Homélie du 27 août 2023 (Mt 16, 13-20)
Mgr Charles Morerod, évêque – Eglise Saint-Joseph, Lausanne
Nous entendons dans la première lecture quelque chose qui en fait arrive assez souvent dans l’Ancien Testament, à savoir, Dieu dit à un gouverneur, tu n’as pas bien fait ton travail, je vais te remplacer. Et d’une manière ou d’une autre, cela se produit ainsi régulièrement. Dans quel contexte ? Dieu fait alliance avec son peuple, en l’occurrence le peuple hébreu, et il lui dit, je veux que nous soyons ensemble. Je veux que nous soyons ensemble, cela implique la part de Dieu et la part humaine.
Or, par moments les choses se passent plutôt bien, mais pas toujours, et quand il y a un problème, cela est dû à la part humaine, car Dieu est fidèle et il est capable de faire ce qu’il a promis, mais pas nous.
Et on voit que même avec les bergers du peuple que Dieu apprécie le plus, comme Moïse ou David, ce n’est pas parfait. Et d’ailleurs, il dit aux deux, tu ne vas pas achever toi-même ce que tu as commencé.
Exemple, à Moïse : tu n’entreras pas dans la terre promise, ou à David : c’est ton fils qui me construira un temple.
En fait, ce n’est jamais parfait de notre côté. Mais alors, comment est-ce que Dieu réagit à cela ? Est-ce qu’il se lasse ? Parce que s’il se lasse, si j’ose dire, il risque de se lasser aussi de nous. Il ne se lasse pas.
Dieu dit : je vais prendre moi-même soin de mon peuple
Dieu dit à son peuple, ce n’est pas la lecture que nous avons entendue aujourd’hui, mais dans un texte d’Ézéchiel, qui reprend bien cette question, il dit : puisque mes bergers ne sont pas à la hauteur, puisqu’ils ne sont pas fidèles, et bien qu’est-ce que je vais faire ? Je vais prendre moi-même soin de mon peuple.
Alors, est-ce que cela signifie qu’il élimine toute part humaine pour désormais faire tout tout seul ? Parce que quand même, ce n’est pas entièrement ça l’idée de l’Alliance.
L’Alliance, ce n’est pas Dieu avec Dieu, c’est Dieu avec nous.
Dieu se fait homme
Eh bien, il n’élimine pas tout, mais il fait quelque chose de très étonnant, quelque chose que nous n’aurions pas imaginé. Et d’ailleurs, saint Paul nous le décrit aujourd’hui d’une manière assez frappante. Saint Paul dit bien quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la connaissance de Dieu ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? Eh bien, en fait, nous n’aurions pas pu imaginer ce que Dieu fait, nous n’aurions pas pu imaginer la manière dont il allait agir vis-à-vis de nous. Pour prendre soin lui-même de son peuple, sans éliminer la part humaine, il se fait homme.
Et ainsi, celui qui va être le berger de son peuple, ce n’est pas un homme imparfait comme cela a toujours été le cas, ce n’est pas non plus Dieu seul, c’est Dieu fait homme. Alors ça, on ne l’aurait pas imaginé. Il y a en lui les deux, l’humanité fidèle, car le Fils de Dieu fait homme est fidèle à Dieu, et Dieu, ça on ne l’aurait pas imaginé.
Mais, est-ce qu’il n’y a pas un léger paradoxe ?
On entend dans l’évangile d’aujourd’hui que Dieu dit à Pierre qu’il va être le pasteur de son peuple, puisque Pierre a su reconnaître qui était le Christ, il lui dit « puisque tu sais qui je suis, c’est toi qui seras le pasteur de mon peuple ».
Bien, mais en fait, il reste que c’est encore un homme qui n’est pas Dieu, Pierre, et ses successeurs, si j’ose dire le successeur de Pierre, le pape, n’est pas Dieu. Alors est-ce qu’on ne retombe pas dans le même problème qu’auparavant ? Et plus encore, si Jésus dit à ce moment-là « ne dites pas qui je suis », là, il y a un certain paradoxe, il vient prendre les choses en main lui-même, et en les confiant en même temps à un homme, pas seul bien sûr, à travers lui aussi, d’une certaine manière à tout son peuple, et puis en même temps il dit « mais ne dites pas qui je suis ».
Alors ne dites pas qui je suis, ce n’est qu’un paradoxe partiel, parce que c’est provisoire, ce n’est pas encore le moment de le dire, mais le moment venu, et notamment après la Résurrection et la Pentecôte, il faudra bien proclamer qui est le Seigneur.
Mais il reste qu’il a vu que nous sommes toujours imparfaits, et ce n’est pas qu’une question de l’Ancien Testament, c’est l’être humain, même avec la grâce, qui n’est pas à la hauteur de Dieu. Et Dieu ne nous abandonne pas pour se contenter d’être lui-même à sa propre hauteur, il nous dit « je veux quand même faire quelque chose avec vous ». Mais pour que cela soit possible, il faut reconnaître qui il est, pour les gens qui suivent.
On peut reconnaître qui est Jésus sans l’aimer
Alors si on pense simplement que Jésus est un homme religieux particulièrement remarquable, on n’a pas saisi qui il est, Dieu fait homme venu s’occuper lui-même de son peuple. Il faut que Pierre le proclame, c’est là la nouveauté, et que nous le suivions, mais cela ne suffit pas encore, comment pouvons-nous être avec lui ?
On peut compléter la profession de foi de Pierre dans cet évangile, parce qu’elle arrive plus tard, pour qu’on soit sûr qu’il est avec Jésus. Jésus ne lui demande pas simplement « qui suis-je ?», parce qu’on peut reconnaître qui est Jésus sans l’aimer.
Vous voyez, dans l’évangile, par moments, qui sont les premiers à dire qui est Jésus, les démons. Nous savons bien qui tu es, mais ne viens pas nous déranger. Alors la profession de foi de Pierre, toute seule, ne serait pas suffisante.
Ce que Jésus dit à Pierre plus tard dans l’évangile, c’est
– « m’aimes-tu ?
– Tu sais bien que je t’aime,
– M’aimes-tu vraiment, m’aimes-tu plus que ceci ?
– Tu sais bien que je t’aime. »
Eh bien, pour que Pierre et ses successeurs, et nous aussi, puissions être des témoins du Christ, il faut reconnaître qui il est, et ça, on ne va pas le deviner. Ce n’est pas la chair et le sang qui nous permettent de le savoir, il faut l’aide de Dieu. Mais ça ne suffit pas. On peut dire qui il est et ne pas l’aimer. Si on ne l’aime pas, alors on n’est pas le peuple de Dieu. Si les pasteurs, Pierre et ses successeurs, et d’autres, reconnaissent qui est le Seigneur, mais ne l’aiment pas, alors on retombe dans le vieux problème.
Sans doute, faut-il parfois que Dieu change ses pasteurs, et l’histoire s’en occupe. Mais prions pour les successeurs de Pierre, prions pour le Pape, et en même temps prions, si j’ose dire, pour tous nos pasteurs, et prions pour nous-mêmes, car qui témoigne du Christ ? C’est l’ensemble du peuple de Dieu, uni dans la foi par le ministère de Pierre et de ses successeurs. Demandons que nous puissions reconnaître qui il est, pas seulement un homme religieux inspiré. Dieu fait homme, Dieu fait homme qui vient s’occuper de son peuple. Montrons-le par toute notre vie, et nous pouvons le faire seulement si nous l’aimons. Voilà notre vocation.
Et en même temps, souvenons-nous de quelque chose. On voit dans l’Ancien Testament qu’il faut régulièrement changer les pasteurs. Est-ce que désormais nous avons passé cette étape ? Parce que le Fils de Dieu est là lui-même. Nous avons quelque chose à apprendre de la manière dont le peuple juif regarde Dieu. Nous avons pas mal de choses à apprendre, tout l’Ancien Testament, mais entre autres voyez le débat entre des rabbins. Est-ce que par moments ils tombent d’accord ? Pas vraiment, ils ne peuvent pas tomber d’accord parce que s’ils disaient maintenant on a trouvé et nous sommes d’accord, cela rabaisserait Dieu. Donc dans leur perspective, continuer à débattre signifie on n’a jamais complètement compris Dieu. Et si on pense qu’on l’a complètement compris, alors on le méprise. Il y a là peut-être un risque pour nous.
Reconnaître que Dieu est présent, l’aimer
En croyant désormais que Dieu s’est manifesté à nous, qu’il s’est fait homme, nous pourrions dire nous avons passé par-delà l’étape d’une certaine inconnaissance. Oui, mais il reste quand même que si à un moment donné nous pensons avoir suffisamment et complètement compris Dieu, même parce qu’il s’est fait homme, alors nous ne lui sommes pas fidèles, nous ne pouvons pas témoigner de lui.
Demandons au Seigneur en même temps de nous faire grandir dans la foi, de nous aider à le reconnaître présent, lui qui vient s’occuper de son peuple lui-même, et à ne pas tomber dans une forme de mépris qui viendrait de la familiarité, en croyant que nous sommes suffisamment ses disciples. Nous ne le sommes jamais suffisamment.
Seigneur, aide-nous à être témoins, tes témoins, aide-nous à croire en toi ! Et si parfois il ne faut pas dire trop vite qui il est, ce n’est pas seulement parce que dans l’Évangile c’est trop tôt, c’est aussi parce que nous risquons de le dire trop mal. Qu’il nous aide à le dire et à le manifester en vérité. Amen
21e Dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Isaïe 22, 19-23 ; Psaume 137 ; Romains 11, 33-36 ; Matthieu 16, 13-20
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