Homélie du 15 mars 2015
Prédicateur : Abbé Guy-Michel Lamy
Date : 15 mars 2015
Lieu : Eglise du Sacré-Coeur, paroisse de langue française, Bâle
Type : radio
« L’Amour n’est pas aimé »
Frères et Soeurs,
Jacopone da Todi! L’abbé Zundel fait souvent référence à lui dans ses homélies et, en particulier, dans son livre intitulé: « Quel homme et quel Dieu? ».
Issu d’une famille noble de la province d’Ombrie, en Italie, la province de François d’Assise, il s’appelait en réalité Jacques de Benedetti. Né vers 1230, à Todi justement, il se maria après avoir étudié le droit et obtenu un doctorat en cette matière à l’université de Bologne, la plus ancienne d’Europe avec celle de Montpellier. Mais la mort accidentelle de sa femme, qu’il perd alors qu’il n’a pas encore 40 ans, le plonge dans ce qu’on appellerait aujourd’hui une grave crise existentielle.
Après être devenu tertiaire de l’ordre des franciscains, fondé près de 60 ans auparavant, il en devient frère lai et se met à écrire dans son dialecte ombrien des sortes de poèmes appelés « laude » qui, à l’instar des Psaumes, abordent divers sujets reflétant les préoccupations des hommes de tous les temps et du sien en particulier. Sur la situation critique de l’Eglise, entre autres. C’est l’époque du pape Célestin V, saint Célestin V, qui finit par abdiquer quatre mois seulement après son élection qui eut lieu après plus de deux ans de vacance du Saint-Siège consécutive à des luttes intestines entre grandes familles romaines.
Le pape Benoit XVI s’était lui-même recueilli sur son tombeau peu avant sa propre abdication, mais alors qu’il se trouve toujours au Vatican avec le pape François, Célestin V avait été placé, jusqu’à sa mort en résidence surveillée dans un château de province pour son propre successeur, le fameux Boniface VIII, inventeur de la non moins fameuse tiare que Paul VI fut le dernier à porter en 1963.Pour en revenir à Jacopone da Todi (le bon Jacques de Todi, ainsi que les gens l’appelaient), il est l’auteur de cette magnifique expression à propos de l’amour divin: « L’Amore non è amato » (L’Amour n’est pas aimé).
Arrêtons-nous un instant sur ces mots. Nous concernent-ils? En d’autres termes, pourquoi croyons-nous, ou plutôt à quelle catégorie de croyants nous rattacherions- nous?
« Le grand défi, écrit Antoine Dalzant dans un livre publié en 2006 et intitulé « Croire quand même » (comme on dirait: Croire pour rien); le grand défi, quoi qu’on
en dise, n’est pas celui de l’athéisme. L’athée véritable (comme il y a des croyants véritables, ajouterais-je) est au fond complice du croyant puisqu’il passe une
partie de son temps à essayer de prouver par ses raisonnements et dans son action que Dieu n’existe pas. A sa façon, il est témoin de l’absolu ».
L’indifférence à l’égard de Dieu, pour autant qu’elle puisse exister jusqu’à notre dernier souffle, pour autant qu’une âme puisse être distraite jusque sur le lit de mort, est autrement plus dramatique.
Quant aux croyants, il en est de toutes sortes dans le fond, indépendamment même du fait que 1e Christ se transforme en nous-mêmes à mesure que nous vieillissons. On peut croire par nécessité logique ou causale, un peu à la manière d’Einstein qui avait un jour déclaré croire en Dieu parce qu’un univers sans Lui était trop difficile à concevoir. On peut croire aussi par intérêt, un intérêt prosaïque, comme cette religieuse qui avait dit un jour à Anne Green, la sœur de Julien (je cite de mémoire): « Le Paradis, ça vaut bien la peine de manger des carottes pendant toute une vie au couvent »!
On peut croire par peur de l’Enfer, par hérédité culturelle et cultuelle, et c’est ici que l’on peut, avec Karl Barth, opposer foi et religion. Les raisons de croire ne manquent pas!
Ce pharisien, Nicodème, qui vient rencontrer Jésus, nous est plutôt sympathique, même si son nom a passé dans le langage courant pour désigner un nigaud, parce qu’il pose des questions apparemment naïves. C’est quand même un chercheur de Dieu. Après tout, il se déplace de nuit pour rencontrer Jésus. Par peur des Juifs, nous dit-on, mais il aurait pu tout aussi bien rester chez lui dans le confort de sa maison. Sortir de nuit pour aborder des questions métaphysiques, ça ne vient pas forcément à l’esprit du premier-venu. C’est d’ailleurs encore une fois à la nuit tombée, le vendredi-saint, que, fidèle à Jésus jusqu’au bout, il oindra son cadavre descendu de la croix selon la coutume juive avec plus de 32 kilos de myhrre et d’aloès dont il s’était pourvu. Cet homme par ailleurs, qui avait soi-disant peur des Juifs, avait aussi défendu la réputation de Jésus de son vivant face aux grands prêtres et aux pharisiens en leur adressant ces mots courageux: « Notre loi condamne-t›elle un homme sans qu’on l’entende et qu’on sache ce qu’il fait? » Oui, défendu le Christ! Alors qu’en général, qui défend qui? Le monde n’est-il pas rempli de Ponce-Pilate à tous les niveaux institutionnels, y compris dans l’Eglise, et pourquoi pas? Mais en défendant Jésus, il s’attire cette réflexion à vrai dire si stupide de la part de ces mêmes grands prêtres et pharisiens: « Serais-tu Galiléen, toi aussi? Etudie! Tu verras que de la Galilée, il ne surgit pas de prophète ». On a envie d’ajouter: « Na »! « Etudie »! Lui à qui Jésus avait dit: « Tu es Maître en Israél… » (Jn. 3, 10).
Quant à nous, Frères et Sœurs, aimons-nous l’amour de Dieu? Répéterions-nous comme saint Augustin, mais à l’égard de Dieu: « Amabam amare » (j’aimais à aimer).
N’aimerions-nous pas Dieu parfois comme on aime des idoles? « La plus considérable, écrivait Julien Green, est Dieu tel que nous nous formons de Lui notre idée ». « Dieu n’existe pas », disait Maître Eckhart, le dominicain et théologien allemand des Xlllème et XlVème siècles qui enseigna pas très loin d’ici, à Strasbourg, et passe pour le plus éminent représentant de la mystique rhénane. « Dieu n’existe pas »! Ce Dieu que nous fabriquons parfois. Et le grand Bossuet lui-même de renchérir: « Dieu est tout, mais il n’est rien de ce que vous dites ». C’est ce qu’on appelle la théologie négative qui nous dit tout ce que Dieu n’est pas pour essayer de mieux comprendre ce qu’il est.
« L’Amore non è amato », l’Amour n’est pas aimé. Dieu est venu dans le monde et en a été refusé: « En vérité, écrivait Maurice Zundel, ce qui se passe dans le monde, ce n’est pas la tragédie de l’homme, c’est la tragédie de Dieu ». Avec ce refus obstiné de la Vérité, de l’Amour et de la Lumière jusqu’à son paroxysme: la crucifixion.
« Une fois élevé de terre, j’attirerai tout à moi », dit Jésus (Jn. 12, 33), Certes, mais pourra-t’il jamais nous sauver sans nous? Amen.
4e dimanche du Carême
Lectures bibliques : 2 Chroniques 36, 14-16.19-23; Psaume 136 (137); Ephésiens 2, 4-10; Jean 3, 14-21
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