"Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable." (Photo: Flickr/Lawrence OP/CC BY-NC-ND 2.0)
Détail d'un vitrai - Cathédrale de Chartres.
Homélie

Homélie du 1er mars 2020 (Mt 4, 1-11)

Fr. Michel Fontaine OP – Église St-Paul, Cologny, GE

Thème : À qui irions-nous, Seigneur ? Tu as les Paroles de la Vie éternelle (Jn 6,68) – Au désert avec Jésus, enfants d’un même Père.

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Il y a quelques jours, celles et ceux qui ont vécu la célébration des cendres 0nt pu entendre cette parole : « Convertissez-vous et croyez en l’Evangile ».

C’est un appel à regarder sa vie, son quotidien car Dieu ne fait pas de grands discours. Il vient nous rencontrer là où nous sommes, dans la simplicité de nos existences : au travail, à domicile, le jour, la nuit, en prison, en vacances, à l’hôpital et en ce dimanche des malades, cette rencontre prend un sens tout particulier… Si nous l’accueillons, quelque chose commence à changer…C’est bien là le sens du temps de Carême. Ce temps où Jésus nous invite à le suivre, quand bien même est-ce au désert.

Ainsi pendant cinq dimanches nous seront accompagnés par une parole qui viendra creuser en nous ce désir de le connaître davantage, ce désir de la rencontre avec le Dieu de la vie et de la vie en abondance.

Fragilité de notre identité d’enfant de Dieu

Aujourd’hui, Jésus nous fait réaliser qu’en prenant notre condition d’être humain, Lui, qui est le Fils de Dieu, il vient vivre non seulement l’expérience du combat de l’épreuve et de la tentation mais et surtout nous rappeler que nous partageons sa condition de Fils. Nous sommes tous et toutes « enfants de Dieu ».  Ce que vit Jésus au désert, à savoir la possible rupture avec Dieu, son Père, insidieusement orchestré par satan, nous renvoie, certes, à la fragilité de notre identité d’enfant de Dieu, mais aussi à notre capacité de dire non à satan.

Combien de moments dans nos vies se sont trouvés confrontés à des choix qui nous engageaient au plus profond de nous-mêmes ?

Alors en quoi, aujourd’hui,  cette expérience de Jésus au désert, m’aide à découvrir ce que je suis vraiment, enfant comme Lui, d’un même Père ?

L’épreuve ultime pour Jésus

Entrons dans ce passage de l’évangile de Matthieu ?

Tout d’abord, où se situe-t-il ? Entre le baptême de Jésus au Jourdain : « Celui-ci est mon Fils Bien-Aimé, il a toute ma faveur » et le commencement d’un long chemin qui nous conduira au vide du tombeau, lieu de la Résurrection.

Lui, qui vient d’être identifié Fils de Dieu publiquement par son Père, avant même de commencer sa longue marche vers Jérusalem, est « conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable ». Il est confronté à l’épreuve ultime, celle de sa relation avec son Père. Celle de sa filiation. Celle de son envoi par son Père. C’est dans cette relation mystérieuse faite de liberté et de volonté qui nous dépasse et en même temps nous ressemble, car cette relation nous renvoie à nous, donc à celle qui nous relie au Père. Impensable, difficile à comprendre et pourtant il ne peut en être autrement, car c’est le sens profond de la Bonne Nouvelle. Nous sommes nous aussi, « enfants d’un même Père », qui que soyons, quelle que soient nos histoires de vie, les plus tourmentées ou tumultueuses, indépendamment de nos différences culturelles et religieuses, nous partageons avec le Christ cette fraternité.

Oui, Jésus fait l’expérience d’une possible rupture avec Dieu comme nous, nous pouvons parfois l’expérimenter dans nos vies. L’épreuve est bien située au niveau le plus ultime de sa relation avec son Père, comme nous de notre relation avec Dieu. Nous sommes bien là au cœur du lien, de cette filiation entre le Père et le Fils.

Satan divise, cherche à casser le lien avec Dieu

L’évangile d’aujourd’hui nous montre l’origine de ce détournement du lien par l’intervention d’une autre parole mensongère. Celle de satan, qui divise, qui cherche à rompre, à casser, à briser…ce lien entre Dieu et Jésus, entre Dieu et nous. Ce sont les expériences que nous pouvons faire, vous comme moi, en famille, au travail, en communauté, en église, dans notre vie affective et relationnelle…

Mais sommes-nous enfermés dans cette spirale infernale ?

Non et l’évangile de Matthieu vient nous rappeler ce lien indéfectible légitimé par l’Esprit Saint lui-même.

Le lien de l’amour

Il nous faut commencer notre carême par cette question que Jésus lui-même a dû se poser ; comment tenir ce lien, cette relation avec mon Père, le Dieu de la vie ? Comment rester le fils de celui qui « insuffle le souffle de vie » ? Comment faire de ma vie un chemin d’humanisation, pour moi mais aussi pour celles et ceux que je rencontre ? Comment croire encore à cette Parole que résonne en moi.

Par trois fois, Jésus dit non à satan qui voulait l’entraîner sur le chemin de la rupture, par l’attrait des nourritures faciles, de l’illusion et du mensonge du pouvoir. Et par trois fois, Jésus réaffirme avec force que rien ne peut le séparer de l’amour de son Père. Il y a entre lui et son Père un lien indéfectible, celui de l’amour. C’est par l’amour que le lien du Fils au Père est maintenu et sauvé. C’est par l’amour, nous le savons bien dans notre existence, que nous sommes capables nous aussi, de tenir nos engagements et de résister aux tourmentes et à nos tempètes dans notre vie.

Et puis, je pense à cet éclairage d’un de nos frères biblistes qui commentait ce passage : « Jésus ne passe pas un examen dont le satan serait l’examinateur, c’est satan qui est mis en examen, convaincu d’inaptitude en matière de relation, de vie avec Dieu, de don de soi. »

En effet, Jésus nous montre toujours une direction, un chemin d’humanisation, celui de la force du lien d’amour et de la vérité. Aujourd’hui, il nous prend par la main avec Lui, il nous assure de la victoire sur le mal parce que nous sommes avec lui, enfants d’un même Père.

Regardons pendant ce carême ce que nous sommes lucidement. Regardons notre Eglise aujourd’hui enlisée dans ses évènements dramatiques et mortifères qui nous sont révélés. Il s’agit bien là de prendre conscience gravement d’un profond détournement de la parole, légitimant l’insoutenable.

Un lien qui est notre rocher

Mais, n’oublions pas que c’est dans les moments les plus innommables, au milieu de nos déserts personnels et institutionnels, de nos difficultés, de nos doutes, de nos infidélités, qu’aujourd’hui l’Evangile nous rappelle la force d’un lien qui ne sera jamais détruit. Ce lien, c’est notre rocher qui nous fait nous tenir debout, être combatif, être libre et pouvoir dénoncer le mensonge et faire de carême un crème de justice.

De même que Jésus n’était pas seul au désert, l’Esprit était avec lui, de même nous ne sommes pas seuls dans notre vie de tous les jours.

Ce temps de carême vient nous le redire, c’est un temps qui nous appelle à une plus grande liberté et une plus grande vérité. il doit renforcer notre joie profonde de nous savoir vainqueur avec Dieu de tout détournement, capable de dire non, car l’Esprit Saint est aussi avec nous dans nos déserts…

Pourquoi ? mais parce que, qui que nous soyons, et il faut le crier, si nécessaire : nous sommes tous, enfants d’un même Père…

1er dimanche de Carême, Année A
Lectures bibliques : Genèse 2, 7-9 ; 3, 1-7a; Psaume 50, 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17; Romains 5, 12-19; Matthieu 4, 1-11

«Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.»
1 mars 2020 | 09:46
Temps de lecture: env. 5 min.
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