(illustration: Bernadette Lopez/Evangile et peinture)
Homélie

Homélie TV du 1er août 2021 ( Jn 6, 24-35)

Mgr Valerio Lazzeri – Église St-Nicolas-de-Flüe, Lugano

Chers amis,

Nous célébrons un 1er Août très spécial. Cette année encore, en raison de la pandémie, notre rendez-vous pour la Fête nationale n’a pas pu avoir lieu dans le paysage pittoresque du St-Gothard, avec la richesse de ses références géographiques, historiques et culturelles.
Néanmoins, nous avons la joie de pouvoir nous réunir pour l’eucharistie dans cette église de Lugano dédiée à saint Nicolas de Flüe.
Nous ne sommes donc pas dans un lieu privé de références significatives et encourageantes pour notre foi en tant que chrétiens vivant en Suisse.

Enfin et surtout, cette année, la naissance de la patrie tombe sur un dimanche, dans la mémoire hebdomadaire de la Pâque du Seigneur, qui façonne de manière inaliénable la présence et la mission de l’Église dans l’histoire.
Cela ne peut que nous renforcer dans la responsabilité et l’engagement que nous sommes appelés à exercer en tant que chrétiens et en tant que citoyens du pays dans lequel nous vivons.
Sans aucun doute, la situation dramatique dans laquelle nous nous trouvons à cause de la pandémie continue de peser sur nos cœurs, pandémie, dans laquelle l’humanité est plongée depuis plus d’un an. Mais aujourd’hui, nous voulons avant tout écouter la Parole de Dieu. Elle ne cesse de résonner et continue d’être une source de guérison et de régénération de notre voyage dans le désert.

La tentation populaire s’élève quand tout devient difficile

Ce matin, dans la première lecture, c’est le cri de reproche des Israélites envers Moïse pour nous montrer le point sur lequel, en tant qu’individus et en tant que peuple, nous sommes appelés à exercer notre discernement.
Comme toujours, la protestation populaire s’élève au moment où tout devient difficile ! Les épreuves semblent insurmontables !
Les résultats des travaux, entrepris dans l’espoir d’améliorer notre condition, sont décevants. Les cœurs se laissent alors envahir par les récriminations et la nostalgie. Plus encore, ils sont tentés de remettre en question le sens même du voyage commun.

Il avait été entrepris ensemble, mais soudain, il devient seulement l’initiative coupable de quelques-uns : « Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé » (Ex 16, 3).

C’est la tentation permanente de toute communauté humaine surprise et bouleversée par des événements imprévus, qui remettent en cause les points de référence apparemment les plus sûrs.
Nous souffrons, nous nous agitons, nous ne voyons pas d’issue. En fin de compte, la tension est déchargée sur celui qui peut être considéré comme la cause de notre mal-être.
On oublie alors l’implication personnelle de chacun dans l’aventure commune et on gaspille des énergies précieuses dans des comparaisons nostalgiques avec un passé irrécupérable synonyme de bien-être idéalisé : « Nous étions assis près des marmites de viande, nous mangions du pain à satiété » (Ex 16, 3).

Une éducation à la sobriété, au renoncement…

Cependant, l’intervention miséricordieuse du Seigneur intervient au milieu de cette zizanie très dangereuse pour la vie commune. Il ne s’agit pas d’une réponse miraculeuse aux rêves de solutions faciles et définitives, cultivée par ce que saint Paul dans la deuxième lecture, appelle « l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur » (Ep 4,22).
Au contraire, les dons du Seigneur deviennent une éducation à la sobriété, au renoncement à l’avidité et l’accumulation, à un sentiment de gratuité et de confiance : « Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne » (Ex 16, 4).

Nous avons ici une indication précieuse pour notre présent, en regard des moments les plus difficiles que nous avons traversés, toujours marqués par l’incertitude.
La manne qui nous fait vivre nous est donnée, quotidiennement dans un geste attentif et persévérant.
Le choc qui nous est arrivé devrait servir à abandonner définitivement toute prétention à devenir des maîtres absolus, avec nos propres moyens, nos ressources vitales.
Nous ne pouvons plus nous bercer de l’illusion qu’avec nos seules ressources, nous pourrons un jour nous suffire à nous-mêmes et éliminer tout aspect de la vulnérabilité, de la maladie et de la mort.
Jésus, dans l’Évangile, ne laisse aucune place à ce malentendu. Il arrête brusquement ceux qui le cherchent avec l’espoir d’avoir trouvé en lui la possibilité de ne plus avoir à lutter pour vivre.
Ainsi, ceux qui se réfèrent à lui de manière authentique ne peuvent se dispenser de l’exercice exigeant de la compréhension de la réalité, du courage d’affronter les limites et les insuffisances.
Il ne peut y avoir de sécurité totale et définitive pour notre vie dans ce monde. Il ne peut y avoir que des «signes», des invitations à nous libérer de la tyrannie de nos besoins individuels immédiats, en nous rendant attentifs à l’autre, au visage de l’autre, sans laquelle nous ne pouvons pas vraiment vivre.

La vie nourrie par des choix concrets et des attitudes spécifiques

« Ne cherchez pas la nourriture qui ne dure pas, mais la nourriture qui reste pour la vie éternelle, que vous donnera le Fils de l’homme »
(Jn 6, 27). Que personne ne pense à interpréter ces mots dans un sens spiritualiste. Jésus ne demande pas ici un engagement purement religieux. La « vie éternelle » dont parle Jésus n’est pas une vague abstraction concernant l’avenir après la mort.
C’est la vraie vie, celle qui ne se laisse pas totalement déterminer par les conditions spatio-temporelles ; la vie nourrie par des choix concrets et des attitudes spécifiques ; la vie qui nous qualifie comme personnes réellement existantes, en relation mutuelle et fraternelle, pas en négociation perpétuelle avec la mort.
Jésus nous appelle aujourd’hui à cette lucidité sur lui et sur notre existence ! Le passé dans lequel s’enracinent nos racines communes ne peut devenir un prétexte rhétorique pour fermer les yeux sur le présent.

La conscience d’un cadeau à recevoir avec une humble gratitude

Laissons derrière nous les plaintes inutiles sur ceux qui auraient dû mieux faire pour éviter les difficultés que nous connaissons.
Soyons ouverts à ce que chacun d’entre nous, dans notre position et notre rôle, a devant lui comme une possibilité d’être accueilli personnellement et généreusement.
En effet, « ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain descendu du ciel, mais mon Père qui vous donne le pain du ciel, le vrai pain » (Jn 6,32).
C’est la correction à pratiquer : de la mémoire d’un passé qui continue à entretenir la tromperie de l’avidité, à la conscience d’un cadeau à recevoir avec une humble gratitude.
L’actualité permanente du « pain du ciel », que chacun ne peut que recevoir et en aucun cas s’approprier, est, en fait, le seul fondement de toute véritable cohésion sociale, politique, économique et culturelle.

Saint Nicolas de Flüe nous aide, malgré tous les soucis qui peuvent nous assaillir, à ne pas renoncer à cette densité de vie qu’il était capable de rappeler à ses contemporains, à un moment crucial pour le Pacte fédéral, dont nous sommes les héritiers.
Les signes ne manquent pas dans notre histoire pour voir avec clarté, même dans l’obscurité.
Que le Seigneur nous donne la grâce de pouvoir les lire et de croire. Cherchons en lui la nourriture qui dure éternellement : ce bien indestructible, inépuisable, gratuit et surabondant, à recevoir chaque jour et à partager avec tous, en toute liberté et par amour.

Amen.

17e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Exode 16, 1-18; Psaume 144, 10-11, 15-16, 17-18; Éphésiens 4, 1-6; Jean 6, 24-35

(illustration: Bernadette Lopez/Evangile et peinture)
1 août 2021 | 10:38
Temps de lecture: env. 5 min.
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