Homélie du 10 février 2013

Prédicateur : Chanoine Jean-Claude Crivelli
Date : 10 février 2013
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

Nous sommes façonnés par notre environnement, en particulier par le cadre géographique où nous évoluons le plus souvent. Ainsi ce n’est pas la même chose que d’habiter au bord d’un lac ou au bord de la mer et d’habiter dans un site rigoureusement délimité par un horizon restreint. La différence est évidente quand vous comparez les localités situées au bord du lac Léman et celles qui se trouvent dans les étroites vallées alpines – St-Maurice par exemple. C’est encore bien plus évident quand vous comparez cette dernière localité avec les Sables d’Olonne (Vendée) ! Il y a des sites qui favorisent l’enracinement et la tradition, qui inspirent la confiance et la sécurité, et d’autres qui invitent à la découverte, à foncer vers l’inconnu et l’aventure. L’être humain a besoin des deux : nous trouvons notre équilibre en naviguant sans cesse de l’un à l’autre.

Dans les évangiles il y a des lieux clos – par exemple la synagogue de Nazareth (voir l’évangile du 3ème dimanche) d’où Jésus est expulsé car « aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie » (Lc 4, 24) – et des lieux ouverts comme celui où nous nous trouvons avec l’évangile d’aujourd’hui. Les récits de vocation se passent le plus souvent dans de tels endroits : nous voici au bord d’un lac, Génésareth. Les évangiles de Matthieu et de Marc parlent d’une mer, la mer de Galilée, élargissant ainsi le cadre du récit.

Nous voici donc face à la mer et en compagnie de navigateurs, des pêcheurs en l’occurrence. Remarquez cependant que les pays de montagnes et de vallée ont aussi leurs navigateurs : ce sont les alpinistes qui escaladent les sommets. Avec ceux-ci nous tenons l’image de la montée qui est une figure d’ouverture. Toute vie humaine, qu’elle se passe dans une cellule ou au fond d’une vallée ou bien sur un littoral, est appelée à s’ouvrir. Le déclic d’une vocation est donné par la vision de l’immense (littéralement « ce qui n’a pas de limite »), d’un horizon qu’on ne peut pas mesurer, qui nous dépasse. Ce à quoi chacun d’entre nous est appelé – qu’il s’agisse de l’enfant ou de l’adolescent qui se trouvent face à l’inconnu de la vie ou qu’il s’agisse du vieillard qui lui se trouve face à l’inconnu de la mort – c’est un horizon infini, lequel nous apparaît à la fois beau, séduisant, exaltant, et angoissant, terrifiant même. La vie est belle mais elle nous fait peur aussi.

C’est devant l’infini de Dieu, sa sainteté – Dieu est le Tout Autre et l’homme n’est rien – que le prophète Isaïe découvre sa vocation. L’immense comme un appel. C’est devant la quantité terrifiante de poissons que Pierre se découvre appelé. « L’effroi l’avait saisi » dit l’évangile. Les difficultés qui assaillent nos vies nous paraissent souvent immenses. Est-ce que j’y arriverai ? Est-ce que je parviendrai à reconstruire ma vie, à repartir après un choc, après un échec ? Est-ce que cela en vaut la peine ? Vais-je m’engager à nouveau ou bien vais-je rester tranquille dans mon coin ? Autant de questions que nous nous posons les uns et les autres. Et, au cœur même de ces questions, l’évangile de ce dimanche nous murmure : « Avance au large » (Luc 5, 4).

« Avance au large », parole qui est un appel. Le disciple du Christ est appelé à vivre la situation qui est la sienne dans une perspective vocationnelle. Qu’il s’agisse de la profession que j’exerce, des rencontres de ce jour, de mes activités quotidiennes. L’Esprit de Dieu saisit l’homme là où il se trouve. Les disciples de notre évangile exercent un métier ordinaire ; ils sont des pêcheurs. C’est dans ce cadre ordinaire que retentit la parole qui appelle à vivre mieux, bien plus à vivre autre chose, plus grand, plus exaltant. « Désormais ce sont des hommes que tu prendras » (Luc 5, 10). L’horizon change du tout au tout.

Au Musée d’art et d’histoire de Genève, il y a un tableau bien connu : « La pêche miraculeuse » du peintre Konrad Witz (XVe s.). A la fin du Moyen Age, Witz est déjà un peintre moderne, un artiste de l’art nouveau : il situe l’évangile dans un décor réaliste, soit Genève avec le Salève et le Môle. Il peint pour le retable de la Cathédrale Saint-Pierre, mais il peint la vie. Quand l’Évangile du Christ nous demande d’avancer au large, de suivre Jésus, il ne nous demande pas nécessairement de quitter notre cadre de vie ; mais d’y vivre autrement, de manière ouverte. Dans le moment que je suis en train de vivre, quelle possibilité d’ouverture y a-t-il ? Dans ce qui m’arrive, dans ce que je fais, dans ce qui vient à moi, quelle ouverture puis-je pratiquer ? Or l’ouverture qui accomplit notre vocation d’homme et de femme, c’est fondamentalement l’ouverture aux autres. L’horizon de ma vie fraternelle, de mes liens conjugaux, de mes relations professionnelles, de ma vie en Eglise. Le disciple de Jésus est un pêcheur d’hommes : il a pour vocation de rassembler, de créer des liens, de travailler à la proximité entre les êtres, de les arracher à leur mauvaise solitude. La tâche est immense comme la mer. Nous savons pourtant que celui qui nous appelle a déjà franchi la mer et qu’il nous attend sur l’autre rive – comme le Christ dans le tableau de Konrad Witz.»

Lectures bibliques : Isaïe 6, 1-20.3-8; 1 Corinthiens 15, 1-11; Luc 5, 1-11

10 février 2013 | 15:51
par Barbara Fleischmann
Temps de lecture : env. 4  min.
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