

Que penser du «libra», ce nouvel essai de monnaie privée?
Des sociétés financières et des entreprises numériques veulent créer une monnaie à l’instigation de Facebook: le «libra». Les intentions affichées sont de réduire le coût des transferts de fonds vers l’étranger et de faciliter la vie des détenteurs de comptes Facebook grâce à la technique du blockchain. Les amoureux des technologies numériques et les contempteurs de l’Etat ont immédiatement applaudi, à l’exemple de notre ministre des Finances, Ueli Maurer.
Derrière ces intentions se cache un vieux projet néolibéral qui date des années 1950 et qui veut créer une monnaie privée hors du système bancaire et de l’Etat. Ne circulent aujourd’hui que des monnaies nationales: francs suisses, dollars, euros…. Le but de Facebook est d’émettre une monnaie internationale à partir de la Suisse. Ce projet se heurte à l’opposition des grands Etats, qui n’en veulent pas, comme l’indique la dernière réunion du G7. Ceux-ci mesurent les dangers de paiements internationaux dans une monnaie privée. Actuellement, tous ces paiements sont assurés par les systèmes bancaires qui sont supervisés par des autorités indépendantes. Facebook veut que le libra serve de moyen de paiement en se passant des systèmes bancaires et des obligations correspondantes. Cela permettrait bien sûr des profits considérables.
Cette volonté de dépasser le caractère national des monnaies oublie une donnée essentielle: la monnaie en tant qu’instrument de paiement est un bien public. Elle est validée par l’Etat qui en garantit le pouvoir libératoire sur un espace donné. Ignorer, dans la plus pure tradition néolibérale, cette dimension politique montre une ignorance profonde des caractères de la monnaie depuis la plus haute antiquité. La création du libra est une démarche profondément antiétatique. Ce n’est pas pour rien que ses auteurs se sont installés dans la Genève libérale, canton dont ils ont obtenu la bienveillance des autorités économiques. Pierre Maudet a d’ailleurs applaudi à la mise en œuvre de cette initiative.
«Le libra ne s’appuierait sur aucune économie»
La création du libra pose de nombreux et graves problèmes que les Banques nationales ne manqueront pas de relever. Le premier tient à son caractère international. Vouloir priver les banques de revenus est une chose, assurer la pérennité des paiements en est une autre. Ceux-ci ne peuvent être garantis que par un système bancaire national qui, grâce à la mutualisation et à l’appui de l’Etat, peut garantir la valeur des dépôts en cas de crise financière. Rappelons-nous l’histoire récente d’UBS. Gare aux gogos qui se laisserait bercer par la douce musique des comptes Facebook.
Le deuxième problème concerne la valeur de cette monnaie. Ce qui garantit la valeur du franc suisse c’est la qualité de la production suisse. Idem pour les autres grandes monnaies. Le libra ne s’appuierait sur aucune économie. Sa valeur lui serait transmise par des réserves constituées en devises fortes. Cette idée que la valeur d’une monnaie peut s’appuyer sur le seul montant des réserves constituées est une idée fausse comme le montre l’histoire de l’étalon or. En cas de crise, ces réserves peuvent sortir du système, mettant à mal la monnaie émise en contrepartie.
Le troisième problème concerne la politique monétaire. Les Banques nationales maîtrisent la quantité de monnaie créée grâce aux moyens d’intervention qu’elles ont sur les banques commerciales et les marchés. Que deviendrait cette maîtrise avec une monnaie qui serait émise hors du système bancaire? Elle serait annihilée et l’inflation serait de nouveau menaçante.
En remettant en cause le caractère de bien public de la monnaie, les promoteurs du libra portent une grave atteinte au bien commun. Toute innovation apportée par la numérisation n’est pas bonne en soi. Il faut en mesurer les conséquences. Le libra, dans sa conception actuelle, serait un risque financier important. Comme la guerre pour les militaires, la création d’une monnaie est quelque chose de trop sérieux pour être décidée par les seuls financiers.
Jean-Jacques Friboulet
24 juillet 2019
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