédent d’émission monétaire et forte croissance des dépenses étatiques, en particulier à cause des guerres (aujourd’hui le combat contre le Covid-19). Ce fut le cas au début du 19e  siècle en raison des guerres napoléoniennes, ce qui a permis à Karl Marx de dénoncer la paupérisation du prolétariat anglais. Ce fut encore le cas au moment des deux guerres mondiales en Europe. C’est encore le cas aujourd’hui où les grandes banques centrales occidentales ont inondé le marché de leurs crédits pour surmonter les conséquences économiques de la pandémie, ce qui a conduit à des taux d’intérêt négatifs.

«Il s’agit d’intégrer les pauvres dans les logiques de décision des politiques économiques»

Face à une telle répétition, le citoyen pourrait se décourager. Les sociétés commettent toujours les mêmes erreurs. Mais il y a une autre façon de voir les choses. En premier lieu constater que, collectivement, nous n’avons malheureusement pas de mémoire. On oublie les leçons des anciens. C’est encore plus vrai aujourd’hui, où la priorité est donnée à l’éphémère et à la vitesse. Qui se souvient parmi nos dirigeants du choc pétrolier de 1973 et de l’inflation qui l’a accompagné? La durabilité ne vaut pas seulement pour le futur. Elle vaut pour le passé, et il nous faut mieux prendre en compte les enseignements de l’histoire et ne pas faire de la vitesse une vertu.

Par contre la prudence et le courage sont des vertus cardinales. Quand on a été imprudents, et c’est le cas des Banquiers centraux, il faut faire preuve de courage pour changer d’orientation, en ne sacrifiant pas au passage la situation des plus pauvres.

La doctrine sociale de l’Eglise parle de l’option préférentielle pour les pauvres. Concrètement, il s’agit d’intégrer ces populations dans les logiques de décision des politiques économiques. Nos dirigeants ont une belle occasion de mettre ce principe en pratique quand ils vont faire leurs choix pour les moyens de lutte contre l’inflation. Vont-ils soutenir les dépenses de lutte contre la pauvreté ou au contraire privilégier des facilités nouvelles accordées à leur électorat? Un bon arbitrage est possible entre solidarité et investissements pour l’avenir. C’est le défi d’un véritable humanisme.

Jean-Jacques Friboulet

9 février 2022

Le spectre de l'inflation est de retour dans l'économie mondiale | © Pixabay
9 février 2022 | 07:30
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 3 min.
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