Homélie du 21 septembre 2014

Prédicateur : Abbé Giovanni Fognini
Date : 21 septembre 2014
Lieu : Eglise Notre-Dame-des-Grâces, Grand-Lancy
Type : radio

« Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le Seigneur » dans la première lecture entendue du livre d’Isaïe.

Et la parabole que nous venons d’entendue vient le confirmer: il y a bien un décalage entre nos pensées et les pensées de Dieu au sujet de la justice !

Vous le savez : c’est le propre de toute parabole : nous obliger à sortir de nos schémas tout faits, de nos pensées, de nos repères, parfois très égoïstes, pour nous ouvrir à « l’amour insolent » du Christ !

Alors, regardons de plus près le contenu de la parabole d’aujourd’hui :

Elle met en relief l’inégalité d’heures de travail – cela nous le connaissons aussi dans notre monde d’aujourd’hui ! -et face à cette inégalité, il y a une égalité de salaire.

Il n’y a pas de sélection faite dans l’appel à aller travailler à la vigne

en fonction, par exemple, de compétences ou de savoir si on a un passé fiable

La seule condition : c’est accueillir, consentir à l’appel d’aller travailler à la vigne !

Avec les ouvriers de la première heure : le maître de maison passe un contrat, un alliance. Il exerce une « justice de contrat »

« Il se mit d’accord avec eux, nous dit l’évangile, sur le salaire d’une pièce d’argent pour la journée ». Une pièce d’argent, nous révèlent les exégètes, c’est le salaire journalier qui permet de vivre, de se nourrir et de nourrir sa famille. Le nécessaire quotidien.

Ce maître respecte le contrat passé avec les ouvriers de la 1ère heure, il ne les vole pas. Il a agi comme promis selon sa parole donnée.

Il va même un peu plus loin ; il dépasse le rapport patron-ouvrier et emploie le langage de l’amitié :

« Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? »

Avec les ouvriers engagés à 9h, midi et trois heures, le maître leur dit cette parole qui est son engagement : « Je vous donnerai ce qui est juste ».

Et viennent enfin les ouvriers de la dernière heure. D’abord une précision importante : il leur demande :« Pourquoi êtes-vous restés là toute la journée sans rien faire ? » Et ils répondent : « Parce que personne ne nous as embauchés ! »

Il ne s’agit donc pas des fainéants !

Jusque-là, tout va bien, tout le monde est au travail !

Tout se gâte lors de la remise de la paye.

Notons d’abord la pédagogie du maître de maison : il aurait pu appeler ceux de la première heure, leur donner leur denier et tout le monde aurait été content ! Ben non : il commence par payer les derniers. Ce n’est pas qu’un caprice de sa part, mais le désir d’ouvrir tous les ouvriers – ceux de la première comme ceux de la dernière heure – à une autre justice, celle de Dieu

Au moment de la paye, Dieu vient affirmer sa liberté, sa façon de voir la justice, et il le fait en donnant à tous un denier.

Ainsi, tous, avec ce denier peuvent vivre cette journée et nourrir leur famille.

En procédant ainsi, il aimerait inviter chaque ouvrier que nous sommes à dépasser une justice de contrat pour entrer dans une justice d’amour, une justice de solidarité envers les mal lotis, ceux à qui personne n’offre rien (ni travail, ni place, ni reconnaissance).

Et c’est frappant, c’est à ce moment-là que vous et moi face à cette attitude du maître qui donne un denier à chacun, que nous râlons, nous crions à l’injustice …

Alors, affirmons-le tout cru : l’injustice de Dieu consiste à sortir du régime de la justice pour passer au régime de l’amour, de la gratuité. Dieu n’est pas injuste par défaut de justice, mais par excès d’amour

En Dieu l’amour et la solidarité sont plus grand que notre sens de la justice ! Sa justice à lui inclut la générosité, la solidarité, la miséricorde, la bonté, la gratuité.

Ce maître donne aux uns sans rien enlever aux autres ! C’est cela la bonté infinie de Dieu !

Face à ce Dieu « insolent dans son amour et sa justice», il y a nos réactions représentées par les ouvriers de la première heure ; elles portent des noms : la jalousie, les murmures. Je nous entends dire nous aussi avec eux : « C’est dégueulasse ! Comment est-ce possible ? Il n’y a plus de mérites alors ? c’est n’importe quoi cette justice ! On a bossé pour presque rien». Dans ces phrases, il y a place pour nos contestations, nos jalousies, nos murmures, nos comparaisons, l’étalage de nos mérites !

Nous touchons là à notre propre limite, à notre propre blessure. Le geste du maître de maison vient mettre en relief cette limite, cette blessure que nous portons en nous. C’est pourquoi, il nous adresse une parole qui se veut libératrice :

« Vas-tu regarder avec un œil mauvais, parce que moi je suis bon ? »

Regarder avec un œil mauvais, c’est faire des comparaisons entre les dons que nous avons reçus et ceux des autres, en nous croyant plus méritants, plus supérieurs. C’est être jaloux lorsque les autres reçoivent autant que nous.

Et nous le savons par expérience : ce regard mauvais, nous empêche de nous ouvrir à ce désir de Dieu de vivre une justice de gratuité, d’amour et de bonté ; cela nous empêche de dépasser notre justice de contrat pour vivre une justice avec toute l’humanité.

Jésus nous donne dans cette parabole une image de Dieu : celle d’un Dieu qui prend soin de tous les hommes, en particulier les plus abandonnés, les exclus de la société ; un Dieu qui appelle tous, à toutes les heures et dans toute situation. Il suffit de répondre à son amour, un amour qui n’est pas à mériter mais offert gratuitement.

Alors, même si cette parabole m’énerve un brin, je garde en moi l’invitation qu’elle me lance : pratiquer une justice d’amour, de gratuité, de bonté jusqu’à paraître peut- être injuste aux yeux de ce monde.

Tous les gestes que nous poserons au nom de cette justice de Dieu va faire avancer la justice humaine, obligée d’intégrer, tous les jours un peu mieux, les vertus de l’amour injuste.

Alors, si à notre tour, vous et moi, nous devenions … injustes, par amour, comme le Christ ?

25e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Isaïe 55, 6-9; Psaume 144; Philippiens 1, 20c-24.27; Matthieu 20, 1-16a

21 septembre 2014 | 14:50
par Barbara Fleischmann
Temps de lecture : env. 4  min.
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