Homélie du 28 octobre 2012

Prédicateur : Chanoine Jean-Claude Crivelli
Date : 28 octobre 2012
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

La scène se passe à l’intérieur d’une voiture taxi. Nous pouvons y suivre, en dix séquences – d’où le titre du film d’Abbas Kiarostami, « Ten » (y défilent une série de personnages avec leurs problèmes existentiels) – le trajet de Mania, la conductrice, qui essaie de convaincre son enfant du bien-fondé de son divorce et de son remariage. L’enfant est insupportable : il est le représentant de ce machisme primaire, souvent mis en scène par le réalisateur iranien. Voir « Une séparation », son dernier film. En fin de compte, c’est la défaite des femmes, toujours victimes d’hommes immatures et violents.

La vie de chacun de nous est un « trajet ». Au sens littéral du terme latin « trajicere » : jeter à travers. Une traversée en plusieurs étapes, avec des rencontres, des événements qu’il faut gérer. Et, quand je jette un regard sur mon trajet personnel, je vois qu’il est tissé de combats, d’échecs, de victoires, de cuisantes défaites. Pourtant je sais que je marche vers un terme. Un horizon que chacun rêve et nomme selon ses convictions et sa croyance. A l’être humain est donné de concevoir l’existence comme une traversée qui le conduit vers un mieux, un achèvement. Le psaume 125 que nous méditions tout à l’heure traduisait cette aspiration dans les catégories de la foi juive. Il était impensable, en effet, que Dieu laisse le trajet de son peuple se clore sur une défaite, l’exil. Pour qui se fie en Dieu, le chemin de la vie, quoique semé dans les larmes, est un retour et une montée vers la ville sainte.

Les évangiles que nous lisons depuis quelques dimanches dans l’évangile de Marc peuvent être interprétés comme un trajet et une montée. Jésus prend conscience que la traversée de ce monde doit prendre un sens particulier. Son chemin est une mission dont il voudrait confier le secret à ceux et celles qui sont capables de l’accueillir et de devenir ainsi les collaborateurs de cette mission dans le monde. La mort du Fils de Dieu, reconnu toutefois comme Messie par les disciples, marquera l’échec de la mission de Jésus. Mais – et là nous mesurons le caractère paradoxal du trajet de Jésus – la Croix devient une ouverture. « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu », s’exclame le centurion païen, tout à la fin de l’évangile de Marc. Ouverture, pour qui s’est laissé initier au secret de Dieu sur l’humanité, pour qui a consenti au mystère pascal que Jésus annonce par trois fois dans les évangiles de ces derniers dimanches. Notre existence de disciples se révèle paradoxale : nous disons que nous suivons l’Evangile du Christ, pourtant la lecture de cet Évangile nous prend à chaque fois en faute.

Pour preuve il n’est que de relire les péricopes évangéliques de ces derniers dimanches : la parole du Christ éclaire à chaque fois des situations de vie ; elle en désigne les limites, les impasses, l’hypocrisie – comme dans le film « Ten ». Nous sommes des aveugles. Mais, consolons-nous, les disciples l’étaient tout autant.   Exemples. Ils se discutent entre eux pour savoir qui est le plus grand ; et Jésus de leur rappeler qu’en humanité chacun est serviteur de ses frères et de ses sœurs (Marc 9, 33-37 et Mc 10, 35-45)). Ils s’imaginent que le bien ne peut se faire que par eux ; et Jésus de réagir contre le sectarisme de son Eglise (Mc 9, 38-43). Sans oublier les conflits à l’intérieur du couple où il y a toujours risque de domination de l’un sur l’autre (Mc 10, 2-12). Ni bien sûr le problème récurrent, et combien actuel, des richesses – les « grands biens » qui finalement constituent l’obstacle par excellence à notre entrée dans le royaume de Dieu. « Mais alors, qui peut être sauvé ? » (Mc 10, 26)

C’est ici – c’est-à-dire quand j’ai mesuré les défaites qui ponctuent mon trajet de vie et que je me reconnais aveugle et que j’en viens à mendier de l’aide à celui-là seul qui peut m’en fournir. C’est donc ici qu’intervient l’évangile de notre dimanche. Il n’y pas grand chose à lui ajouter sinon qu’en Jésus Dieu est victorieux de l’incompréhension des disciples, et donc des hommes. La victoire de Dieu c’est quand des hommes et des femmes, illuminés par l’Évangile, se mettent à suivre le Christ, désirant vivre de sa parole.

La conclusion de notre passage d’Évangile, c’est que Bartimée se met à la suite de Jésus sur la route. Voilà bien l’Eglise – du moins une prophétie de cette dernière : elle est la communauté fondée sur des options nouvelles, celles que Jésus –invoqué comme le Maître par l’aveugle (cf. Marc 10, 41 « Rabbouni ») –   nous propose au fil des ch. 9 et 10 de l’évangile de Marc. Or voilà qui se situe à l’opposé de la domination du frère sur le frère, de la jalousie des uns à l’endroit des autres, de l’accaparement des richesses par quelques-uns, … autant de perversions dont le cercle des disciples sont comme le miroir.

Désormais, avec le Christ marchant vers l’accomplissement de son mystère pascal, un trajet neuf s’ouvre pour l’humanité.»

30e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Jérémie 31, 7-9; Hébreux 5, 1-6; Marc 10, 46-52

28 octobre 2012 | 15:37
par Barbara Fleischmann
Temps de lecture : env. 3  min.
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