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Homélie

Homélie du 7 mai 2023 (Jn 14, 1-12)

Chanoine Roland Jaquenoud – Basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice, VS

« En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque ». On est au tout début de l’Église. La descente de l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte vient d’avoir eu lieu, à peine quatre chapitres auparavant. Et déjà apparaissent les problèmes entre les « frères ». Pire : entre les frères de langue grecque et les frères de langue hébraïque : ce ne sont pas que des petits conflits entre personnes. C’est déjà des oppositions entre des groupes constitués. On a parfois voulu croire que l’Église devait être un lieu idyllique, un petit nuage où tout le monde s’entend bien. Le récit des Actes de ce jour nous apprend que dès l’origine, l’Église est un lieu de conflit, un lieu où des frères de langue grecque peuvent récriminer contre d’autres de langue hébraïque. Il n’y a pas d’Église idéale en ce monde : cette église n’existe pas.

Une Eglise en marche, une Eglise qui tâtonne

Par contre, il y a une église en marche. Une église qui tâtonne. Une Église qui essaye de comprendre ce qui lui arrive, à la lumière de Dieu et de sa révélation en Jésus Christ.

Et cette Église, nous la voyons déjà en marche dans cette première église en crise, peu après la Pentecôte. C’est que le sujet de la récrimination des « frères de langue grecque » est sérieux : leurs veuves ne sont pas aussi bien traitées dans le service quotidien, que celle de langue hébraïque. Il y va de l’aide aux plus pauvres, c’est-à-dire de la mission essentielle de l’Église.

On peut deviner derrière la récrimination des frères de langue grecque une crainte de favoritisme au profit de ceux de langue hébraïque. « Ils ne nous aiment pas, ils favorisent les leurs ». Que voilà une église bien proche de la nôtre : on récrimine, on fait des procès d’intention, comme si les autres faisaient exprès de faire mal. Les douze Apôtres, eux, analysent le problème autrement. En raison du service de la prière, qu’ils dirigent, et de celui de la Parole, qu’ils doivent proclamer, annoncer et commenter, ils n’arrivent pas à bien organiser les services en faveur des plus démunis. Tout-à-coup, ils prennent conscience qu’ils ne sont pas des surhommes, qu’avec la meilleure volonté du monde ils n’arrivent pas à tout faire, à tout bien faire. Une Église en marche, c’est une Église qui se rend compte que ceux qui ont été mis à part par le Seigneur lui-même, ceux qui ont été idéalisés par ces premiers chrétiens convertis dont parlent les Actes des Apôtres, ne sont en fait que des êtres humains comme les autres. Une Église en marche, c’est aussi une Église où ceux qui ont été mis à part pour le service de la Parole ont conscience qu’ils ne sont pas tout puissants, qu’ils peuvent se tromper, et qu’ils ne peuvent rien faire sans « l’ensemble des disciples ».

L’Apôtre n’est pas seul, d’autres croyants doivent s’engager

C’est justement l’ensemble des disciples que convoquent les Douze pour trouver une solution à la crise. Que disent-ils à ces disciples ? « Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour le service des tables » Quoi ? Ils vont se désintéresser du pauvre ? Que font-ils du commandement de l’amour ? Que font-ils de la foi qui, pour être vivante, doit s’exprimer dans un amour concret et engagé, qui commence par le souci des plus pauvres ? Il n’est évidemment pas question de cela, chers frères et sœurs. Il ne s’agit pas de négliger. Il s’agit d’accepter profondément que l’Apôtre n’est pas seul, qu’il y a d’autres croyants qui peuvent s’engager concrètement. Rappelez-vous la parole des Douze : « Cherchez plutôt sept d’entre vous que nous établirons dans cette charge ». Cherchez parmi vous des forces vives pour que l’Église tout entière puisse accomplir l’ensemble de sa mission : le service de la parole et de la prière et le service des plus pauvres. Et alors « nous les établirons dans cette charge », car nous sommes les premiers intéressés à la mission de l’Église auprès des plus pauvre.

Chers frères et sœurs, en ces temps de synode, l’Église continue sa marche, c’est à dire qu’elle continue à tâtonner, avec l’aide de l’Esprit, pour accomplir au mieux ses deux missions essentielles, le service de la parole et de la prière, et celui de la charité. Malheureusement, osons le dire, certains utilisent la démarche synodale pour la transformer en lutte de pouvoir : le clergé contre les laïcs et vice versa, le magistère contre les théologiens, et vice versa. La vie de la première église nous enseigne que les crises sont inévitables, qu’elles sont source d’enseignement, à condition que chacun cherche à mettre mieux l’Église au service de ses deux missions terrestres : l’annonce et la célébration de la bonne nouvelle du Christ ressuscité d’une part, le service de la charité de l’autre. L’Église n’est pas un lieu de pouvoir, elle est, nous disait tout à l’heure saint Pierre dans sa deuxième épître, la demeure spirituelle, construite des pierres vivantes que nous sommes, « pour devenir un sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels agréables à Dieu ». Le sacrifice spirituel, l’offrande que l’Église, c’est-à-dire nous, est appelée à offrir à Dieu, c’est celle de notre foi, de notre espérance, de notre charité. Tout appel à la réforme de l’Église devrait viser cette fin, et pas une autre.

Il y a eu crise dans la première Église, il y a eu des récriminations, des soupçons. Mais en fin de compte, tous ont contribué au pas en avant de l’Église en marche : les apôtres avec leur proposition d’instituer des diacres et l’ensemble des croyants qui ont cherché parmi eux les meilleurs candidats au diaconat. Il n’y a pas eu de lutte de pouvoir, parce que l’annonce du Christ et la charité envers le prochain n’est pas affaire de pouvoir, mais d›engagement concret fondé sur le Christ vivant. Qu’il en soit aussi ainsi pour nous aujourd’hui. Amen

5e Dimanche de Pâques
Lectures bibliques : Actes 6, 1-7 ; Psaume 32 ; 1 Pierre 2, 4-9 ; Jean 14, 1-12


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7 mai 2023 | 09:35
Temps de lecture : env. 4  min.
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