"L'adoration des mages" par Giotto di Bondone. Fresque, réalisée entre 1304 et 1306 | Domaine public
Homélie

Homélie du 8 janvier 2023 (Mt 2, 1-12)

Abbé Etienne Catzeflis – Café du Col de Torrent, Villa sur Evolène (VS)

Hommes de bonne volonté, disponibles à l’aventure de la foi

Attention que le récit de l’Epiphanie (aujourd’hui) et celui de Noël ne demeurent des anecdotes infantiles, pour amuser les enfants, comme le conte du Père Noël.

Avec le récit de Noël, Luc nous apprend que Jésus n’est pas un espèce d’extra-terrestre, un sauveur surgi d’ailleurs :
il est un homme né d’une femme comme chacun de nous,
à une époque précise et en une région bien déterminée.
Et les premiers à s’en émerveiller sont des pauvres, qui veillent : les bergers.
Le Sauveur se fera accueillir par les cœurs pauvres … qui restent éveillés dans la nuit du monde.

La mission de Jésus déborde les frontières du judaïsme

Pour sa part le récit des Mages, donné par l’évangéliste Matthieu, montre que la mission de Jésus déborde les frontières du judaïsme.
Evoquant l’adoration de l’Enfant-Roi par « des étrangers », notre récit, fort imagé, donne le ton à tant d’autres paroles et gestes de Jésus, que Matthieu va compiler dans son livre, relevant la grandeur, la foi ou la bonté de personnes non-juives.

Comme nous l’avons entendu dans la 2ème lecture, saint Paul confirme cela : « Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, … »

Chers amis, enlevons la couronne à ces hommes :
les mages n’étaient pas des rois, mais des sortes de savants qui étudiaient les mouvements des astres et autres phénomènes cosmiques, afin d’y lire des messages divins.
Pour atteindre leur but, ils interrogent la tradition juive en passant par Jérusalem.
Une fois parvenus, ils adorent l’enfant-roi et expriment leur hommage par des présents.
Puis, mystérieusement éclairés, ils s’en retournent chez eux par un autre chemin.

COMMENT cet épisode PEUT-IL ECLAIRER notre foi chrétienne aujourd’hui et DONNER SENS à ce que nous voyons dans ce monde varié ?
Un monde varié et vaste (!), mais que nos moyens techniques et nos facilités de communications réduisent en quelque sorte à la taille d’un village.
Cela fascine certains, et fait peur à d’autres, provoquant des mouvements sécuritaires nationalistes, parfois même extrêmes, malheureusement.

Pour retenir un enseignement profitable à notre monde aujourd’hui, évitons d’abord des interprétations réductrices ou simplistes :
Non, les mages ne sont pas venus présenter une sorte d’allégeance à l’Enfant-roi.
Et pour nous, non, il ne s’agit pas d’imaginer notre jubilation dans un rêve que toutes les Nations embrassent notre foi chrétienne.

L’Enfant-Jésus, les bras tendus vers les mages

Je vous invite plutôt à un changement de perspective :
EN REALITE, CE NE SONT PAS LES MAGES qui se déplacent : c’est l’Enfant-Roi qui va à eux.
Telle est la posture tellement significative dans certains tableaux de la visite des mages : on voit l’enfant-Jésus, porté par sa mère, les bras tendus vers ces hommes présentant leurs coffrets.
Ainsi Dieu, dans le Tout-Petit, vient agréer ce que ces hommes lui présentent : l’or, la myrrhe et l’encens.
Prenons cela comme des symboles de la disposition intérieure de ces savants:
L’or (pour un roi) : l’aspiration à la sagesse et à la maîtrise
La myrrhe (baume funéraire) : la pleine reconnaissance de leur finitude malgré leur savoir
L’encens (régulièrement associé aux prières) : l’humilité de concevoir l’existence du Tout Autre et de Le prier.

Dieu présent dans toutes les démarches profanes qui honorent l’homme

Ainsi, par la visite des mages et l’accueil offert par l’Enfant-roi, nous percevons qu’aujourd’hui encore Dieu se trouve bien dans toutes les démarches profanes qui honorent l’HOMME, dans tout le potentiel créateur de l’homme, indépendamment de la religion, quelles que soient la culture, la religion et la race ; tout ce qui, en l’homme, reflète Ce que Dieu est en Lui-même.

Pensons aujourd’hui au monde de la science et au monde de l’art – avec la somme des œuvres techniques et culturelles (musiques, poèmes, peintures, danses, etc…).
Tout ce monde, cherchant la vérité et la beauté, ou cherchant encore à exprimer par leur inspiration et leur talent ce qui restera toujours ineffable,
ou constatant avec humilité que leur découverte leur révèlent toujours plus des pans gigantesque de leur ignorance (cette science qui leur ouvre sans cesse des horizons nouveaux d’interrogation et, du coup, de contemplation face à la beauté et la complexité de la Création).

Telle est la porte par laquelle Dieu se laisse honorer. Et parfois, c’est le surgissement de contemplation qui surprend l’un ou l’autre de ces hommes assoiffés de Vérité, de Sens et d’Amour. Ils lui expriment la seule attitude possible : la gratitude.

Telle est l’expérience de Blaise Pascal, lors de « la nuit de l’extase » (novembre 1654), que commente un de ses admirateurs (Xavier Patier, Blaise Pascal, La nuit de l’extase, Cerf 2014, p. 23) :
« Toi, le philosophe et le savant, tu as pleuré de joie en te laissant aimer par le Christ, qui n’était pas le Dieu des philosophes et des savants.
N’oublie jamais qu’à une certaine heure tu as, toi le scientifique imbu de sa supériorité, désiré la soumission totale et douce à Jésus.
Tu as, toi le pessimiste, été fasciné par la grandeur de l’âme humaine.
Tu as, toi le sceptique, ressenti une certitude.
Tu as, toi le cérébral, éprouvé un sentiment ».
« Joie, joie, joie, et pleurs de joie ! »

Frères et sœurs, que la Solennité de l’Epiphanie, nous aide
à rechercher,
à apprécier
et à relever cette présence de Dieu
en toute culture, en toute civilisation, en toute religion,
dans leurs activités intellectuelles, artistiques, spirituelles.
Amen

Fête de l’Epiphanie du Seigneur
Lectures bibliques : Isaïe 60, 1-6; Psaume 71; Ephésiens 3, 2-6; Matthieu 2, 1-12

«L'adoration des mages» par Giotto di Bondone. Fresque, réalisée entre 1304 et 1306 | Domaine public
8 janvier 2023 | 09:35
Temps de lecture : env. 4  min.
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