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Homélie

Homélie du 15 décembre 2019 (Mt 11, 2-11)

Cardinal Kurt Koch – Collégiale de Saint-Ursanne (JU)

Messe solennelle d´ouverture du 1400e anniversaire de la mort de Saint Ursanne

DÉSIR DE LA VIE ÉTERNELLE ET RESPONSABILITÉ POUR LA DESTINÉE TERRESTRE

Le témoignage de saint Ursanne

« Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas des hommes pour aller chercher du bois, préparer des outils, attribuer des tâches, répartir le travail mais fais naître en eux le désir de la mer vaste et infinie ». Si nous transposons ces paroles de sagesse de l’écrivain français Antoine de Saint-Exupéry à la foi chrétienne et à sa proclamation aujourd’hui, il faudrait les modifier par analogie de la manière suivante : il est beaucoup plus important d’éveiller aujourd’hui chez les êtres humains le désir du vaste océan de la vie éternelle que d’organiser la vie présente.

C’est cette conviction qui a porté saint Ursanne dont nous commémorons et célébrons le 1400e anniversaire de la mort. Selon la tradition, il fut un compagnon de saint Colomban, vint en Suisse, traversa principalement les vallées du Jura et vécut en ermite dans une grotte au-dessus de la ville qui a pris son nom, Saint-Ursanne. Il a agi en tant que messager de la foi et apporté dans notre région le beau message de la foi chrétienne : Dieu, qui nous a révélé son visage en son Fils Jésus Christ, nous aime tant, nous les humains, qu’il n’accorde pas le mot de la fin à la mort, mais au contraire se réserve le dernier mot, qui est celui de la vie, plus précisément de la vie éternelle avec et en Dieu.

Cet à-venir (avent) qui nous vient de Dieu

Susciter ce désir du vaste océan de la vie éternelle parmi les hommes est le véritable motif qui a conduit saint Ursanne dans la région du Clos du Doubs. Il a ainsi proclamé le message qui est au cœur du temps de l’Avent, tel qu’il apparaît dans la lecture de l’Épître de saint Jacques que nous avons entendue aujourd’hui. Nous y sommes confrontés à un cultivateur qui attend le précieux fruit de la terre pour nous exhorter à persévérer avec patience jusqu’à la venue du Seigneur. Car l’Avent dirige notre attention vers l’avenir, cependant pas vers ce futur auquel nous, les êtres humains, nous nous intéressons et que nous pourrions nous-mêmes susciter, mais vers cet à-venir (avent) qui nous vient de Dieu et par lequel lui-même se fait homme.

La figure adventiste par excellence est donc Jean le Baptiste, qui se trouve au cœur de l’Évangile d’aujourd’hui et dont la tâche est ainsi décrite : « Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi ». Jean le Baptiste fut le précurseur de Jésus Christ. Il ne s’est donc jamais mis en avant, mais s’est toujours détourné de lui-même pour indiquer le Christ seul qui venait. Le peintre Matthias Grünewald lui a rendu hommage dans une œuvre magnifique. Au centre du Retable d’Issenheim mondialement connu qui se trouve à Colmar s’élève la croix de Jésus Christ devant un paysage sombre et vide. À droite de la croix est représentée la puissante figure de Jean-Baptiste. La main tendue que prolonge de manière expressive son index, il indique le Crucifié. La phrase inscrite sur le tableau : « Il faut qu’il grandisse et que moi, je diminue » représente ce que fut la vie du Baptiste : il est un index personnifié qui indique Jésus Christ.

La force de nous engager dans la construction d’une société humaine

De même, saint Ursanne fut lui aussi un index parlant. Il vint dans la belle région du Jura pour indiquer le Christ, qui nous offre la vie éternelle, et pour éveiller en nous les humains le désir ardent du vaste océan de la vie éternelle. Certes, cette aspiration ne nous détourne en aucun cas de nos tâches dans la vie présente ; au contraire, elle nous invite à décider de ces tâches. Les paroles de sagesse d’Antoine de Saint-Exupéry contiennent également cette invitation : si l’on veut construire un bateau, il vaut bien mieux éveiller le désir de la mer vaste et infinie plutôt que d’aller chercher du bois, préparer des outils, attribuer des tâches, répartir le travail. Dès que le désir de cette mer immense et sans fin sera éveillé, les hommes iront immédiatement au travail et construiront le bateau prévu. De même, le désir chrétien de la vie éternelle ne ternit pas le regard que nous posons sur la vie terrestre actuelle, mais nous donne la force de nous engager dans la construction d’une société humaine et d’œuvrer pour la dignité de chaque être humain, comme beaucoup de chrétiens l’ont fait avant nous.

Aujourd’hui précisément, je pense aux moines comme saint Ursanne qui vécurent au VIIe siècle. Ils aspiraient à rejoindre la patrie qu’est la la vie éternelle et quittèrent donc leur patrie terrestre en Irlande pour chercher le Christ et témoigner de lui comme des étrangers en pays étrangers. C’est en suivant ce chemin qu’ils sont devenus les grands civilisateurs et cultivateurs du paysage européen. Car la véritable responsabilité sur cette terre découle de l’espérance chrétienne en l’au-delà. La ville de Saint-Ursanne en est un très bel et éloquent exemple. Elle fut construite à l’endroit où vécut et œuvra saint Ursanne entre 612 et 619. Sur la tombe de saint Ursanne, saint Wandrille et d’autres moines bâtirent d’abord un monastère et plus tard une nouvelle abbaye dont les fondations servirent à l’édification de la ville de Saint-Ursanne.

Un précieux héritage

Ce souvenir historique contient un précieux héritage, qui nous engage aujourd’hui également. La ville de Saint-Ursanne doit toujours avoir conscience qu’elle est construite sur un saint. Elle a donc la grande responsabilité de protéger dans la société d’aujourd’hui ce qui est sacré. Car il est urgent de réapprendre à respecter profondément le sacré : le respect de la sainteté de la vie humaine, de son début jusqu’à sa fin naturelle, de la sainteté de chaque être humain en tant qu’image de Dieu et de la sainteté de la création aujourd’hui tant menacée. Ce qu’Eugène Ionesco, fondateur du théâtre de l’absurde, a souligné avec la passion d’un homme assoiffé de sens, devrait nous faire réfléchir : « Nous avons besoin de l’intemporel : qu’est-ce que la religion sans le sacré ? Il ne nous reste rien, rien de solide, tout est en mouvement. Nous avons besoin d’un rocher, cependant. »[1]

Oui, nous avons besoin d’un rocher. Certes, nous chrétiens n’identifions pas ce rocher qui nous est nécessaire dans le sacré en soi, mais seulement dans le plus haut des saints, dans le Dieu vivant qui vient. Saint Ursanne a témoigné de lui. Témoigner de lui encore aujourd’hui dans la société est l’héritage que nous a laissé notre saint, qui est à l’origine de cette ville si caractéristique. Aujourd’hui encore, nous voulons garder vivant cet héritage, en particulier en ce temps de l’Avent, qui nourrit en nous le désir de l’immense océan de la vie éternelle avec Dieu.


[1] E. Ionesco, Gegengifte (München-Wien 1979) 158-159.



3e DIMANCHE DE L’AVENT, de Gaudete
Lectures bibliques : Isaïe 35, 1-6a.10; Psaume 145, 7, 8, 9ab.10a; Jacques 5, 7-10; Matthieu 11, 2-11

| © Bernard Hallet
15 décembre 2019 | 09:40
Temps de lecture : env. 5  min.
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