Homélie du 17 août 2014
Prédicateur : Abbé David Roduit
Date : 17 août 2014
Lieu : Hospice du Grand-Saint-Bernard
Type : radio
Ma force ! Quelle force ?
Tel s’est montré le thème de notre réflexion depuis Ferret jusqu’à l’hospice du Grand-Saint-Bernard, avec les jeunes et tous les autres pèlerins. A partir de notre histoire personnelle, de nos expériences, nous avons pu réfléchir sur les ressources dont nous disposons, sur ce qui nous maintient d’aplomb, debout ( !). Notre cheminement extérieur a accompagné un pèlerinage à l’intérieur de nous-mêmes, vers nos forces de vie, nos raisons de vivre.
L’évangile de ce jour, de la rencontre entre Jésus et la Cananéenne, nous aide à poursuivre notre recherche. D’abord à travers la figure de Jésus lui-même qui se retire à l’étranger, loin de la foule, pour souffler un peu, se reposer et se retrouver avec son Père. Même lui a eu besoin de s’arrêter pour refaire ses forces ! Ensuite, à travers la figure de la Cananéenne sur laquelle nous allons nous attarder plus longuement.
La femme que Jésus rencontre dans la région de Tyr et de Sidon est au regard d’un Juif bien à plaindre ! Elle cumule les tares, si l’on peut dire. Rappelons-nous que dans la société machiste de l’époque, on méprisait trop souvent les femmes. De plus, celle-ci était une étrangère et n’appartenait pas à la religion juive, mais à celle idolâtre des Cananéens à laquelle Israël s’était confronté lors de son entrée en Terre promise. Ces païens adoraient le dieu de l’orage, Baal, et la déesse de la fertilité, Astarté, auxquels ils vouaient même des sacrifices d’enfants. Une horreur donc pour les Juifs ! Quand on sait que dans une bénédiction, l’homme juif remerciait Dieu, le Roi de l’univers, de ne pas avoir été créé païen, esclave ou femme, on mesure bien le peu d’estime dont devait jouir cette femme. Cette dernière n’a pas non plus été épargnée par la vie. Elle est blessée dans son existence, dans ce qu’elle a de plus précieux. Sa fille qu’elle a portée dans sa chair doit être cruellement malade. L’évangile la dit tourmentée par un démon.
A travers la pauvre Cananéenne se laissent reconnaître bien des visages de notre monde ou d’êtres chers, méprisés ou souffrants, que chacun porte dans son cœur. Comme elle, certains apparaissent bien fragiles, parfois désespérés même.
Et pourtant, alors que tout semble l’accabler, la Cananéenne va trouver la force de s’en sortir. On peut repérer trois attitudes qui permettent ce basculement, ce revirement de situation.
La première est qu’elle crie. Elle doit même hurler si fort qu’elle importune les disciples de Jésus qui souhaitent son départ. J’aime méditer sur ce cri.
C’est un cri de vie ! Cette femme ne veut pas de la maladie de sa fille. Elle se révolte contre ce qui empêche la vie de son enfant, elle désire lutter contre ce mal, qu’elle guérisse. Elle ne garde pas son mal et sa douleur à l’intérieur d’elle-même, comme le font ceux qui parfois ruminent leur malheur, mais l’extériorise.
C’est aussi un cri de demande ! Elle se tourne vers un autre, vers celui en qui elle mise tous ses espoirs. « Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David ! ». Il s’agit ici du « Kyrie eleison », du « Seigneur, prends pitié » que nous proclamons dans la liturgie pénitientielle à la messe ou, comme nous le ferons tout à l’heure, lors de la prière universelle. Est-ce que je prononce ces paroles avec la même conviction que cette femme ? Est-ce que je pense assez que Jésus, le Fils de David est le Messie sauveur de l’humanité et donc mon Sauveur ?
C’est encore un cri d’audace ! Elle était sans doute la moins bien placée pour déranger le Christ et solliciter une demande, mais elle ose. Elle fait le pas et se met en relation avec le groupe de Jésus et des disciples. Et moi, est-ce que j’ose crier vers Dieu mes souffrances, mes révoltes ?
La deuxième attitude est sa patience, sa persévérance. On est un peu étonné du comportement de Jésus qui d’abord ne répond rien. Puis, il lui adresse des paroles bien sévères : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens. » N’est-il pas troublé par la détresse de cette femme ? N’est-il pas pris de compassion pour elle ? Bien sûr que oui, d’autres passages d’évangiles nous dévoilent la tendresse de son cœur. Alors qu’on traitait parfois les païens de chiens, il semble que Jésus emploie à dessein une formule adoucie : les petits chiens, ceux qui font comme partie de la maisonnée, de la famille.
Le Christ veut peut être creuser en elle plus profondément sa foi avant de lui accorder sa demande. Il ne veut pas passer pour un magicien, un simple faiseur de miracles. Ou bien alors, Jésus désire lui faire comprendre que sa mission concerne prioritairement le peuple d’Israël. Durant toute sa vie, Jésus n’a fait que la volonté de son Père et c’est d’abord vers les brebis perdues du peuple élu qu’il a été envoyé. Le Christ sait aussi qu’il ne peut pas tout faire dans sa mission terrestre, il a pour l’instant un champ d’action limité. Mais ses disciples pourront après sa mort aller vers toutes les nations pour annoncer la Bonne Nouvelle.
La femme ne s’en laisse pourtant pas conter. Elle continue à croire, à espérer. Elle réitère sa demande. Elle accepte les remarques de Jésus et utilise même une de ses paroles pour le faire fléchir : « C’est vrai, Seigneur ; mais justement les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » La persévérante Cananéenne sera finalement exaucée.
La troisième attitude remarquable est sa confiance, sa foi que rien ne peut ébranler. Elle croit que Jésus peut sauver son enfant. Avec humilité, mais avec courage et conviction, elle s’en remet au Seigneur. Quel bel exemple à imiter ! C’est cette confiance je pense qui lui permet d’ailleurs les deux premières attitudes de crier vers Dieu et de ne pas se laisser décourager. Jésus lui-même s’émerveille : « Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu veux ». Et moi, dans la détresse, au lieu de ne compter que sur mes propres forces, est-ce que j’arrive à regarder vers Jésus et à compter sur lui ? Comme dans l’évangile de la semaine passée, si Simon-Pierre dans la tempête ne regarde que le vent ou ses pieds, il menace d’être englouti dans les flots, mais s’il pose son regard vers le Christ et croit fermement en lui, il reste debout, solide sur le lac agité. Importance de la confiance en Jésus !
Alors qu’au tout début de l’homélie, la Cananéenne ne paraissait pas la personne idéale pour nous parler de force, nous découvrons qu’il en va tout autrement. C’est souvent ainsi avec Dieu qui ne choisit pas toujours selon nos propres critères. Prenons donc exemple sur cette Cananéenne, cette femme, cette païenne, cette croyante ! Imitons sa prière ! Adressons à Dieu nos cris de vie, de demande et d’audace ; ne nous décourageons jamais et gardons absolue confiance en lui ! Amen.»
20e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Isaïe 56, 1.6-7 Psaume : 66; Romains 11, 13-15.29-32; Matthieu 15, 21-28
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