"Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger,
qui donne sa vie pour ses brebis." Jn 10, 11 | Flickr/lawrence OP/CC BY-NC-ND 2.0
Homélie

Homélie du 21 avril 2024 (Jn 10, 11-18)

Abbé Marc Donzé – Espace Maurice Zundel, Lausanne, VD

Jésus, le bon berger, il est tellement beau, quand il prend soin de ses brebis, même et surtout des plus chétives. Et ce beau Jésus envoie ses apôtres pour être, avec Lui, de bons pasteurs ; et à travers eux, il nous envoie nous aussi à être des serviteurs de l’espérance des hommes et à ce titre à être des bons pasteurs. Il nous envoie au service de tous les chercheurs de sens, de dignité, de relèvement, de pardon, de tous les autrement croyants. Ma question aujourd’hui : pour toutes ces personnes en chemin, comment être aujourd’hui, en regardant Jésus, de bons pasteurs ? comment être des frères et sœurs sur la route de la vie ?

Permettez-moi de citer ici une réflexion de Maurice Zundel, datant de 1968. Il commentait alors un document du Vatican sur le dialogue avec les non-croyants.

« Notre premier devoir envers eux est d’admettre qu’ils puissent, en toute sincérité, penser comme ils pensent. On rencontre chez certains d’entre eux, comme Jean Rostand, un véritable culte de la vérité avec lequel il est impossible de ne pas sympathiser.

Notre second devoir envers eux est de chercher à comprendre à quelles croyances leur incroyance s’oppose. Il se peut qu’ils refusent simplement un faux dieu. Des chrétiens, en tous cas, ne sauraient oublier que c’est pour un prétendu blasphème que le Christ a été condamné par des hommes qui donnaient à Dieu leur propre visage.

Notre troisième devoir – de beaucoup le plus difficile – est de montrer le vrai Dieu, vivant dans notre vie. C’est là que se nouent les rapports les plus profonds et les plus nécessaires avec les incroyants.

Ils nous mettent au pied du mur, ils nous lancent un défi que nous ne pouvons récuser : qu’est-ce que cela change en vous votre croyance en Dieu, votre adhésion au Christ ? Montrez-nous ce que votre foi accomplit au-delà de ce qu’un homme honnête est capable de faire par simple respect de l’humanité en soi et en autrui. »

Si je retraduis pour aujourd’hui, je peux dire :

Premier pas : conversation et dialogue, dans un esprit d’accueil de l’autre personne, avec un grand respect pour ses cheminements, ses recherches, ses questions, ses espérances. Et n’oublions pas que le dialogue est une relation réciproque où l’on peut s’apporter des lumières l’un à l’autre.

Deuxième pas : de quel Dieu parlons-nous ? Question sans cesse posée par Zundel. Parlons-nous du Dieu d’amour, de lumière, de paix, de réconciliation, que nous a révélé Jésus-Christ ou d’un Dieu dominateur, arbitraire, que les puissants s’attribuent pour étayer leur puissance, et que bien des personnes ont rejeté, avec raison ? Parlons-nous d’un Dieu ami de l’homme, d’un Dieu qui veut la grandeur de l’homme dans la générosité ? Parlons-nous d’un Dieu qui nous surplombe ou d’un Dieu qui nous habite au plus profond, comme le disait saint Augustin : Je te cherchais dehors et tu étais dedans.
Comment Dieu pourrait-il être un thème pour l’homme d’aujourd’hui, s’il n’est pas présent dans une perspective de paix, de joie, d’accomplissement de l’être-homme.

Troisième pas : nous sommes appelés à vivre Dieu (je ne crois pas en Dieu, je le vis, aimait à dire Zundel) ; à le vivre avec intensité, avec passion, comme la Vie de notre vie (parole de saint Augustin) ; à vivre en présence du Christ, pour que la force de résurrection qu’il nous transmet rayonne à travers notre visage ; à vivre la justice, et le partage, et l’amour dans un esprit fraternel, partout où l’on peut. En un mot, c’est l’appel à la sainteté. Et cette sainteté rayonne. Elle est le plus magnifique langage sur Dieu, bien plus important que tous les mots (que l’on ne devrait d’ailleurs oser dire qu’avec l’engagement de notre personne). C’est le pas le plus difficile, dit Zundel. Et il a raison. Mais c’est le seul qui donne de la crédibilité à ce que nous pouvons partager. Il ne s’agit pas forcément d’être un grand saint (c’est plutôt rare), juste le saint de la porte d’à côté, comme dit le pape François.

Avec ces trois pas, nous rejoignons Jésus le bon Pasteur.

Il dit : « j’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos ». Et donc, il faut partir à leur rencontre. Ce n’est pas forcément un déplacement géographique. C’est l’accueil, la conversation, le dialogue, dont parle Zundel dans le premier devoir qu’il évoque. C’est la manifestation de l’affection de Dieu pour chaque homme, dans le plein respect de leur liberté.

Il dit encore : « je connais mes brebis ». Le pape François invite à connaître l’odeur du troupeau. L’odeur, c’est-à-dire, le parfum et la sueur. C’est une si précieuse approche : pas par les mots, pas par un questionnaire, pas par des papiers, mais par la sensibilité, la sensation, cette espèce de communion par le plus profond de la personne, qui peut advenir quand on fait route avec les autres dans la compassion (pour la sueur) et dans l’admiration (pour le parfum). On ne peut pas être bon pasteur sans un certain « vivre-avec », sans une certaine communion de destin.

Au plus profond, il dit : «Je donne ma vie pour mes brebis ; je la donne en pleine liberté avec un surcroît d’amour». On ne peut pas être bon pasteur sans donner d’une manière ou d’une autre sa vie, sans « dépenser sa vie », comme disait l’un de mes confrères. Il ne suffit pas de faire de belles actions pastorales (en comptant ses heures), de belles homélies, de subtils enseignements, de rigoureuses méditations, pour être un « bon pasteur ». Le Christ nous invite à engager notre vie à sa suite, chacun à sa manière : comme Nicolas de Flue, priant pour la paix ; comme Charles de Foucauld, nouant amitié avec les Touaregs ; comme Mère Teresa avec les mourants de Calcutta ; comme Martin Luther King, rêvant d’une société juste, non raciste et égalitaire. C’est ce don de la vie qui parlera de Dieu en vérité, non pas comme d’un être de puissance et de domination, mais comme d’un Dieu qui communique la justice, l’égalité, le respect, la paix, la joie, l’amour, la tendresse.

En résumé, pour devenir un « bon pasteur » : il s’agit de vivre, autant qu’il est possible, un dialogue respectueux (même dans sa propre famille). Il s’agit d’apprendre à connaître avec attention les besoins et les questions existentielles des personnes (l’odeur du troupeau). Il s’agit de dépenser sa vie au nom de l’Évangile, et à partir de là de partager prière, célébration, Parole de Dieu comme des trésors qui nous font vivre.

C’est ce que nous essayons de faire, humblement, à l’Espace Maurice Zundel. Mais c’est ce que chacun de nous est appelé à faire. Un mot de Zundel peut guider ce chemin de bon pasteur : « La plus belle prière, c’est la joie des autres ». Oui, il est bon et nécessaire de prier Dieu, mais le terme de la prière, c’est la joie des autres, cette joie simple que peut engendrer un geste fraternel, un combat fraternel pour la justice, un moment de communion vraie, dans la paix. Amen

4e Dimanche de Pâques
Lectures bibliques : Actes 4, 8-12 ; Psaume 117 ; 1 Jean 3, 1-2 ; Jean 10, 11-18

«Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis.» Jn 10, 11 | Flickr/lawrence OP/CC BY-NC-ND 2.0
21 avril 2024 | 12:21
Temps de lecture: env. 5 min.
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