Homélie du 30 mars 2014

Prédicateur : Abbé Pascal Desthieux
Date : 30 mars 2014
Lieu : Eglise Saint-Joseph, Genève
Type : radio

Chers paroissiens, chers choristes et chers auditeurs,

Avez-vous vu Sœur Cristina ? Elle fait le buzz sur Internet : plus de 36 millions de personnes ont vu la vidéo de son passage à la version italienne de The Voice, la recherche de la plus belle voix. L’émission commence par des auditions à l’aveugle : le candidat chante tandis que les jurés ont le dos tourné, et peuvent se retourner s’ils désirent accueillir le talent dans leur équipe. Et voilà cette sœur sicilienne de 25 ans qui commence à chanter. Et elle chante bien. Le public est enthousiaste. Les quatre jurés se retournent les uns après les autres, peut-être aussi par curiosité. Et c’est magnifique de voir leur surprise, les yeux équarquillés, la bouche bée quand ils découvrent que la chanteuse est une religieuse. Un des coaches en a même les larmes aux yeux.

Quel est le lien avec la guérison de l’aveugle né ? Il me semble que le dialogue qui va suivre l’audition ressemble un peu à l’interrogatoire de l’aveugle guéri.

Passé l’étonnement, la stupéfaction, on interroge la jeune religieuse : « Es-tu vraiment une sœur ? – Sono suora verissima : Oui, une vraie sœur ! – Mais qu’est-ce qui t’a pris de participer à The Voice ? – Eh bien, j’ai un don et je vous le donne, non ? » Tonnerre d’applaudissement. Mais l’interrogatoire continue : « Que va penser le Vatican de ta venue ici ? – Je ne sais pas, répond la sœur, mais je m’attends à un coup de fil du Pape François. Parce qu’il nous invite à sortir, à évangéliser, à dire que Dieu n’enlève rien et qu’au contraire, il nous donne encore plus ! » Vous voyez, elle ne se laisse pas démonter. Elle répond simplement, avec beaucoup de bon sens, comme l’aveugle guéri par Jésus. Et la réaction des coaches me fait penser à l’entourage de l’aveugle : ils sont étonnés, surpris, curieux. Mais est-ce que cela va aller plus loin ? Est-ce que cette rencontre inattendue va leur donner le profond désir de mieux connaître Celui qui est à l’origine de la guérison de l’aveugle et de la vocation de la religieuse ? « Si tu avais été là quand j’étais petit et que j’allais à la messe, j’aurais continué et aujourd’hui, je serais pape ! » Ce coache, qui avait les larmes aux yeux, a-t-il vraiment été touché ou s’amuse-t-il comme les autres de cette situation insolite.

Dans les commentaires des internautes, on voit aussi toutes sortes de réactions. Si la plupart sont enthousiastes et applaudissent, quelques courroucés écrivent : « Mais quelle honte ! Une religieuse ne devrait en aucun cas se rabaisser à participer à ce genre d’émission ! Sa place n’est pas là, mais au couvent… ». Dans l’Evangile aussi, il y en a qui s’indignent : « Quelle honte de faire une guérison le jour du sabbat ! Allez vous faire guérir les autres jours ! ».

Nous avons entendu cet Évangile à plusieurs voix. Je vous propose de regarder de plus près les différentes personnes ou groupes qui sont en cause.

Il y a d’abord les disciples, qui interrogent Jésus : « Est-ce lui qui a péché, ou bien ses parents ? ». S’il est comme ça, c’est qu’il l’a un peu cherché, non ? Avec une telle attitude, ils ne risquent pas de lui venir en aide.

Les disciples représentent ceux qui regardent l’autre de haut, et posent très vite un jugement sans chercher qui il est.

Après la guérison, il y a les voisins, qui ne vont pas au-delà du merveilleux. Ils sont surpris : « n’était-ce pas cet aveugle qui se tenait là pour mendier ? Comment ce fait-il qu’il voit maintenant ? Et où est-il ce Jésus ? » On ne sait pas. Et pour les voisins cela s’arrête là, ils ne vont pas chercher plus loin.

Les voisins représentent ceux qui sont étonnés, parfois même un peu curieux de ce qui provient des croyants, mais ça ne les touche pas plus que cela. La vie continue, on passe à autre chose.

Il y a ensuite les parents de l’aveugle guéri. Convoqués par les pharisiens, ils ne veulent pas se mouiller : « Effectivement c’est notre fils, il est bien né aveugle, mais comment il voit aujourd’hui, nous ne savons pas. Interrogez-le vous-même ». Ils ont peur de se faire exclure, alors que les exclusions de la synagogue sont rares à cette époque.

Les parents représentent ceux qui veulent bien croire un peu, mais à condition que cela ne leur cause aucun souci, aucun dommage. Ce sont ceux qui gardent leur foi de manière privée, sans prendre le risque de s’exposer comme chrétien.

Nous avons les pharisiens, qui vont de la discussion légaliste au refus et à l’exclusion. Ils intentent un procès. Ils interrogent l’aveugle guéri et ses parents, mais c’est bien le procès de Jésus qu’ils font. Celui-ci a transgressé une loi, celle du sabbat, en faisant même une double transgression puisqu’il a fait de la boue avec sa salive et il a guéri l’aveugle. Pour eux, c’est clair : « celui-là ne vient pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat ». L’aveugle guéri a beau leur expliquer que celui qui fait un tel acte de bienveillance ne peut pas être mauvais, rien n’y fait. Ils érigent une loi en principe absolu et condamnent tous ceux qui ne la respectent pas.

Les pharisiens représentent les plus légalistes d’entre nous, qui prenons le risque d’enfermer le pécheur dans son péché.

Nous arrivons à l’aveugle, qui fait tout un chemin de foi au cours de cet Évangile. Aveugle de naissance, il symbolise l’humanité plongée dans la nuit quand elle ne connaît pas Dieu. Il commence par obéir fidèlement au Christ, en allant se laver à la piscine de Siloé. Au moment de sa guérison, il sait juste que l’homme s’appelle Jésus. Au fil de sa confrontation avec les pharisiens, il comprend qu’il ne peut venir que de Dieu et il en conclut que c’est un prophète. Finalement, il rencontre Jésus, qui lui demande : « Crois-tu au fils de l’homme ? – Mais qui est-il ? – C’est lui qui te parle ». Il s’écrit alors : « Je crois, Seigneur ! ».

Cet aveugle guéri représente ceux qui se mettent en route, dans la foi, pour adhérer à Dieu et s’éloigner du mal. Parmi eux, nous pensons aux sept catéchumènes qui seront baptisés ici Pâques, et à tous les catéchumènes de Suisse Romande et du monde entier. Nous continuons de prier pour eux.

Jésus, enfin, est au centre de cet Évangile. Par cette guérison, il vient manifester l’action de Dieu, son œuvre de libération. Il donne dès le début la portée de ce miracle : « Je suis la lumière du monde ». Il dit être venu dans le monde pour une remise en question : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. Au final, l’aveugle voit, tandis que les pharisiens sont qualifiés d’aveugles. Les coaches des « auditions à l’aveugle » ont ouvert tout grand les yeux quand ils ont découvert la religieuse qui chantait ; mais comme les proches de l’aveugle guéri, ils pourront vite redevenir aveugles s’ils ne vont pas plus loin que l’étonnement et la surprise.

Nous, ce matin, ouvrons les yeux à la lumière du Seigneur, qu’elle ne vienne pas juste nous émouvoir pour quelques instants, mais pénétrer au plus profond de nous-mêmes. Comme l’a dit saint Paul : « Vous étiez dans les ténèbres, mais à présent vous êtes devenus lumière dans le Seigneur. Conduisez-vous en enfants de lumière ».

4e dimanche de Carême

Lectures bibliques : 1 Samuel 16, 1b.6-7.10-13a; Ephésiens 5, 8-14; Jean 9, 1-41

30 mars 2014 | 14:14
par Barbara Fleischmann
Temps de lecture : env. 5  min.
Partagez!

plus d'articles de la catégorie «Homélie»