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Homélie

Homélie du 9 avril 2017 (Mt 26)

Père Jean-Bernard Livio, sj – Eglise St-Joseph, Genève

Que rajouter après le récit que nous venons d’entendre. Le sépulcre est fermé, la pierre est scellée, on a même posté devant le tombeau une garde pour être sûr qu’il ne se passe plus rien : tout est bien fini !

Et pourtant tout avait si bien commencé : la liturgie de ce jour s’est ouverte sur le récit de l’entrée de Jésus dans Jérusalem, acclamé par la foule, qui l’avait accueilli comme son « roi ». C’est vrai déjà dans ce prologue, l’évangéliste Matthieu nous avait prévenu : Jésus n’entre pas dans la Ville en triomphateur, chevauchant un étalon à la tête d’une armée ; il est assis sur un ânon, le petit d’une ânesse, comme l’avait prédit, à peine un siècle plus tôt, le prophète Zacharie : « voici venir ton roi, plein de douceur ». Dans cette ville contrôlée dans tous les coins de rues par les soldats, écrasée sous le joug de l’occupant romain, on est tout à coup pris ce matin-là d’un fol espoir en LE voyant s’avancer, libre, alors que les bruits courraient de plus en plus insistant que le pouvoir cherchait à l’arrêter, que même les autorités religieuses voulaient sa peau : mais on se risque à y croire : « et si IL était celui qui allait nous libérer de l’étranger, rétablir la paix, redonner à son peuple la dignité ». Il n’en fallait pas plus pour improviser rapidement une marche triomphale, avec les vêtements que l’on pose à même le sol sous ses pas, en brandissant des rameaux que l’on agite avec enthousiasme.

Une foule en délire

Tout cela ne ressemble-t-il pas à nos excitations avant un match de football, où l’on arbore les maillots et les écharpes de son club, que l’on voit déjà vainqueur ? ou à cette foule en délire qui manifeste avec les calicots du parti que l’on sait en tête des sondages ? comme elle se sent forte cette foule en joie quand elle est réunie autour de celui qui gagne !  quand elle chante son adhésion à ce « roi » qui à coup sûr va remporter la victoire, ou du moins nous fait croire que tout va changer !

De la gloire du dimanche des Rameaux aux ténèbres du vendredi saint

Et pourtant tout autre est le ton de la Passion que nous venons d’entendre. Il y est certes encore fait mention de roi, mais c’est pour expliquer le motif de sa condamnation, une inscription que l’on suspendra à la croix : « roi des Juifs ». Comment peut-on passer si vite de la gloire du dimanche des Rameaux aux ténèbres du vendredi saint ? de la victoire au silence de l’échec ?

Quel est cet homme ?

Il y aurait tant à dire en méditant le récit de la Passion. Pour ce matin, laissez-moi juste, chers amis, chers auditeurs, retenir une piste parmi tant d’autres. Tout au long de la narration de Matthieu, une question demeure, lancinante, presque sans réponse : quel est cet homme ? Celui que nous avons suivi, enthousiastes, quand il disait de si belles choses, quand il faisait tant de merveilles, quand il nous faisait croire qu’au-delà de nos fermetures il y avait des possibles inespérés, quand il parlait à Dieu l’appelant son Père … Quel est cet Homme que nous réunit ici, aujourd’hui encore, quand il partage le pain, quand il nous donne la coupe, nous invitant à être avec lui dans le Royaume ? La question revient pratiquement dans chaque scène du récit ; et à chaque question de notre part Sa réponse est toujours la même : « c’est toi qui le dit ! »

Confesser qui il est pour moi

Oui c’est bien ainsi que nous sommes invités ce matin à entrer dans ce récit dont nous sommes au quotidien les acteurs. De disciples qu’Il invitait à le suivre, nous voilà devenus acteurs. Et notre principale mission est de Le reconnaître pour ce qu’il est. N’attendons plus de Lui qu’il se nomme : c’est à nous désormais de dire au monde qui IL est, et tout d’abord de confesser qui IL est pour moi !

Qu’ai-je à dire ?

Les réponses – dans le récit de Matthieu – sont à choix, multiples : celle Judas, pour le trahir, celle de Pierre pour le renier, celle de celui qui veut le défendre par la violence en tirant l’épée, celle les disciples qui, tous, fuient en l’abandonnant, celle des autorités religieuses qui l’accusent de ne pas être conforme à leurs doctrines, … Est-il ce Christ, ce Messie, ce Sauveur du monde tant attendu ? Il se tait, ou alors il réplique comme pour m’inviter à risquer un témoignage, à oser la vérité : « c’est toi qui le dit » ! Mais qu’ai-je à dire ?

De qui suis-je le témoin ?

D’autres réponses jaillissent, reprises aujourd’hui encore par des voix diverses et pas des moindres, qui le raillent, le traitent de déviance, voire de décadence !  Et notre interrogation rebondit : es-tu notre espérance, notre salut ? es-tu le roi ?

  • C’est toi qui le dit !

Etonnante réponse qui nous oblige désormais à prendre sa place, à nous engager, là où nous sommes, à reconnaître non seulement d’où IL vient, mais d’où je viens – non seulement de qui Il est, mais de qui suis-je le disciple, le témoin, l’ami !

Merveilleuse invitation qui nous permet de nous sentir appelé à nous impliquer, qui que nous soyons. Car pour disciples il n’a pas choisi les meilleurs, les plus forts, les plus intelligents, pour amis il ne choisit pas aujourd’hui une caste de privilégiés, mais il invite tout un chacun à sa suite …

Une suite qui prend en compte tout ce que l’être humain est appelé à vivre, dans la joie et dans le deuil, dans le succès et dans l’échec, dans la mort même,  pour que la Vie prenne sens.

Le récit de la Passion se termine par une fermeture.

Et nous restons avec notre interrogation : qui est-il cet Homme, que nous voyons prêt à tout donner, même à ceux qui l’ont lâché ?

Et si c’était là précisément où nous sommes invités à trouver du sens pour notre vie : oser trouver cette espérance dans notre quotidien, ce sourire qui finit par illuminer le visage fermé de l’autre, ce geste de partage qui enrichit le plus démuni, cette parole de réconfort qui ouvre toutes nos fermetures.

Invités à devenir « Fils de Dieu »

Amis qui m’entendez, seuls chez vous, ou au volant de votre voiture, dans une chambre d’hôpital, une salle de maison pour personnes âgées, dans votre cellule de prison, que le Seigneur vous aide à trouver la réponse juste à sa question : Il est votre ami, et vous êtes son enfant : tout au  long de sa vie, il n’a cessé de nous le faire comprendre. Lui le fils de l’Homme nous invite à devenir comme lui « Fils de Dieu ».

Cela me fait penser à cette rencontre que j’ai vécue il y a quelques années. J’avais reçu dans mon bureau une éminente personnalité, mais que je ne connaissais pas. Il avait appelé au secrétariat ; et c’est moi qui étais de garde ! Je l’ai reçu, écouté, longuement. Il portait des choses très lourdes, avait pris sur lui bien des décisions qui le nouaient, l’enfermaient dans le remords et la culpabilité. A la fin de l’entretien, pendant lequel je n’avais pas dit grand-chose – qu’y avait-il à dire ? il me fallait surtout l’écouter – il s’est levé et dans un dernier geste de demande, comme en mendiant, il me tendit sa carte de visite, en me disant comme pour se justifier : « Vous ne m’avez pas demandé qui je suis ! »

J’ai lu sa carte, toute pleine d’une succession de titres : professeur, docteur, membre de tel institut, fondateur de telle institution, etc.,…

Je l’ai regardé, une dernière fois ! Et je n’ai rien su de mieux que lui dire : « oh, il manque un titre sur votre carte ! » Il m’a regardé sévèrement, surpris je crois ! J’ai rajouté : il manque « fils de Dieu ».

Je ne l’ai pas revu, mais je ne l’ai jamais oublié.

AMEN.


Dimanche des Rameaux et de la Passion

Lectures bibliques : Isaïe 50, 4-7; Psaume 21,  8-9, 17-18a, 19-20, 22c-24a; Philippiens 2, 6-11;  Matthieu 26, 14–27, 66 (ou brève : 27, 11-54) – Année A

 

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9 avril 2017 | 09:20
Temps de lecture : env. 5  min.
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