Homélie du 25 décembre 2025, messe du jour (Jn 1, 1-18)
Abbé Marc Donzé – Eglise du Sacré-Cœur, Lausanne
Maurice Zundel, lors d’une interview à la Radio suisse romande le jour de Noël 1972, avait commencé ainsi : « Pour aller tout de suite au centre du mystère, je dirais que Noël, dans un langage franciscain, c’est la révélation de la Pauvreté de Dieu à travers une pauvreté humaine ». C’est un propos tellement profond qu’il demande explication.
Révélation à travers une pauvreté humaine. L’enfant Jésus, sur la paille de Bethléem est né dans une radicale simplicité, qui plus est dans une situation de non-accueil. Marie et Joseph sont, eux aussi, eux en premier, d’une condition sociale toute simple. Mais attention, ils ne sont pas dans la misère. Ils ont un âne et tout ce qui est nécessaire pour accomplir le voyage de Nazareth à Bethléem. Il est très important de souligner que cette pauvreté humaine n’est pas la misère. Car la misère, qui met les personnes dans une situation déshumanisante, ne révèle rien. Elle est à combattre avec toutes les forces dont nous sommes capables, pour que chaque personne sur cette terre puisse bénéficier du nécessaire qui permette une vie digne, aimante et créative.
La situation de l’enfant Jésus – et de ses parents – est donc toute simple, sans rien de clinquant, ni de m’as-tu-vu. Avec les mots de l’Évangile, on peut dire : le Verbe s’est fait chair et il a planté sa tente parmi nous. Il a planté sa tente au plus essentiel de la condition humaine, pour rejoindre tous les hommes et surtout les plus pauvres. Plus audacieux encore, il a planté sa tente dans le non-accueil, donc aussi dans les tragédies de l’humanité, où l’homme n’accueille pas Dieu, où l’homme n’accueille pas l’homme. Cependant, il faut remarquer que, dans le champ des bergers, il n’y avait pas de bombes, ni de drones, ni de destructions systématiques. Bethléem, il y a deux mille ans, n’est pas Gaza aujourd’hui. Il y a de la tragédie humaine autour de la crèche, mais pas d’horreur destructrice. Dans la vie de Jésus, l’horreur viendra au moment de la Croix.
Parce que Jésus est né dans la crèche, entouré d’un âne et d’un bœuf, aimé par Marie et par Joseph, recevant la visite des pauvres de la porte d’à côté, les bergers, Zundel parle d’une pauvreté humaine, mais on sent bien qu’il s’agit d’une pauvreté digne, noble, humblement rayonnante.
Mais quand il parle de pauvreté, à la manière de saint François d’Assise, l’abbé va plus loin encore. Ce ne sont pas uniquement les circonstances de la crèche qui parlent. C’est aussi l’attitude de l’enfant Jésus couché sur cette paille qui, par sa présence, devient si belle qu’elle a des reflets d’or.
La meilleure illustration de cette attitude nous est offerte par les Petites Sœurs de Foucauld qui fabriquent des petits Jésus en terre cuite avec un doux sourire et les bras ouverts. Jésus dans un geste d’accueil tendre et infini.
La pauvreté, dans son sens évangélique, c’est la désappropriation et le don
Car la pauvreté, dans son sens noble, dans son sens évangélique, c’est selon les mots de Zundel, la désappropriation et le don. La désappropriation, concrètement, c’est une vie simple et sobre, une vie qui n’est pas encombrée et qui de ce fait permet l’accueil et le partage, une vie qui ne fait aucunement place à la domination, à la violence, à l’accaparement, une vie qui permet l’expression de la fraternité et l’offrande de l’amour. C’est pourquoi, une telle vie est aussi une dynamique de don, un don gratuit, un don vivifiant.
Pour l’abbé Zundel, une telle manière de vivre constitue le fondement le plus profond, mais aussi le plus exigeant de la vocation humaine. La question nous est donc posée depuis la crèche de Bethléem : comment inventer une telle forme de vie, là où je suis ? Le petit Jésus, avec son sourire, avec ses bras ouverts, avec l’espace de son cœur, avec son innocence déchirante (Claudel), pourrait nous inspirer. Comme Jésus adulte qui, sa vie durant, a vécu cette forme haute, noble, franciscaine en un mot, de la pauvreté comme ouverture, comme accueil, comme don.
Mais il faut aller plus loin encore. Qu’est-ce que cela nous révèle de la Pauvreté de Dieu ? Au premier abord, cela peut paraître étrange de parler de la Pauvreté de Dieu, car la première image associée au mot pauvreté est plutôt celle d’un manque. Or, Dieu est Dieu, comme disait saint François. C’est pourtant lui qui a épousé Dame Pauvreté, comme il disait dans le langage des chevaliers. Et Dame Pauvreté, ce n’était rien moins que Dieu. Et en Dieu, il ne saurait y avoir de manque.
Alors, pour essayer de comprendre, regardons le petit enfant Jésus. Sur la paille de la crèche, il offre tout son être, tout son amour, toute sa lumière autour de lui. C’est pourquoi les peintres l’ont souvent représenté comme si sa présence irradiait sur toute l’humanité et même sur tout le cosmos. Et le petit enfant est la parfaite transparence de Dieu.
Dieu est Pauvreté parce qu’il veut faire avec chaque personne une alliance d’amour
Il nous montre que Dieu est tout Don, tout Amour, toute Lumière. Il nous montre que Dieu est offrande de vie, offrande de sourire pour tous les hommes. Il nous montre que Dieu est paix. Il nous montre précisément ce que les anges chantaient à Noël : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ». Dieu est Pauvreté dans ce sens-là ; autrement dit, il est Pauvreté, parce qu’il donne tout son Amour, mais en douceur, en respectant la liberté des hommes, en prenant le risque de ce respect pour le meilleur et pour le plus tragique. Il est Pauvreté et non pas domination extérieure qui veut asservir et posséder. Il est Pauvreté, parce qu’il veut faire avec chaque homme et avec toute l’humanité une alliance d’amour, un partenariat d’amour, mais hélas, il n’est pas toujours accueilli.
Mais alors, s’il s’agit d’alliance et d’amour, cela se passe du cœur au cœur. C’est pourquoi, pour l’abbé Zundel, il est capital de dire que la présence la plus essentielle de Dieu, elle n’est pas haut plus des cieux, elle est dans notre cœur, si nous voulons bien l’accueillir. Dieu fait route avec nous, non pas comme un lointain étranger, mais comme l’ami le plus intime.
Alors oui, Noël, c’est la révélation de la Pauvreté de Dieu dans une pauvreté humaine et nous pouvons prendre le sourire de l’enfant Jésus dans notre cœur pour qu’il nous inspire les vrais – et souvent tragiques – chemins de l’Amour de Dieu.
Fête de la Nativité du Seigneur
Lectures bibliques : Isaïe 52, 7-10 ; Psaume 97 ; Hébreux 1, 1-6 ; Jean 1, 1-18
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