Thierry Collaud

Quel langage pour dire la centralité du Christ pour l’Église ?

Je terminais mon blog précédent en insistant sur l’importance pour l’Église d’aspirer à vivre de la présence du Christ en elle. La fête de Pâques, fête majeure du Christianisme, que nous venons de célébrer renforce cette exigence. Qu’est-ce que cela veut dire pour l’Église de mettre le Christ à sa tête et d’en être le corps?

La question est d’importance si on veut rester cohérent avec la notion d’Église chrétienne. Je n’apporte pas de réponse exhaustive, mais j’ouvre ici au questionnement et à la discussion, ce qui est le sens d’un blog. Comment dire le Christ et sa centralité pour notre foi sans s’enfermer dans un discours convenu? En effet, la tentation est grande, pour rechercher un langage recevable par tous, de gommer ce Christ qui dérange et de rester dans le domaine du spirituel vague dans lequel tous peuvent se reconnaître.

Un exemple parlant: en 2016, lors d’un colloque international de théologiens sur l’écologie, j’avais proposé, sous le titre «Christ dans la création», dix thèses pour une vision chrétienne de notre place dans la création. Je mettais l’accent sur le fait que la foi chrétienne a constamment affirmé depuis 2000 ans que, par Jésus Christ, Dieu visite le monde et le touche avec tendresse. Le Christ régénère le monde par sa présence vivifiante au cœur de la matière et l’Église, qui est son corps, participe à sa mission de Seigneur de la création qui est de «tout réconcilier avec Dieu» (Col 1,20) et de manifester sa gloire. Après la conférence, un évêque orthodoxe est venu me dire sa méfiance vis-à-vis d’un discours théologique qu’on n’aurait pas pu tenir à la COP 21 qui venait d’avoir lieu. Pour être compris par tous, il aurait fallu argumenter uniquement en termes de Dieu comme puissance créatrice, et de responsabilité des humains vis-à-vis des générations futures.

Mais cette absence du Christ ressuscité dans le discours ecclésial qui rendrait les choses plus faciles ne fait-elle pas l’impasse sur la foi? La communauté chrétienne doit choisir si elle veut être une communauté croyante ou si elle se contente d’être une «communauté pieuse» (Bonhoeffer) ou encore pire une «ONG pieuse» (pape François).

«Face à l’inefficacité du langage explicatif, n’aurions-nous pas besoin d’un autre type de langage qui est celui du témoignage.»

On cherche à juste titre une lisibilité du message dans le monde contemporain. Mais peut-on éviter la difficile réception d’un message que saint Paul déjà présentait comme une folie pour le monde. Son discours aux Athéniens (Ac 17,22-34) est significatif. Ceux-ci reçoivent assez bien un discours déiste général, mais ils «quintent» comme on dit à Neuchâtel, quand Paul évoque la résurrection.

Il y a une dizaine d’années Gérard Daucourt, alors évêque de Nanterre, évoquait ceux qu’il appelait les athées pieux: «Ils défendent des «valeurs». Ils s’engagent généreusement dans des combats pour lesquels ils font référence à la morale chrétienne. Ils participent à des rites chrétiens. Mais la question demeure: croient-ils que le Christ est vivant, qu’il nous aime, qu’il nous sauve, qu’il nous attend pour une vie éternelle? Entretiennent-ils une relation avec le Christ?»

Cette dernière phrase est interpellante. Face à l’inefficacité du langage explicatif, n’aurions-nous pas besoin d’un autre type de langage qui est celui du témoignage. Le témoin, en effet, au-delà des mots est celui qui laisse transparaître Celui qui l’habite et qui suscite son espérance et son agir dans le monde.

Thierry Collaud

10 avril 2024

Qu’est-ce que cela veut dire pour l’Église de mettre le Christ à sa tête et d’en être le corps? | © Flickr/Lawrence OP/CC BY-NC-ND 2.0
11 avril 2024 | 08:37
par Thierry Collaud
Temps de lecture: env. 2 min.
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