Homélie du 11 août 2024 (Jn 6, 41-51)
Chanoine José Mittaz – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS
« C’en est trop ! Je n’en peux plus ! » C’est le cri du prophète Elie au nom de tous ceux qui titubent de douleur. Parce que ça fait tellement mal quand soudain les appuis sur lesquels je construisais ma confiance se dérobent sous mes pieds. Ça fait tellement mal quand ma propre boussole s’affole et que je ne sais plus ni où j’en suis, ni où je vais. On peut entendre que le prophète Elie soit tenté de démissionner de lui-même et qu’il soit tenté par la mort : « Maintenant Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie. »
Le cri de désespoir est à entendre, sans jugement aucun. Regardez l’attitude de l’ange du Seigneur : il ne fait pas la morale à Elie alors qu’il aurait facilement pu lui rappeler pourquoi le prophète est en train de fuir l’hostilité de la reine Jézabel. En effet, Elie s’était laissé emporter par une violence dévastatrice : après avoir été lui-même reconnu comme le prophète du Seigneur, il avait ordonné le massacre de tous les faux-prophètes. Pas étonnant qu’Elie endure ce que le psalmiste a si bien décrit : « Son mauvais coup lui revient sur la tête, sa violence retombe sur son crâne. » (Ps 7,17) En fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, Elie chercherait-il à échapper à sa propre violence ?
Sans ouverture à l’autre, pas de libération de soi
Comment sortir de cette spirale infernale où la violence effectivement endurée justifie l’agression commise en retour ? Bien évidemment, on peut penser à la Terre Sainte dévastée par des haines fratricides ou à tant d’autres conflits armés de par le monde où les frontières se crispent sur elles-mêmes, oubliant leur vocation d’ouverture, d’échanges et d’accueil. Et pourtant sans ouverture à l’autre, je crois qu’il n’y a pas de libération de soi. Seule une présence bienveillante à ses côtés permet de reprendre peu à peu conscience de qui je suis, dans le respect des frontières, celles qui me séparent de l’autre, mais aussi celles qui me relient à l’autre.
Elie reconnaît le passage du Seigneur dans sa vie
En fuyant au désert, le prophète Elie s’ouvre à un infini, telle une présence qui lui donne de reprendre souffle au fur et à mesure qu’il s’autorise à prendre du recul par rapport aux événements violents qui l’ont sur-sollicité. Au rythme du pas, il se laisse apprivoiser par cette immensité silencieuse qui lui murmure déjà, tout au long de sa première journée de marche, l’insignifiance de sa toute-puissance ravageuse. Quarante jours plus tard, Elie en recevra la confirmation sur le mont Horeb : à l’abri du rocher, il reconnaîtra le passage du Seigneur dans sa vie, non pas au cœur de l’orage qui gronde et saccage, mais au creux d’un souffle ténu qui l’appelle à poser des gestes concrets de bienveillance au service de la vie.
L’infini du désert rappelle à l’homme sa finitude. Après une journée de marche, Elie devient vulnérable et certainement ressent-il le besoin d’une présence à ses côtés. Pour seul abri, il trouvera l’ombre d’un buisson auprès duquel il pourra peu à peu se reconnaître,… tout aussi rabougri que lui : « Je ne vaux pas mieux que mes pères ! », s’exclame-t-il en présence du Seigneur et à l’ombre du buisson. Comment ne pas se rappeler l’expérience de Moïse au buisson ardent ? La fragilité du buisson peut devenir l’écrin d’une vie transfigurée.
La prévenance de Dieu
En reconnaissant sa vulnérabilité à l’ombre du buisson, Elie s’ouvre à la rencontre. Et c’est alors seulement que le Seigneur peut prendre une initiative : « Lève-toi et mange ! » La parole de vie est prononcée par l’ange, une présence prévenante et pleine d’humanité. Alors qu’Elie s’était assoupi de tristesse, un peu comme les disciples à Gethsémani (Lc 22,45), l’ange est là, empli de bienveillance à son chevet. Sans faire de bruit, il a ramassé le petit bois pour allumer le feu. Et sur la pierre chaude, il a pris soin de déposer la galette après l’avoir tendrement façonnée. La prévenance de Dieu est pleine d’humanité, cela peut nous inspirer, mais elle se vit souvent à notre insu.
« Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore »
Sans se décourager, l’ange renouvellera son geste de bonté. Elie en sera fortifié jusqu’à pouvoir s’engager courageusement dans l’épreuve : 40 jours et 40 nuits d’une marche orientée vers la montagne du Seigneur reconnue dans le Mont Horeb dont le nom évoque pourtant la désolation.
L’ascension du Mont Horeb, c’est la désolation surmontée ou pour reprendre les mots de Georges Bernanos, c’est le désespoir surmonté. Ainsi s’exprimait-il dans une conférence à l’issue de la seconde guerre mondiale : « Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au bout du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore. Le démon de notre cœur s’appelle : ›A quoi bon !’. L’enfer c’est de ne plus aimer. […] On ne saurait expliquer les êtres par leurs vices, mais au contraire par ce qu’ils ont gardé d’intact, de pur, par ce qui reste en eux de l’enfance, si profond qu’il faille chercher. »
« Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore. » Sur ce chemin d’espérance, l’enfant en chacun de nous peut apprendre à s’émerveiller devant les étoiles. Il y puisera ainsi de la force, peut-être pas pour accomplir mille pas, mais juste pour oser le pas suivant : celui qui est possible aujourd’hui. Oui, au nom de tous les enfants de Dieu, nous pouvons dire : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. »
19e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : 1 Rois 19, 4-8 ; Psaume 33 ; Ephésiens 4, 30 – 5,2 ; Jean 6, 41-51
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