Homélie du 4 juin 2023 ( Jn 3, 16-18)
Didier Berret, diacre – Chapelle du Vorbourg, Delémont
Célébration de la Sainte Trinité
« J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien, on n’entend rien. Cependant quelque chose rayonne en silence. » Saint-Exupéry, le Petit prince.
C’est du Saint Exupéry. Dans le Petit prince. C’est tellement simple ! Tellement simple et tellement immense. « Quelque chose rayonne en silence. » La phrase commence par une appréciation subjective : « J’ai toujours aimé le désert » mais elle se poursuit de manière plus générale, presqu’anonyme : « on s’assied, on ne voit rien, on n’entend rien » On n’est pas là pour faire de la grammaire, mais si au lieu de cela l’auteur avait dit « je m’assied sur une dune, ou « lorsque je me suis assis sur une dune… » Ça n’aurait eu aucun autre poids que celui d’une expérience lambda d’un gars un jour assis au milieu du désert. En passant du « je » au « on », il exprime que ce qu’il éprouve le dépasse complètement et le projette ailleurs.
L’expérience est réellement intime mais elle le décentre entièrement dans ce quelque chose d’infime qui rayonne en silence. Un quelque chose d’insaisissable qui ressemble au silence ténu qu’Elie perçoit sur la montagne de l’Horeb ou à l’expérience lumineuse que Moïse fait dans la nuée du Sinaï ! C’est tellement saisissant qu’il en tombe par terre et se prosterne.
Des instants hors du temps
Dans le récit du Petit prince quelqu’un est pleinement là sur une dune et ce quelqu’un devient tout entier désert, Elie est là à l’Horeb dans la plénitude du rendez-vous et il se remplit tout entier de silence, Moïse est là, seul sur le Sinaï et il est tout entier présence ! L’abbé Maurice Zundel qui reprend un vers d’Arthur Rimbaud dit qu’à ce moment-là « Je est un autre ». Une manière étrange de dire que ces instants hors du temps racontent, avec des mots qui échappent à nos sens, ce que les mystiques appellent l’extase – la sortie de soi – autrement dit : la pure présence dans la communion profonde à autre chose que soi-même.
Ce que « tant aimer » veut dire
Aujourd’hui, en Eglise, nous fêtons la fête de la Sainte Trinité. La théorie sur la Trinité est épouvantablement complexe, mais la réalité est toute simple. Un peu comme pour la musique. La théorie de la physique des ondes va pour les grands esprits, mais savourer une œuvre transcende tout ce que l’on peut en dire et cela s’offre à tous. Trinité, c’est un mot unique, créé exprès pour Dieu on ne l’emploie pour rien d’autre ; on parle de trilogie pour des œuvres cinématographiques, de trios en musique ou dans le monde du spectacle, de triplettes à la pétanque. On parle de triplés, mais pour Dieu on dit Trinité. Pour nous, chrétiens, c’est l’un de ses noms. En fait, ce sont deux mots fondus en un seul : Trinité dit à la fois trois et unité.
Ce mystère pourrait être énoncé ainsi « on s’assoit, on ne voit rien, on n’entend rien et quelqu’un rayonne en silence. » Ce rayonnement, cette projection totale et amoureuse de Dieu sur le monde, Saint Jean l’énonce à sa manière : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils ; Dieu a tant aimé le monde qu’il nous donne son Esprit, Dieu a tant aimé le monde qu’il se donne complètement au monde. » Il vaudrait la peine dans nos méditations de nous arrêter et d’éprouver un peu la valeur de ce que « tant aimer» veut dire.
Et l’éprouver d’autant mieux que les temps de présence sur une dune au désert à contempler l’infini, sont dans nos vies, plutôt rares ! Le désert d’0rdinaire nous soumet à d’autres réalités plus rugueuses : la soif, la survie, les serpents, la canicule de midi et les frissons de la nuit. Ce n’est pas par hasard si le ministère de Jésus commence dans ce lieu hostile, éprouvant, dangereux. Et il va manifester à travers sa vie, dans cette réalité-là, dans nos traversées de désert comment l’amour de Dieu se donne, en laissant se rejoindre la contemplation et la vie de tous les jours. Moïse déjà perçoit dans son extase que Dieu se lie à l’humanité avec tendresse, miséricorde, patience, dans la vérité.
Ce sont des mots auxquels l’Incarnation de Jésus vient donner un visage. Des mots que Dieu adresse à l’humanité pour que chaque humain puisse les adresser aux autres humains et qu’on puisse vivre un tout petit bout de cette phrase monumentale : vous imaginez qu’au terme d’une vie on arrive à dire : cet homme, cette femme, rempli.e de l’Esprit Saint a tant aimé le monde, qu’il a, qu’elle a donné sa vie pour lui. On se sent petits, n’est-ce pas ? En attendant on pourrait commencer par reprendre le texte de Saint-Exupéry en le transformant un peu :
J’ai toujours aimé les gens. On s’assied quelque part, on s’arrête, on échange, on s’écoute, on se tait ensemble. Ils nous échappent. Cependant dans ces rencontres, quelque chose de Dieu rayonne en silence.
Fête de la Sainte Trinité
Lectures bibliques : Exode 34, 4-9 ; Cantique Daniel 3, 52, 53, 54, 55, 56 ; 2 Corinthiens 13, 11-13 ; Jean 3, 16-18
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