Monographie de la Cathédrale de Chartres - Atlas (1867) - Vitrail de la vie de Jésus Christ - Chromo-lithographie. | Wikimedia commons
Homélie

Homélie du 3 septembre 2023 (Mt 16, 21-27)

Chanoine Roland Jaquenoud – Abbaye de Saint-Maurice (VS)

« Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »

Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui a poussé Jésus à repousser saint Pierre avec une telle violence ?

Pourtant, tout avait bien commencé. Nous l’avons entendu dimanche dernier : jusque là, Pierre avait tout juste. A Jésus qui demandait ce qu’on disait de lui, les disciples avaient répondu : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. ». Quant à Pierre, lui, il avait donné avec enthousiasme la bonne réponse : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Quelle extraordinaire profession de foi. Si extraordinaire que Jésus s’était à son tour enthousiasmé. « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » Or voilà que maintenant, quelque seconde plus tard, celui qui a été choisi pour être la pierre angulaire de l’Église est tout à coup devenu Satan. Celui qui s’était entendu dire par Jésus « ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » est devenu pour Jésus une « occasion de chute » dont les pensées ne sont plus du tout celles de Dieu.

Que s’est-il passé ?

Eh bien il s’est passé que le grand saint Pierre, l’homme de foi par excellence, celui qu’a eu tout juste, n’a pas pu admettre la suite de l’enseignement de Jésus : la révélation de ses souffrances, de sa mort et de sa résurrection : « À partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. »

Cette révélation-là, Pierre n’a pas pu l’admettre. Il s’y est opposé de toute sa force. Comme le dit l’Évangile, après l’avoir pris à l’écart, il fit à Jésus «de vifs reproches ».  Proclamer Jésus : Christ, Fils de Dieu, ça oui, Pierre l’a fait, et de tout son cœur. Mais entendre ce même Jésus parler de sa descente jusqu’au fond de la misère humaine, et que c’est cette voie là, et pas une autre, qui est chemin vers la résurrection – c’est-à-dire la vraie vie –, ça, non ! c’est impossible, inaudible, inadmissible. Et voilà notre Simon, pierre angulaire de l’Église, devenu tout à coup Satan. Le reproche de Jésus est terrible. Refuser l’annonce de la mort et de la résurrection du Seigneur annule la foi, anéantit même une inspiration divine, transforme l’homme de foi en diable.

C’est terrible, vraiment. Mais pourquoi cela ? Est-ce qu’une remarque, même intempestive et mal placée, mérite une telle accusation ?

Et si Pierre, qui, lorsqu’il professait Jésus – Christ et Fils de Dieu, était le symbole de la foi de l’Église, était devenu, en refusant la croix, le symbole de ses pires manquements ?

La seule voie proposée par Jésus : prendre sa croix et le suivre

L’histoire de saint Pierre nous avertit qu’on peut avoir tout juste dans la proclamation de la foi, être d’une orthodoxie parfaite, et en même temps être complètement à côté du sens de la foi, de ses implications dans la vie réelle. Pierre a proclamé la foi au Christ Fils de Dieu qu’il a reçue du Père Lui-même. Du coup, il a cru que du haut de son autorité de Pierre nouvellement acquise, il pouvait contester le cœur du message de Jésus, la conséquence même de la foi : la Croix, l’amour jusqu’à la perte de soi-même, le don total de soi. Et pourtant, c’est là la seule voie par laquelle Jésus a choisi de sauver le monde. Et c’est aussi la seule voie qu’il propose à ses disciples :

« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. »

C’est cela le sens profond de la foi : l’amour fou signifié par la croix, source de vie et de résurrection. En le refusant, Pierre s’est transformé en Satan, en occasion de chute pour Jésus lui-même. Chers frères et sœurs, chaque fois que l’Église – c’est-à-dire nous – oublie le chemin de la croix, chaque fois qu’elle veut prendre le pouvoir sur la révélation, faire de Jésus sa chose, elle devint occasion de chute, elle devient Satan. Seul le chemin de la charité parfaite la fait devenir instrument du salut, c’est-à-dire de la rencontre de chacun avec Dieu. Amen

22e Dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Jérémie 20, 7-9; Psaume 62; Romains 12, 1-2; Matthieu 16, 21-27

Monographie de la Cathédrale de Chartres – Atlas (1867) – Vitrail de la vie de Jésus Christ – Chromo-lithographie. | Wikimedia commons
3 septembre 2023 | 09:35
Temps de lecture : env. 4  min.
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