Homélie du 20 octobre 2013

Prédicateur : Pasteur Jeff Berkheiser
Date : 20 octobre 2013
Lieu : Chapelle de l’Ecole des Missions, Le Bouveret
Type : radio

La première fois que j’ai rencontré quelqu’un qui avait fait le pèlerinage à pied depuis la Suisse jusqu’à St-Jacques de Compostelle, c’était à la fin des années 90. C’était un jeune homme qui avait fait 2’200 km en un peu plus de 2 mois, et qui nous parlait du « dépouillement » du pèlerin, l’importance de se débrouiller avec un minimum de matériel. Par exemple, il nous disait qu’il était parti de Suisse avec trois slips… mais que, au bout de deux semaines, il en avait renvoyé deux à la maison… Et moi, je me disais, il faut vraiment être fou pour faire ce Chemin de St-Jacques !

Mais voilà que cinq ans plus tard, en juin 2003, je suis parti moi-même pour plusieurs mois sur ce chemin de Compostelle. Accueilli chez une famille en Haute-Savoie, j’ai été impressionné par une sculpture qu’ils avaient dans le mur devant leur maison, l’œuvre d’un artiste local, et qui portait le titre « Le dépouillement du Pèlerin ». On y voyait un pèlerin en marche, avec son bâton et son sac sur le dos… mais il était tout nu… !!!

Dans les jours qui ont précédé mon départ en pèlerinage, j’avais dû passer par l’épreuve bien connue de tous ceux qui partent pour ce genre d’aventure : le choix pas toujours évident entre ce qu’il faut prendre avec soi et ce qu’il faut laisser à la maison…

Entre le désir d’avoir tout ce qu’il faut « au cas où » et la nécessité de limiter le poids du sac pour pouvoir avancer convenablement, le cœur balance… Et me voilà déjà bien lancé dans le cheminement intérieur qui accompagne la marche avec les pieds… Une belle expérience qui permet de prendre du recul par rapport à nos dépendances matérielles habituelles.

Mais lorsque je lis le passage de l’Evangile que nous avons lu tout à l’heure, je me dis que, par rapport aux douze disciples que Jésus envoie en mission je suis encore loin du compte: « Ne prenez rien avec vous pour le voyage : ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent, et n’ayez pas deux chemises chacun… » Il ne parle pas du nombre de slips autorisés, mais au moins il me laisse porter quelques habits… J Mais à part ça, pas grand-chose…

Le Pape François, dès son élection, a lancé un appel aussi radical au « dépouillement » : « Je voudrais une Eglise pauvre, pour les pauvres… » nous dit-il. Voilà une déclaration qui a attiré l’attention des protestants autant des catholiques… et probablement aussi des gens qui ont pris leurs distances par rapport aux Eglises… Depuis, ce Pape multiplie les gestes pour accompagner ses paroles dans ce sens, que ce soit dans son style de vie, ou dans sa visite, au début de ce mois, à Assise, où il a été le premier Pape à visiter la « salle du dépouillement » où, il y a 800 ans, Saint-François a enlevé tous ses beaux habits de jeune homme riche pour devenir le « Poverello » qui allait être tellement aimé par les gens si démunis sur le plan matériel…

Mais qu’est-ce que le « dépouillement » que Jésus demande à ses disciples, aujourd’hui ?

Tout pasteur protestant que je suis, je ne peux que me laisser interpeler par ce nouveau Pape qui déclare : « Jésus a lui-même suivi un chemin de dépouillement, pour devenir serviteur, humilié jusqu’à la Croix. Si nous voulons être chrétiens, il n’y a pas d’autres chemins. On peut essayer de faire un christianisme sans la croix, sans dépouillement, sans Jésus; alors on deviendra des chrétiens de boulangerie, on sera de beaux gâteaux un peu sucrés, mais pas de vrais chrétiens… »

Alors, d’après le Pape François, ce dépouillement comporte non seulement une remise en question de la place qu’occupent les biens matériels dans notre vie et dans notre tête, mais aussi une démarche d’humilité, par rapport à notre désir de « gagner » la conversion de l’autre.

D’une part, parce que le prosélytisme est pour le Pape ce qu’il appelle « une bêtise magistrale », car il trouve que l’essentiel est de    « se connaître et de s’écouter, et de faire connaître le monde qui nous entoure ».

Et d’autre part parce que, dans les paroles de Jésus, il y a le fait que nous n’aurons pas toujours le succès qu’on aimerait avoir. Il avertit bien ses disciples qu’il y aura des endroits où « les gens refuseront de les accueillir »…

L’une des choses dont nous avons donc besoin de nous « dépouiller », c’est notre désir de dominer, de « gagner à tout prix ». Un désir qui a mené à des pages très sombres de l’histoire de la mission, et qui a trop souvent pourri les relations entre chrétiens à travers les siècles. Le désir de « convertir » l’autre à sa propre vérité, au nom de l’Evangile…

Sans parler des dégâts, des « burn-out » comme on dirait aujourd’hui, de gens peut-être bien intentionnés mais qui ont confondu le succès de leur mission personnelle et la véritable mission que Jésus leur a confiée, de combattre le mal et d’apporter la guérison… Des gens qui ont oublié que leur vocation était d’annoncer une « bonne nouvelle » partout où ils passaient… ou qui ont oublié que le « succès » de leur mission ne dépendait pas seulement de leurs efforts.

Cette mission, pour Jésus, l’a amené … à la Croix. Aux yeux du monde, c’était un échec total… du moins sur le moment. Mais aux yeux de Dieu, et de tous ceux qui y ont cru, ça a été la plus belle des réussites.

Si Jésus demande à ses disciples de ne pas prendre grand-chose avec eux lorsqu’ils partent en mission, ce n’est pas pour les priver de confort ! Non, c’est plutôt pour leur permettre de ne pas crouler sous le poids de leurs choses… ou de leurs habitudes… et de découvrir que Dieu va pourvoir à tous leurs besoins.

Tout comme, si on partait en balade avec les enfants du Chœur des plus jeunes, qui animent notre Messe ce matin, on éviterait de les surcharger de sacs trop lourds. Ils seraient, d’ailleurs, les premiers à nous dire s’ils avaient trop de poids à porter ! Pourquoi ? Eh bien, parce que, d’une part, ils reconnaissent leurs limites plus facilement que les adultes… et d’autre part, parce qu’ils ont confiance que tout ce qu’il leur faut leur sera donné au moment voulu…

Jésus disait : « Si vous ne devenez pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas au Royaume des cieux »… (Mt 18, 3)

Que nous puissions avoir cette confiance… et nous lancer avec joie et légèreté dans cette belle mission que Dieu nous confie, d’apporter l’amour de Dieu à un monde qui n’a pas besoin de plus de poids sur ses épaules, mais d’une Bonne Nouvelle…   Amen.»

29e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Exode 17, 8-13; 2 Timothée 3, 14 – 4, 2; Luc 18, 1-8

20 octobre 2013 | 11:06
par Barbara Fleischmann
Temps de lecture : env. 5  min.
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