Homélie du 20 juillet 2025 (Lc 10, 38-42)
Chanoine José Mittaz – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS
Chers frères et soeurs,
A l’heure la plus chaude du jour, quand le soleil brûlant impose un repos nécessaire à l’ombre du grand chêne, Abraham et Sara se tiennent à l’entrée de la tente pour accueillir avec prévenance et empressement trois étrangers qui n’auront pas à décliner leur identité. Leur visite sera une bénédiction pour le couple et le sein de Sara s’ouvrira enfin. Isaac sera le nom de leur futur enfant, ce qui signifie : le sourire de Dieu. Au Moyen-Orient comme dans les pays du Sud, l’hospitalité est aujourd’hui encore un devoir sacré.
Le sourire de Dieu
Alors que j’effectuais un stage en milieu carcéral en Valais, c’était il y a trois ans, je me souviens de cet homme algérien que j’ai rencontré dans une cellule du centre de détention administrative à Sion, une cellule exigüe qu’il partageait près de 22h sur 24h avec un latino dont il ne comprenait la langue. Cet homme du Sahara que la Suisse ne voulait accueillir m’a offert l’hospitalité avec le peu qui était à sa disposition. Il m’a simplement demandé si je voulais un café. Reconnaissant de mon acquiescement, il est allé nettoyer la petite cuillère et son unique tasse avant d’y mettre un peu de café soluble et d’y verser de l’eau chaude grâce à la bouilloire qu’il a pu acheter en prison et qu’il partageait avec son compagnon d’infortune. Avant de me servir le café, il l’a longuement brassé avec la cuillère, comme s’il me préparait une recette maison, spécialement pour moi. Le café qu’il m’a servi a ouvert un échange qui a nourri en chacun une bienveillance humaine et un début de mutualité ou de fraternité retrouvée. Dans cette cellule administrative, par un homme étranger que la Suisse ne voulait accueillir, moi aussi j’ai rencontré Isaac, c’est-à-dire le sourire de Dieu.
Célébrer ensemble cette amitié en laquelle Jésus-Christ se livre
L’évangile de Marthe et Marie se vit au quotidien à l’Hospice du Grand-St-Bernard. Oui, comment ne pas nous reconnaître en Marthe qui se laisse déborder par les multiples tâches au risque d’en oublier son hôte ? Mais aussi, comme ne pas nous laisser inspirer par Marie qui cherche à écouter l’hôte de passage ? Car sans lui, notre maison n’aurait aucun sens. Et d’ailleurs ce matin, grâce aux ondes de la radio, nous sommes heureux de pouvoir vous accueillir, chers frères et sœurs qui partagez avec nous ce temps de célébration. Au milieu de nous, vous êtes signe de la présence silencieuse de Jésus auprès de Marthe et Marie. Oui, le Christ est présent au milieu de nous ce matin, et vous aussi, vous êtes là, avec nous. Grâce aux ondes d’Espace 2, c’est-à-dire grâce aux techniciennes et techniciens du son dont nous ne pouvons voir le visage ou entendre la voix. Et pourtant, ils sont là, eux aussi. Sans leur présence, nous ne pourrions célébrer ensemble cette amitié en laquelle Jésus-Christ se livre, cette humanité chaleureuse qui nous rend accueillant, tous ensemble, au sourire de Dieu.
Un autre lieu frontière
Du Grand-St-Bernard, avec vous ce matin, je souhaite vous emmener vers un autre lieu frontière situé à l’est du Congo-RDC, sur la frontière douloureuse avec le Rwanda. Depuis 3 ans, j’ai la joie d’être accueilli pour des séjours de plusieurs mois par an dans le sud Kivu, à Bukavu et sur l’ile Idjwi. En janvier 2025, les forces du M23 affiliées à l’armée rwandaise se sont emparées de Goma (RDC) y faisant plus de 7’000 morts. Puis ils sont descendus sur Bukavu. Je vous laisse imaginer la terreur aux ventres des habitants, la peur viscérale de subir les maltraitances dégradantes et les crimes affreux qui deviennent malheureusement l’ordinaire partout où sévit la guerre. Prions pour eux et avec eux, car un traité de paix vient d’être signé hier au Qatar entre les forces du M23 et l’état congolais.
C’était en février dernier, moins de 48h avant l’entrée des forces armées à Bukavu, j’ai eu la possibilité de faire un appel en visio avec mon confrère et ami Paul Bulyalugo. En contemplant son visage quelque peu amaigri, j’ai ressenti en moi une grande paix. Et je lui ai demandé : comment tu fais ? Il m’a expliqué qu’il avait renoncé aux réseaux sociaux, notamment aux images qui circulaient sur le conflit à Goma. Je retraduis avec l’évangile du jour : alors qu’il aurait pu se faire happer comme Marthe, il a choisi d’écouter comme Marie. Et Paul me dit : « l’autre armée ne veut certainement pas tous nous tuer, alors on va rester calme. » Le choix des mots est important. Il ne s’agit pas des ennemis, mais de l’autre armée. Bien choisir les mots dispose le cœur au meilleur de lui-même.
Et Paul m’explique ensuite avoir passé son après-midi avec les enfants orphelins du foyer Ushirika construit à côté de la cure. Mon ami Paul a cherché à faire sourire ces enfants, car l’angoisse ambiante les étreignait aussi. Et à la fin de son animation, Paul a demandé à chaque enfant d’aller s’asseoir à côté de qui la relation a été plus difficile aujourd’hui. C’est alors que le petit Mulambo est allé s’asseoir à côté de la Sœur directrice, car ça avait été difficile avec elle. Et c’est à ce moment que tout le foyer a souri de tendresse. Oui, rappelez-vous ! Issac : c’est encore le sourire de Dieu.

L’association amis de Bukavu (www.amisdebukavu.com) soutient depuis 25 ans des actions concrètes au service des plus vulnérables dans cette région du monde. Comment cette association est-elle née ? Lorsque l’abbé Adrien, aumônier de la prison de Bukavu est venu faire une conférence en Valais, une petite fille a demandé à ses parents : « On peut inviter à la maison l’abbé Adrien ? » Et depuis une amitié est née. Aujourd’hui l’association soutient par exemple la construction d’une école pour les enfants des familles pygmées sur l’ile Idjwi. Plusieurs fois chassées, elles se sont aujourd’hui installées sur leurs terres achetées grâce à l’association Amis de Bukavu. Et c’est émouvant de penser que toutes ses familles vulnérables sont bénéficiaires d’un papa et d’une maman de Martigny qui ont entendu l’appel de leur petite fille. Oui, l’hospitalité ouvre des chemins de vie insoupçonnés.
16e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Genèse 18, 1-10; Psaume 14; Colossiens 1, 24-28; Luc 10, 38-42
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