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Homélie

Homélie du 4 février 2024 ( Mc1, 29-39)

Abbé Pierre-Yves Maillard – Chapelle de Glace, Leysin, VD  

« Il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Evangile dans leurs synagogues » (Mc 1, 39). Il y a quelques jours, on m’a posé pour la première fois une question d’apparence très simple, mais en fait très profonde. Quelqu’un m’a demandé quel pouvait être le contenu de cet « Evangile » que Jésus, dès le début de son ministère, proclame partout. Nous, nous savons bien ce qu’est l’Evangile, ce que sont « les quatre évangiles » de Matthieu, Marc, Luc et Jean, et nous les proclamons à chaque messe. Mais Jésus, qui parle avant la rédaction de ces textes, de quoi parle-t-il quand l’évangile dit qu’il proclame l’Evangile ?

On peut d’abord se souvenir que l’évangile de Luc, au chapitre 4, donne quelques indices du contenu de la prédication de Jésus. On y lit qu’à la synagogue de Capharnaüm, Jésus lit le passage d’Isaïe annonçant la présence de l’Esprit sur le Messie consacré pour porter la Bonne Nouvelle au pauvre, annoncer aux captifs leur libération et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. Puis Jésus poursuit : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre ».

Jésus, qui vit avec le Père et l’Esprit, reçoit l’Esprit et le donne pour que nous le recevions

On peut donc entendre que l’Evangile proclamé par Jésus, c’est en quelques mots la réalisation des textes de l’Ancien Testament. L’actualisation des prophéties d’Isaïe. L’annonce qu’il vient, lui, accomplir ce qui était annoncé. Et l’invitation qui nous est adressée pour accomplir, nous, ces mêmes textes. Jésus, qui vit avec le Père et l’Esprit, reçoit l’Esprit et le donne pour que nous le recevions. Jésus, qui est la Parole de Dieu, proclame la Parole pour que nous la recevions et la mettions en pratique. « C’est pour cela que je suis sorti », dit Jésus. Sorti de la synagogue, sorti de la maison de Pierre, mais d’abord et plus fondamentalement : sorti en quelque sorte du mystère trinitaire ; envoyé et né dans le monde pour y annoncer cette parole. La proclamation de l’Evangile, c’est peut-être d’abord cela : appeler à croire cette Parole, à la prendre au mot, à croire qu’elle s’accomplit, ici, maintenant.

Proclamer l’Evangile, pour Jésus, c’est «crier», «interpeller», rendre présent à la présence de son Père

On peut aussi remarquer que, si l’expression « proclamer l’Evangile » revient deux fois dans la version française du texte que nous venons d’entendre, l’original grec dit encore plus sobrement, seulement « proclamer ». Pour Jésus, proclamer l’Evangile, c’est simplement « proclamer ». Le terme grec évoque l’idée d’une interpellation importante et urgente : « kerusso », d’où viendra le mot « kérygme », qui désignera la première annonce du mystère pascal : « Jésus est ressuscité, Jésus est vivant, Jésus est Seigneur ». La racine étymologique grecque vient encore plus haut de « kraugè », qui signifie « le cri ». A sa naissance, un bébé crie pour déployer ses poumons, et c’est un signe de bonne santé. Eh bien c’est ce mot, en grec, qui donnera le « kérygme », la « proclamation de l’Evangile ». Une Eglise qui n’annonce pas l’Evangile, qui se tait, n’est-elle pas menacée de mauvaise santé, et de mort ? Job, dans la première lecture de ce jour (Job 7, 1-7), est moins loin de cette proclamation de l’Evangile lorsqu’il crie sa douleur et sa souffrance à la face de Dieu.  Parler en vérité, laisser jaillir sa révolte, la confier à Dieu, se tenir devant lui quoi qu’il arrive et tout lui dire, c’est peut-être aussi cela, « tenir Parole de Dieu » et la faire advenir dans le monde. Proclamer l’Evangile, pour Jésus, avant même toute notion du « kérygme » qui annoncera sa résurrection, c’est donc simplement « crier », « interpeller », rendre présent à la présence de son Père, prolonger et concrétiser l’appel à la conversion qui était la prédication de Jean-Baptiste dont il fut lui-même baptisé.

La vocation de tous les baptisés : annoncer la bonne nouvelle de l’Evangile

La « proclamation » de Jésus appelle donc naturellement la nôtre. C’est aujourd’hui le « dimanche des laïcs ». Ces textes tombent bien pour nous rappeler la vocation de tous les baptisés à annoncer, chacun à sa manière, la bonne nouvelle de l’Evangile. Il ne s’agira pas forcément d’un enseignement parlé, ni d’une doctrine à inculquer. Mais d’informer le monde d’une présence, d’une Parole à l’œuvre, d’en témoigner, d’en vivre seulement. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ! » (1Co 9, 16-23), dit saint Paul dans la deuxième lecture de ce jour. Dans sa première encyclique sur la charité, le Pape Benoît XVI consacrait un beau passage à rappeler que celui qui aime sait quand parler et quand se taire pour laisser seul parler l’amour dans le témoignage de la vie donnée (Deus Caritas est). Plus près de nous, le Pape François rappelle régulièrement l’importance de tous les laïcs, et non seulement de ceux qui travaillent en Eglise : « Nous devons reconnaître le laïc, par sa réalité, par son identité, parce qu’il est immergé dans le cœur de la vie sociale, publique et politique. Nous devons être du côté de notre peuple, en l’accompagnant dans ses recherches et en stimulant son imagination capable de répondre à la problématique actuelle de l’Eglise » (19.03.16).

Que le Seigneur renouvelle donc en chacun de nous son appel à « proclamer l’Evangile » par notre vie. C’est pour cela qu’il est sorti ; pour cela que nous devons sortir à notre tour ; la Parole de Dieu s’accomplit.

5e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Job 7, 1-7 Psaume 146 ; 1 Corinthiens 9, 16-23 ; Marc 1, 29-39

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4 février 2024 | 09:35
Temps de lecture: env. 4 min.
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