Homélie du 6 juillet 2025 (Lc 10; 1-9)
Père Luc Ruedin – Chapelle de La Pelouse, Bex, VD
Chères sœurs, chers amis, chers auditeurs,
Nous venons d’entendre la Parole de Dieu. Mais l’avons-nous vraiment écoutée ? A-t-elle eu un impact sur nous ? Avons-nous senti des motions spirituelles ? Je veux dire des affections et des pensées qui nous mettent en mouvement :
– Joie, Exultation, Consolation, à la 1ère lecture
– Louange, avec le Psalmiste
– Incompréhension peut-être : comment la croix peut-elle être la seule fierté de Paul ?
– Interrogation sans doute : voyager sans bourse, ni sac, ni sandales et ne saluer personne en chemin ?
Pour le dire en un mot, cette Parole a-t-elle résonné en notre cœur au point de nous affecter, nous émouvoir, nous transformer ? Notre relation au Seigneur et au monde en est-elle modifiée ?
L’appel à la liberté
Si tel est le cas, sentons-nous alors, confusément ou distinctement, l’appel à la liberté ? L’appel à la liberté et du coup… un envoi en mission puisqu’il est dans la nature de l’Amour libérateur de rayonner et de se diffuser ! Sont alors traversées toutes violences, toutes divisions, tout mal – les démons soumis et Satan qui tombe du ciel – car le Royaume de Paix, d’Amour, d’Unité, de Bien se fait présent. N’est-ce pas là notre plus grand désir ? Ne plus être divisés mais unis par l’Amour ? Invités à quitter la violence de nos esclavages – le monde est crucifié pour moi dit Saint Paul ! – nous goûterons alors à la vraie liberté des enfants de Dieu !
Cette liberté, pour celui, celle, qui consent à se laisser transformer par la Parole, a un goût unique. Comme pour Saint Paul sur le chemin de Damas, l’excès de l’Amour qui sur la croix a vaincu tout mal, ouvre un immense espace relationnel : un espace de liberté proportionnel à la densité du mal subi. Entrer et vivre en cet espace ne va cependant pas sans souffrances. À la suite et avec le Crucifié, cet espace meurtri se révèle pourtant empreint d’une joie au goût unique. Un goût de joie à la fois grave et légère, d’une gravité légère et joyeuse aussi paradoxal que celui puisse paraître !
Se réjouir ? Non pas tant que les esprits nous soient soumis mais bien que nous soyons, par la grâce du baptême, à la racine de notre être, aimés par Celui qui est venu dans nos abîmes pour nous sauver et faire de nous des créatures nouvelles. « Réjouissez-vous nous dit Jésus parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux » c’est-à-dire dans cet espace divin infini d’Amour et de Miséricorde !
La vie est entachée par le mal
Une expression imagée peut illustrer cela : le ver est dans la pomme ! Traduisez : la vie est entachée par le mal. Plusieurs attitudes existentielles sont alors possibles :
- On peut croquer la vie à pleines dents ignorant… qu’il y a un ver dans la pomme. Pourtant, tôt ou tard, nous goûtons la déliquescence et l’amertume du fruit pourri. Le mal est certes affronté mais à quel prix ! Il demeure un obstacle sur notre route. Un sentiment de l’absurde, du désespoir, du à quoi bon nous envahit alors…
- On peut aussi en connaissance de cause éviter de manger la pomme, de croquer à pleines dents la vie et ainsi… rester sur notre faim en fuyant le monde. Evitant à tout prix le mal nous oublions alors de vivre ! À la fin, que reste-t-il ? Un goût d’inachevé, un sentiment d’avoir manqué à sa vie.
- On peut encore, sachant combien la vie est tragique, n’en manger que ce qui est bon et ne pas toucher au reste. Suivant la maxime stoïcienne qui fait la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas, nous concentrons nos efforts et notre attention sur ce que l’on peut contrôler (nos pensées, nos jugements, nos actions) tout en acceptant avec sérénité ce qui échappe à notre influence (les événements extérieurs, les actions des autres, etc.). Avec sérénité ? Le peut-on vraiment ? Une telle sagesse est-elle possible ? Ne perdons-nous pas l’élan vital, le mouvement même de la vie, sa saveur ?
- Enfin, et c’est la voie chrétienne, on peut à l’exemple d’Etty Hillesum aborder la mort non comme une fin, mais comme une partie intégrante de la vie, une réalité à intégrer pour l’enrichir. « L’éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder la mort en face et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie » écrit-elle et lui donner ainsi son sens le plus profond. Par et dans l’Esprit-Saint, le chrétien découvre que la déliquescence et l’amertume de la vie sont transfigurées par l’Esprit de Celui qui a assumé ce qui divise et défigure l’homme. Il vit alors sa Pâque. En ce mouvement pascal à nul autre pareil, lui est donné le goût inouï de la liberté désentravée de tout mal par l’Amour.
Celui qui se risque sur cette voie peut alors aller sans défense – sans bourse, ni sac, ni sandales – tel un agneau au milieu des loups ; aller de par le monde en proclamant la Paix dont il a perçu la force et la profondeur. Et si l’accueil est refusé, il enlèvera la poussière de la ville collée à ses pieds, la laissera semer le royaume de la division, tout en continuant de proclamer que le règne de Dieu s’est approché.
Telle une musique céleste…, laissons résonner la Parole qui creuse en nous cet espace relationnel de liberté et dévorons la vie à pleines dents dans l’Amour de Celui qui donne la joie parfaite : « Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez ! »
Alors comme le chante Jean-Joseph Surin jésuite du XVIIe siècle, il nous suffira que l’Amour nous demeure :
1. Je veux aller courir parmi le monde,
Où je vivrai comme un enfant perdu ;
J’ai pris l’humeur d’une âme vagabonde,
Après avoir tout mon bien dépendu.
Ce m’est tout un que je vive ou je meure,
Il me suffit que l’Amour me demeure…
2 Déchu d’honneur, d’amis et de finance,
Amour, je suis réduit à ta merci,
Je ne puis plus mettre mon espérance
Qu’au seul plaisir d’être à toi sans souci.
Ce m’est tout un…
3. Pauvre et content j’irai chercher fortune,
Par un chemin que je n’ai jamais su ;
J’ai pour logis la Campagne commune,
Où je serai toujours le bien reçu.
Ce m’est tout un…
4. Si de la mer je touche le rivage,
Et que l’amour d’y voguer m’ait permis,
Dans un vaisseau sans voile et sans cordage,
J’irai partout malgré mes ennemis.
Ce m’est tout un…
5. J’aime bien mieux souffrir l’injuste blâme
De ces prudents qui craignent de périr ;
Qu’en conservant trop chèrement mon âme « ‘
Ne rien risquer et ne rien conquérir.
Ce m’est tout un…
6. Dans ce profond d’Amour inexplicable,
Mille secrets à mon cœur sont ouverts ;
Et du plus secret d’un Enfer effroyable,
Viennent sur moi mille monstres divers.
Ce m’est tout un.
7. Mais faudra-t-il que ma bouche décrive
Le grand abîme où je suis descendu ;
C’est un état qui n’a ni fonds, ni rive,
Et de bien peu je serais entendu.
Ce m’est tout un…
8. Au revenir de cet heureux naufrage
Je veux parler à la face des Rois,
Je veux paraître en ce monde un sauvage,
Et mépriser ses plus sévères lois.
Ce m’est tout un…
9 Je ne veux plus qu’imiter la folie
De ce JESUS, qui sur la Croix un jour
Pour son plaisir perdit honneur et vie,
Délaissant tout pour sauver son Amour.
Ce m’est tout un que je vive ou je meure,
Il me suffit que l’Amour me demeure.
Amen.
14ème dimanche ordinaire
Lectures bibliques : Isaïe 66,10-14c ; Psaume 65; Galates 6,14-18; Luc 10,1-12.17-20
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