Homélie du 13 mars 2022 (Lc 9, 28b-36)
Didier Berret, diacre – Église Notre-Dame de l’Assomption, Saignelégier
Le rite ancestral – et à nos yeux sous doute un peu barbare – qu’Abraham est invité à accomplir, consiste à placer face-à-face deux parties d’animaux divisées et meurtries. Deux parties qui appartenaient initialement à un même corps et qui désormais s’opposent, déchirées. Une fois déposées sur l’autel, Abraham prend soin seulement d’éloigner les rapaces. Pour le reste, il s’en remet à Dieu. D’abord rien ne se passe. Puis, une fois la nuit tombée, quand personne n’y voit plus clair, une torche enflammée sort d’on ne sait où et vient combler de lumière l’espace entre les deux parties. Pour les appondre. Un peu comme dans l’art japonais du Kintsugi on répare des vases brisés en les soudant avec de l’or.
Le rôle d’Abraham a été de lever les yeux au ciel, d’épargner les colombes messagères de paix qui relient terre et ciel, de préparer l’autel – la table des négociations – et de s’en remettre à Dieu. Et dans la nuit, après des ténèbres épaisses, la lumière s’est invitée.
Prier pour que la lumière de Dieu passe entre deux parties opposées
Il vaut la peine de prier pour que la lumière de Dieu passe entre deux parties opposées, les illumine et crée une alliance nouvelle.
On n’est pas très loin de cela dans le récit du nouveau Testament, dans lequel, Jésus, lumière, se manifeste au milieu de deux personnes. Deux parties qui ne se font pas la guerre du tout mais qui représentent à leur manière une tension entre le passé et le futur, la stabilité et l’inconnu. Moïse, le grand fondateur représente le passé. Il s’offre garant de la tradition, celle sur qui le peuple juif s’appuie pour vivre et pratiquer sa foi. Moïse le plus humble et le plus grand des prophètes d’un côté, et de l’autre : Elie, annonciateur des temps nouveaux, dont les juifs d’aujourd’hui attendent encore toujours le retour. Une place vide à table lui est réservée au cas où il revienne. Elie est le messager d’un futur riche de la promesse d’un monde nouveau mais, par définition, ce monde nouveau s’avère incertain. Grâce à Moïse on sait ce qu’on a. Tandis qu’avec Elie on est suspendu à l’attente, à l’espérance. Et les voici ensemble : Moïse, Elie et au milieu, en trait d’union, pour récapituler l’histoire, celui qui est présent, celui qui est présence : Jésus, lumière.
Les deux scènes (la transfiguration et l’alliance de la Genèse) se passent dans la nuit. Abraham avait sombré dans un sommeil mystérieux, c’est-à-dire dans un sommeil qui conduit au mystère ; les disciples accablés de sommeil, résistent mais croient rêver. Et dans les deux cas la lumière éblouissante se manifeste.
Jacques et Jean ne bougent pas. Pierre rêve d’immortaliser l’instant. « Vite, un selfie ! » « Montons des tentes… » Mais il est pris de court. L’immortalité ne se manifeste pas dans du figé, mais dans du mouvement. Une voix du ciel appelle. Elle s’adresse à Jésus d’abord : il est mon fils, je l’ai choisi. Paul dans son épitre aux Philippiens nous fait comprendre qu’elle s’adresse en réalité à tous : « vous êtes citoyens des cieux… » vos corps fragiles sont tissés de lumière. Nous sommes bien plus que ce que nous voyons.
Apprendre à regarder autrement
A la transfiguration Jésus donne à voir autre chose : ce qu’en dehors de la foi, nous ne pouvons pas voir. Peut-être pour que nous apprenions à regarder autrement, dans la foi ceux que nous ne pouvons pas voir. Certains disent que l’amour rend aveugle. C’est une immense bêtise. Seul l’amour offre une vision claire. Persévérer dans la quête de la lumière c’est orienter son regard du côté de la beauté du royaume. Regarder les autres, se regarder soi-même comme citoyens des cieux. Dans cette beauté et cette grandeur-là. Les chrétiens des premiers siècles ne s’y sont pas trompés lorsqu’ils ont construit la première église de la transfiguration sur le mont Thabor en Galilée. Ils l’ont faite ronde avec l’autel au milieu et des bancs tout autour. Pour que tout le monde se voit. Mieux pour que personne ne s’ignore. Impossible, dans cette église, de regarder l’hostie sans voir les autres en face et impossible de regarder les autres en face sans voir aussi l’hostie.
Moïse en face d’Elie. Un frère, une sœur en face d’autres sœurs et d’autres frères. Et au milieu, toujours, Jésus-lumière.
2e DIMANCHE DE CARÊME
Lectures bibliques : Genèse 15, 5-12.17-18 ; Psaume 26, 1, 7-8, 9abcd, 13-14 ; Philippiens 3, 17–4, 1 ; Luc 9, 28b-36
Les droits de l’ensemble des contenus de ce site sont déposés à Cath-Info. Toute diffusion de texte, de son ou d’image sur quelque support que ce soit est payante. L’enregistrement dans d’autres bases de données est interdit.