Y a-t-il une conscience dans la tête de l’État?
Pourquoi la Confédération ne soutient-elle pas la production de drogue dure? Alors qu’il est certain que cela lui procurerait de juteux bénéfices… La réponse à cette question stupide est évidente: parce qu’il est immoral de vendre des produits qui vont provoquer aux individus qui en achèteront une dépendance, une déchéance physique et sociale et finalement peut-être la mort.
Une initiative proposant que les pharmas suisses soient autorisées à investir dans ce genre de business ne passerait évidemment jamais aucune étape de réalisation. Est-ce donc que les considérations de morale et d’éthique sont bel et bien des enjeux politiques? Et quelles sont supérieures à celui du profit financier?
Il n’y a aucun doute que ce soit vrai dans la grande majorité des cas. Mais les débats sur les prochaines votations en vue posent question. Surtout ceux concernant l’initiative des jeunes socialistes concernant la «taxation des super-riches». Le 30 novembre, le peuple suisse devra décider s’il faut taxer les très grosses fortunes pour financer les mesures de lutte contre le réchauffement climatique.
Le camp du oui brandit des motifs éthiques, notamment les notions de justice face au concept du pollueur-payeur. Plus généralement, les partisans estiment que le bien commun peut être financé par les plus grosses fortunes, parce que cette ponction financière ne provoque que peu de souffrance chez les personnes concernées. Concrètement, cela peut signifier qu’un milliardaire doive opter pour le dernier modèle d’Audi à la place du dernier modèle de Bentley. De l’autre côté de la balance, il y a des pêcheurs ou des agriculteurs, dans les pays du Sud, qui ne parviennent pas, à cause du réchauffement climatique, à produire assez pour nourrir leur famille et doivent partir s’installer dans des bidonvilles insalubres.
«La Suisse se veut pourtant un pays porté par des valeurs»
Or, dans le camp du non, le principal argument peut se résumer ainsi: «Si nous taxons davantage les riches présents en Suisse, ils partiront et nous n’aurons plus rien du tout.» La Confédération prévient d’ailleurs qu’une acceptation de l’initiative pourrait signifier une baisse des recettes au lieu de l’augmentation espérée. Argument certes imparable. Mais argument de nature totalement pragmatique. Est-ce parce que le terrain éthique face à cette question est impraticable? Peut-être est il difficile de justifier éthiquement que l’achat d’une nouvelle Bentley soit prioritaire face à la faim qui tiraille les enfants d’un paysan éthiopien.
Mais le motif de ce blog n’est pas d’engager un débat pour ou contre l’initiative. Mais plutôt de se demander pourquoi, soudain, les enjeux financiers ont le pouvoir de détruire toute forme de réflexion morale? Ce qui renvoie à une question plus profonde qui est de savoir si la seule raison d’être de l’État est de préserver le pouvoir d’achat de ses citoyens. Mais si c’est le cas, pourquoi n’autorise-t-il pas le si rentable marché de la drogue, selon la question posée auparavant?
«Le partage des richesses est bien sûr au cœur»
La conscience habite-t-elle ainsi vraiment toujours la tête de la nation? Où l’intérêt individuel est-il finalement aux commandes? La Suisse se veut pourtant un pays porté par des valeurs. Sa devise n’est pas «Chacun fait ce qu’il veut et que les autres se débrouillent», mais «Un pour tous, tous pour un». De même, la Constitution nous dit dans son préambule que «la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres».
Des convictions qui rappellent fortement les valeurs chrétiennes. Le partage des richesses est bien sûr au cœur de l’Évangile. Les papes, même les plus conservateurs, sont depuis des décennies sur la même longueur d’onde à ce propos. Benoît XVI, par exemple, rappelait dans son Message de Carême 2008 que «nous ne sommes pas propriétaires mais administrateurs des biens que nous possédons: ceux-ci ne doivent donc pas être considérés comme notre propriété exclusive, mais comme des moyens à travers lesquels le Seigneur appelle chacun d’entre nous à devenir un instrument de sa providence envers le prochain».
L’Église possède-t-elle ou non toujours la bonne morale? Personne ne peut évidemment objectivement l’affirmer. Mais ce qui est sûr, c’est que contrairement à la politique, elle mettra toujours l’éthique au centre de sa réflexion.
Raphaël Zbinden
12 novembre 2025
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