Jean-Jacques Friboulet

Peut-on choisir la décroissance ?

Lors de mes conférences, une question m’est souvent posée : que pensez-vous de la décroissance ? Ce thème de la décroissance est développé par un courant de l’écologie politique et illustré par un livre à succès publié en 2009 par T.Jackson, Prosperity without growth. Que peut-on en penser ?

En premier lieu il faut noter que nous vivons une stagnation économique depuis la fin des années 2000. La croissance du Produit national observée (entre 1 et 2%) cache un prélèvement très sévère fait sur la nature, prélèvement qui n’a aucune compensation et que l’on peut évaluer entre 1% et 2 % du Produit. Nous ne connaissons donc plus aujourd’hui de véritable croissance mais la stagnation.

La seconde observation concerne la définition de la croissance monétaire. Celle-ci est le fruit de l’accroissement et de la productivité de l’emploi. Si ce dernier croit encore dans certains pays européens, en particulier en Europe centrale, sa productivité stagne. On ne produit pas plus de richesse par heure de travail en raison de la faiblesse des investissements.

La troisième observation élargit le regard pour se situer dans une vision à long terme. Cinq éléments font que, dans l’avenir, nous ne connaitrons plus les taux de croissance élevés des années 1960-1990. Le premier est le vieillissement de notre population qui implique au mieux une stagnation du nombre de personnes au travail. Le second est la baisse de la part de l’industrie et la montée de celle des services. L’industrie a été à la source des progrès de productivité des trente glorieuses grâce aux activités chimiques, électriques et pétrolières. Ces activités sont chez nous en perte de vitesse, même si elles sont appelées à se développer au moins pour les deux premières dans les pays émergents. Le troisième élément concerne l’éducation. La productivité du travail a beaucoup augmenté dans le passé grâce à la généralisation de l’accès des jeunes à l’enseignement secondaire, général et professionnel. Cette même généralisation ne pourra pas se réaliser pour les Hautes Ecoles, en raison des capacités des élèves et du coût des études. Un enseignement tertiaire de haut niveau non sélectif n’est pas viable et aucun pays au monde ne l’a mis en place. Le quatrième élément est le désordre financier international. Celui-ci pousse à l’émission de liquidités en abondance et à la baisse des taux d’intérêt, qui deviennent aujourd’hui négatifs. Ce désordre pénalise l’épargne et donc l’investissement dans des activités nouvelles concernant les énergies renouvelables, les productions innovantes économisant massivement les ressources ou recyclant les déchets.

Le dernier élément en cause et le plus important concerne bien sûr les limites de notre planète. Nous devons modifier nos comportements de consommateurs et nos choix de production sauf à rendre notre terre invivable. Sommes-nous alors condamnés à la stagnation ou à la décroissance, c’est-à-dire au chômage ? Contre les trois premiers éléments décrits plus haut nous ne pouvons rien, mais nous pouvons agir sur les deux derniers. Il dépend de nos sociétés de remettre la finance au service d’activités qui ménageront la planète, et d’abandonner dans ce domaine le primat donné aux plus-values sur le rendement réel des actifs, source de désordre. Il dépend de nous de choisir une culture de vie et non de mort comme l’écrit si bien le Saint Père dans Laudato si.

Un ancien premier ministre français disait que la croissance ne se décrète pas dans une économie de marché. Il avait raison pour le contexte. Celui-ci s’impose à nous. Mais il avait tort vis-à-vis de notre liberté. L’avenir est toujours ouvert. Il faut, pour cela, choisir des solutions nouvelles et éviter les voies de garage comme le retour aux recettes de la croissance mythifiée des années 1960-1990 qui ne se reproduira pas.

 

Chiffres et finances (photo Flickr Ken Teegardin CC BY-SA 2.0)
3 mars 2016 | 10:16
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 3 min.
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