Homélie du 04 août 2013
Prédicateur : Chanoine José Mittaz
Date : 04 août 2013
Lieu : Hospice du Grand-Saint-Bernard
Type : radio
A l’écoute de la parole de Dieu dans la réflexion, dans la méditation de notre foi, il nous arrive très souvent de réfléchir, de scruter le mystère de la pauvreté, de nos pauvretés ; de ce qui est misère en nous, de ce qui est petit en nous.
L’évangile de ce matin nous invite à poser un regard sur ce qui est richesse. Peut-être parce qu’il est tout aussi difficile de bien vivre nos richesses que de bien vivre nos pauvretés : l’une et l’autre doivent s’apprendre. La réflexion sur la richesse, dans l’évangile que nous venons d’entendre, est amorcée par cet homme qui demande à Jésus au milieu de la foule : « Maître, dit à mon frère de partager avec moi notre héritage ». Richesse, héritage.
A l’écoute peut-être de l’histoire de notre famille ou en tout les cas de l’histoire de Jean que nous connaissons, nous savons combien le partage d’un héritage est un moment délicat. Et ceci nous invite déjà à entendre que derrière le mot « richesse à partager », il n’y a pas que la question de l’argent : il y a la question « qui suis-je ? ». Si je ne reçois pas la part d’héritage qui me revient parce que j’appartiens à telle famille, et bien je ne me sens pas reconnu pour qui je suis. Richesse a à voir avec reconnaissance. C’est tellement vrai que quand on cherche à savoir qui est l’autre, on lui demande qu’est-ce qu’il fait comme profession, pour pouvoir le situer dans une échelle sociale et peut-être aussi économique. C’est évidemment un piège. C’est un piège parce que cela peut nous conduire justement à chercher de la reconnaissance en amassant les biens.
Vous l’avez entendu dans la parole de Dieu, dans la parabole que Jésus nous a proposé, cet homme très riche qui vivait dans l’abondance – et Jésus ne critique pas que cet homme était dans l’abondance – Jésus nous invite à discerner le chemin à suivre, à partir de cette réalité. Il est dans l’abondance et son soucis c’est que ses greniers sont déjà pleins et ils sont trop petits pour la récolte qui vient d’arriver. Que fait cet homme ? Il réfléchi en lui-même. Et vous connaissez la suite : il décide de construire un plus grand grenier, un plus grand entrepôt, pour entasser tout son blé. Et il se dit à lui-même « te voilà avec des réserves en abondance pour de nombreuses années, repose toi, mange, bois, jouis de l’existence ».
Il y a une grande tristesse dans cette attitude. La tristesse ce n’est pas qu’il n’a pas été charitable, au sens moral du mot. La vraie tristesse, c’est qu’il est dans un monologue intérieur. Il est seul cet homme. Il est aussi seul que celui qui a interpellé Jésus en disant « mais fais en sorte que mon frère partage avec moi parce que sinon je me sens seul, je ne me sens pas reconnu dans ces liens qui tissent mon existence ! » Le monologue intérieur, peut-être que chacune et chacun d’entre nous en a une expérience, de ces paroles qui tournent en rond à l’intérieur de nous même, de ces paroles qui nous empêchent d’être en lien avec l’autre, de ces paroles, de ces pensés qui nous sabotent et qui polluent notre regard d’espérance, notre regard d’émerveillement. On peut se demander d’ailleurs, si l’homme de la parabole, si sa vraie richesse ce n’est pas son monologue intérieur ; et voilà que la tristesse est encore plus désolante.
Parce que c’est quoi la richesse ? La richesse c’est ce qui m’emplie le cœur. Quelles sont mes préoccupations ? Quels sont mes désirs ? Quels sont mes projets ? Quels sont mes biens ? Et qu’est-ce que j’en fait ? Toutes ces questions là nous font découvrir où nous situons notre vraie richesse. Parce que la vraie richesse, ce n’est pas des billets de banque en soi ; c’est peut-être ce que j’en fais. La richesse ce n’est pas une opulence, c’est ma manière de me donner. Et quand cet homme se dit en lui-même – dans ce monologue triste – « repose toi, mange, bois, jouis de l’existence ! » ; ce ne sont pas ces verbes là qui font problème, c’est la manière de les vivre.
Rappelez-vous, dans un autre passage du même évangile, quand les disciples sont envoyés deux par deux en mission et qu’ils reviennent enthousiasmés par tout ce qu’ils ont pu offrir de leur richesse et de la présence de Dieu qu’ils avaient déjà pu intériorisé en eux-mêmes ; et bien Jésus leur dit « venez à l’écart et reposez-vous, un peu ». Se reposer, ce n’est pas contraire à l’évangile.
L’itinérance nous appelle, je le disais en introduction, à faire de nos richesses un chemin vers l’autre. Mais le repos, la paix, c’est une manière aussi d’être en lien avec sa profondeur, pour que le chemin vers l’autre ne me fasse pas oublier qui je suis. Nous avons certes à nous donner, à donner la richesse que nous sommes, mais nous avons aussi à prendre soin de qui nous sommes.
Dans le don de nous-mêmes, il ne s’agit jamais de se sacrifier : il s’agit plutôt de faire une œuvre sacrée, de consacrer notre vie pour une valeur, pour une présence qui fait notre richesse. Cet homme qui interpelle Jésus du milieu de la foule, il devait être bien triste, il devait être dans un conflit intérieur bien délicat. Parce qu’en général quand on a ce type de problème de famille et d’héritage, on ne le dit pas au milieu de la foule. On le dit, on se confit dans le secret, ou alors si parfois on le crie c’est parce qu’il y a tellement de souffrance que l’on en devient violent. Cet homme ne parvient plus à parler à son frère, et en ne parvenant plus à parler à son frère, il risque de faire de Jésus un juge et non plus un sauveur, et non plus un frère qui partage notre condition humaine. Ce que vit cet homme, chacune et chacun d’entre nous le vit également. C’est pourquoi Jésus, lorsqu’il offre cette parabole, il ne s’adresse plus à cet homme mais il s’adresse à toute la foule qui est là. Chacune et chacun d’entre nous est concerné par ce questionnement. « Jouis de l’existence, mange et bois », ces verbes sont aussi importants.
Qu’est-ce que nous célébrons ce matin ? Nous célébrons le mystère où Jésus nous dit « prenez et mangez en tous, ceci est mon corps livré pour vous ; prenez et buvez en tous, ceci est mon sang livré pour vous ». Il nous offre sa présence comme son unique richesse et il nous appelle à faire de même quelle que soit l’histoire de notre vie, sans nous perdre en nous-mêmes dans ces monologues de culpabilité, mais en osant croire au cadeau que nous sommes, puisque Dieu désire être accueilli en nous. Aussi, jouir de l’existence, ce n’est pas éprouver le plaisir pour soi, un plaisir égoïste, chargé d’amertume. Jouir de l’existence, c’est se réjouir que ma présence puisse dessiner le sourire sur le visage de l’autre. Mais nous le savons là aussi, et c’est peut-être notre pauvreté, nous pouvons parfois nous donner pour offrir cette présence souriante et l’autre ne le reçoit pas. Dans ces moments-là, disons nous simplement que nous sommes au Vendredi Saint. Et Saint Paul nous invite à oser continuer à regarder vers les réalités d’en haut parce que nous sommes ressuscités avec le Christ.»
18e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Ecclésiaste 1, 2 ; 2, 21-23; Colossiens 3, 1-5.9-11; Luc 12, 13-21
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