Homélie du 6 mars 2022 (Lc 4, 1-13)
Didier Berret, diacre – Église Notre-Dame de l’Assomption, Saignelégier
« Il ne mangea rien durant ces quarante jours, et quand le temps fut écoulé, il eut faim ! »
Elle est incroyable cette phrase. Moi j’aurais eu faim bien avant !
Alors soit Jésus s’est incarné dans un corps fait d’une autre matière que les nôtres, soit l’évangéliste veut nous emmener bien ailleurs.
De quoi a-t-il faim, Jésus, et pourquoi a-t-il mis tant de temps à avoir faim ?
C’est comme si Jésus, au début de son ministère souhaitait prendre le temps, durant 40 jours dans le désert, de s’imprégner concrètement de l’histoire de son peuple qui, lui, a éprouvé physiquement, durant 40 ans dans le désert, la faim, la soif, les serpents, la chaleur, et spirituellement, le doute, le découragement, mais aussi la gratitude, le don. Comme s’il s’agissait de comprendre de l’intérieur, de s’immerger dans tout ce qui constitue la vie, l’espérance, la prière de ce peuple vers lequel il est envoyé. Un peu comme si nous allions passer quelques jours en Ukraine pour éprouver la valeur du mot guerre ou des mots compassion, solidarité, fraternité, persévérance.
La faim du Royaume des cieux
Avant d’annoncer le royaume qu’il connaît si bien, Jésus vient se mettre à la place de ceux qui l’attendent depuis si longtemps. Et il éprouve la faim du Royaume des cieux.
Le diable, lui, n’a rien compris. Il en est resté à l’estomac et propose à Jésus un pis-aller qui n’a aucun sens, un coup de baguette magique : « que cette pierre devienne du pain. »
Ce qu’il ne soupçonne pas, le diable, c’est que Jésus le fera. Il va transformer la pierre en pain. La pierre des tables de la loi en nouvelle alliance du pain donné, de la vie donnée totalement. Mais ça le diable ne peut pas comprendre…
Le diable : son mode de langage est celui du chantage
Il n’aime pas ce Jésus ras-du-sol. Il l’emmène plus haut, comme s’il était désincarné, comme s’il n’était qu’un esprit. Il insiste et propose d’autres mirages : « tous les royaumes de la terre je te les donne ! »
Ce qui montre bien que de tous ces royaumes, comme de la vie de ceux qui les habitent, le diable s’en moque. Non seulement il veut donner ce qui ne lui appartient pas : nos vies, mais son don n’en est pas un ! C’est un business qu’il propose. Il y a un « si » : « je te donne, si… » Son mode de langage est celui du chantage. La seule chose qu’il veut c’est être le chef : qu’on s’agenouille devant lui, quitte pour cela à sacrifier tous les peuples. Voilà bien le ridicule de tous ceux qui acceptent cet ignoble marchandage. Ils s’imaginent les rois du monde et ils sont soumis, à genoux, devant le plus ignoble.
Adorer Dieu c’est prendre soin du plus petit
Jésus propose autre chose : « Dieu seul ! » Parce que Dieu ne prend rien, mais donne tout. Sans contrepartie. Parce que Dieu ne soumet pas mais libère. Parce qu’il ne demande pas des agenouillés mais des êtres debout, vivants, partenaires. Le royaume de Jésus n’est pas un royaume de soumis, mais un royaume de frères et de sœurs. Le diable est prêt à sacrifier la vie de tous, alors que Jésus vient chercher la brebis perdue. Adorer Dieu, lui rendre hommage, c’est prendre soin de l’homme, du plus petit. Pour que chacun soit libéré !
Le diable n’a rien compris : « je te donne… » Jésus est déjà le roi. Un roi qui ne sert pas des autres. Un roi qui sert les autres.
Alors le diable essaie encore. Il n’aime pas perdre. Il monte jusqu’à Jérusalem, jusqu’au Temple, jusqu’au pinacle du Temple. Dans le lieu où l’on vient prier Dieu. Il se promène en maître des lieux et utilise le langage du lieu, celui de l’Écriture. Il déguise sa parole en Parole de Dieu. Il la cite juste, littéralement. Comme les faux témoins à la fin de l’évangile citeront les vraies paroles de Jésus : nous l’avons entendu dire : « je détruirai ce temple et en trois jours je le relèverai. » Ils disent juste mais ils sont des faux témoins parce qu’ils ne comprennent rien à ce que Jésus a dit. Ils n’interprètent pas, mais restent au sens littéral, à la lettre morte. Le diable connait le psaume que nous avons écouté nous aussi. Mais il n’a rien compris. La Parole de Dieu vivante doit être discutée, partagée, accueillie. Pas assénée. Jésus n’essaie même pas de proposer une autre interprétation, mais une autre citation. Pour contrebalancer, mettre en perspective et montrer que l’Écriture est à lire dans son ensemble, dans son histoire, dans ses nuances.
Il est loin de soupçonner, le diable que quelques années plus tard – c’est Luc qui nous le racontera dans le même évangile – un ange est bel et bien venu en face du pinacle du Temple, en bas de la vallée, dans le jardin de Gethsémani pour porter Jésus, le garder, le réconforter avant son arrestation.
Mais il faut de la patience pour voir comment la parole de Dieu se réalise. Ça demande du temps, de la persévérance et le diable est pressé. Même pour Jésus l’urgence de l’annonce du royaume commence par 40 jours de silence. Et c’est précisément là qu’il vient nous chercher. Pas au sommet de nos glorioles ni de nos exploits, mais dans nos déserts. Là où on traine les pieds, où on doute, où on s’inquiète, pour creuser avec nous la faim du royaume des cieux.
1er DIMANCHE DE CARÊME
Lectures bibliques : Deutéronome 26, 4-10 ; Psaume 90, 1-2, 10-11, 12-13, 14-15ab ; Romains 10, 8-13 ; Luc 4, 1-13
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