
Quelle place dans l’Église pour les auteurs d’abus?
Les remous autour de la nomination, au poste de chancelier du diocèse de Toulouse, d’un prêtre condamné pour viol il y a plus de trente ans, ravivent la question de la place des abuseurs dans la communauté ecclésiale. La maladresse de l’archevêque est significative d’un malaise à ce sujet.
Rappelons d’abord les faits: Entre 1992 et 1994, D.S. abuse d’un jeune homme de 16 ans dont il est le directeur spirituel. Il est condamné en 2005 à 5 ans de prison. Libéré pour bonne conduite, il se retrouve en 2009 curé d’une grande paroisse rurale. Suite à une campagne de presse, il renonce à ce ministère, malgré le soutien de nombreux paroissiens au courant de son passé. En 2020, on le retrouve employé à la chancellerie du diocèse de Toulouse. Il est nommé chancelier en juin 2025. Cette décision soulève beaucoup d’incompréhensions, au point que la Conférence des évêques de France demande à l’archevêque de reconsidérer sa décision.
Guy de Kerimel s’était justifié en invoquant la miséricorde face à un prêtre dont le crime remonte à plus de trente ans, qui a purgé sa peine et n’a plus récidivé. Il soulève opportunément la question de la place des abuseurs dans le corps ecclésial.
L’important est d’éviter les solutions simplistes inspirées par l’alternative binaire du déni (il ne s’est rien passé) ou de la vengeance (on a éliminé le pervers). Tous nous portons des ambiguïtés, des parts belles et des parts sombres. Désigner le «méchant» à exclure n’est-ce pas croire que le mal ne nous concerne pas? Christian de Chergé disait à propos d’un chef islamiste: «Ai-je le droit de demander [à Dieu]: désarme-le, si je ne commence pas par demander: désarme-moi et désarme-nous en communauté.»
«Désigner le «méchant» à exclure n’est-ce pas croire que le mal ne nous concerne pas?»
L’Église catholique a longtemps voulu se croire une société à part, ignorant la justice pénale «mondaine». Elle a maintenant compris qu’elle ne pouvait pas faire exception. Cependant cela ne signifie pas qu’elle n’ait pas des spécificités qui la font autre qu’une simple association culturelle ou philanthropique. On peut en lister en vrac quelques-unes de manière non exhaustive pour alimenter la réflexion:
La communauté ecclésiale n’est pas accessoire, mais centrale, dans ses diverses déclinaisons, locales ou universelles. Elle n’est pas une agrégation de membres individuels, mais elle est le corps du Christ et elle n’a pas la maîtrise de qui en fait partie. Même celui qui est excommunié reste un baptisé dont il faut porter le souci. Elle aussi a des cicatrices et des incapacités qui résultent des blessures causées par les drames qui s’y jouent et avec lesquelles il lui faut réapprendre à vivre.
L’Église vit d’une Parole et de paroles qui s’échangent. «Il y a en général trop de silence dans le diocèse», dit un prêtre toulousain à propos de l’affaire du chancelier (La Croix). On sait maintenant combien les silences mortifères font le nid des prises de pouvoir et des abus. Mais attention, lancer une information dans l’espace public ça n’est pas communiquer et cela peut même être violent. La vraie communication est un échange de paroles dans l’attention à ce qui est provoqué chez l’autre.
«La vraie communication est un échange de paroles dans l’attention à ce qui est provoqué chez l’autre.»
La synodalité comme expression de l’identité ecclésiale doit trouver là un terrain d’application privilégié. Comment reconstruire ensemble une communauté blessée parce que ses membres ont blessé et ont été blessés. Comment être un lieu où l’on peut entendre toutes les voix y compris celle de l’Esprit Saint qui est pour nous «source de vie», c’est-à-dire capable d’éclairer nos obscurités et d’y faire germer des pratiques inattendues. Dans ce sens-là, la nomination du prêtre condamné au poste de chancelier aurait été acceptable si elle avait été, non pas une décision unilatérale de l’évêque, mais prise au terme d’un processus synodal diocésain de réparation dont les formes seraient à inventer.
L’Église est une communauté liturgique et sacramentelle. Finalement, le plus important: Peut-on régler ces questions sans faire appel à ce qui constitue le fondement de notre identité c’est-à-dire le fait de se tenir ensemble devant Dieu dans la prière et la réception jour après jour de sa grâce? Comment vivre liturgiquement dans la durée un processus de réparation qui panse les blessures et en reçoit la guérison de Dieu.
Penser la place de ceux qui ont blessé leur prochain, trahis la confiance que la communauté avait mise en eux et le ministère qu’elle leur avait confié est peut-être pour l’Église le défi et la chance de sortir des logiques mondaines de déni, de vengeance et d’exclusion pour revenir à ses fondamentaux. Non pas une miséricorde prescrite de manière autoritaire, mais la patiente recherche en commun de ce que Bernard de Clairvaux appelait la «grâce sociale» à demander et à recevoir jour après jour malgré les échardes qui restent dans notre chair.
Thierry Collaud
13 août 2025
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