Homélie du 17 mars 2013

Prédicateur : Père Bernard Bonvin
Date : 17 mars 2013
Lieu : Collégiale Saint-Laurent, Estavayer-le-Lac
Type : radio

Un grand d’Espagne, pour s’épargner les contrariétés de la vie, se cloîtra dans son château à l’heure de sa retraite en exigeant de son majordome qu’il supprime les mauvaises nouvelles des journaux qu’il lirait. Au fil des jours, la matière à lecture s’amenuisait au point qu’il finit bientôt par réclamer : « Eusebio, apportez les catastrophes ! » Si nous ôtions des évangiles maladies et violence, controverses, conflits de tous ordres et péchés, ils s’aminciraient considérablement. Est-ce à dire que l’histoire de Jésus est déprimante ? Que les gens heureux n’auraient-ils pas d’histoire ?

L’évangile de ce jour se rapporte à événement critique : un rassemblement d’hommes autour d’une femme accusée d’adultère. Jésus est quasi sommé de se prononcer pour ou contre la lapidation. S’agit-il simplement d’une attristante nouvelle locale de plus ? Non, car l’intervention de Jésus transforme nos faits divers en Bonne Nouvelle. Par ses paroles et ses gestes, il accueille la vie là où elle vient à lui. Le jour où, dans une synagogue, il place un estropié au milieu de l’assemblée, il rappelle le sens de la loi du sabbat : faire vivre.

Ici, lorsque Scribes et Pharisiens placent au milieu d’eux une femme pécheresse et interpellent Jésus, ce n’est ni pour que la femme vive mieux, ni par respect pour l’autorité de Jésus : au contraire, ils cherchent à le pièger perfidement, car s’il s’associe à la condamnation prescrite par la Loi, il entre en rébellion contre le pouvoir romain qui s’est réservé la peine de mort ; s’il ne le fait pas, il s’oppose à Moïse, l’autorité suprême du judaïsme.

Ainsi sollicité, que fera Jésus, que dira-t-il ? Lui de condition divine… s’abaisse d’abord pour tracer du doigt des traits sur le sol. Temps de silence qui offre à chacun l’occasion de réfléchir. Celui qui incarne la miséricorde ne cherche pas plus à mettre dans l’embarras les scribes ou la femme accusée d’adultère que chacun/chacune de nous. Et en écrivant sur le sol, il symbolise la fragilité des écrits, voire des lois elles-mêmes.

L’évangile ne s’attache pas à ce qu’il écrit, mais à sa première parole : « Que celui qui d’entre vous n’a jamais péché lui jette la première pierre » (v. 7) : Il ne juge personne (Jean 8, 15), mais que les accusateurs se jugent eux-mêmes !

Selon la Loi (Deutéronome 13, 10-11, Dt 17, 5-7), seul le témoin de l’adultère qui est lui-même sans péché peut initier la lapidation : celle-ci n’exigeait pas que ce témoin lance la première pierre : en revanche, elle le lui prescrivait pour un adultère le plus grave (Dt 13, 9-10 ; Dt 17, 7), l’idolâtrie. La réponse de Jésus peut s’entendre comme une question : « Cette femme est peut-être coupable d’adultère ; vous-mêmes, ne risquez-vous pas de commettre un adultère spirituel plus grave, c’est-à-dire une infidélité au Dieu de miséricorde ? Pour vous, la loi elle-même ne serait-elle pas devenue votre idole ?

Sur sa parole, ils s’en vont « l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés ». C’est l’honneur des vieillards d’être lucide sur l’humaine condition.

Et voici Jésus seul avec la femme : face à face, la misère et la miséricorde. Tel le serviteur d’Isaïe, Jésus « ne brise pas le roseau ployé… » (Isaïe 42, 3). Le dialogue qui se tisse est de l’évangile en barre, d’ailleurs non sans humour :

« Femme, où sont-ils donc ? Alors, personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »

Le pardon ne règle pas tout : il offre une espérance pour reconstruire sa vie. La vraie pitié n’est en rien paternaliste : ce « Va et ne pèche plus » ne comporte aucun mépris. Jésus ne la maintient pas en sujétion, il lui restitue sa marge de responsabilité, donc de liberté. Il manifeste qu’elle existe pour elle-même. De manière analogue, il avait enjoint au paralysé guéri de porter son grabat (Mt 9, 6 ; Jn 5, 8). Il croit en nous ! Il ouvre un chemin nouveau. C’est pour cela que son joug est doux et son fardeau léger. Quand dans son mal-être une personne reçoit d’une autre de la compassion, la personne blessée perçoit en l’autre la même humanité profonde qu’en elle. C’est une vraie communion qui s’instaure.

Qu’en retirer pour nos rapports au prochain : instructive cette maxime de saint Jean de la Croix : « Croyez que si quelqu’un ne brille pas par les vertus que vous pensez, il peut être agréable à Dieu par les vertus que vous ne pensez pas » (Avis et maximes sur la vie spirituelle, Prière de l’âme embrasée d’amour, 58). Le sermon sur la montagne est plus radical encore : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. » C’est clair !

Et nous-mêmes, dans nos propres péchés ? Paul, dans la deuxième lecture de ce dimanche, témoigne : oubliant ce qui est en arrière, tendu vers l’avenir, je cours vers le but… pour me laisser saisir par le Christ … le Christ, en qui Dieu me reconnaîtra comme juste. Beau programme pour notre montée vers Pâques : connaître Jésus, non seulement avec la tête, mais expérimentalement : prendre pour nous et sur nous ses actes et ses paroles, aimer et pardonner comme il l’a fait… et nous libérer de l’égo culpabilisant. Ainsi nous changeons un peu la vie, coopérant à ce que proclamait Isaïe : « Voici que je fais un monde nouveau. » Et nous qu’accablent parfois de lourds fardeaux, souvenons-nous de ce qui est inaliénable : l’image de Dieu en nous, écrasée parfois sur nos chemin de calvaire, mais que le Ressuscité restaure.

En avant vers Pâques, Frères et soeurs bien-aimés !

5e dimanche de Carême

Lectures bilbiques : Isaïe 43, 16-21; Philippiens 3, 8-14; Jean 8, 1-11

17 mars 2013 | 15:32
par Barbara Fleischmann
Temps de lecture : env. 4  min.
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