2 Sion: Entretien avec le cardinal Henri Schwery à l’occasion de ses 25 ans d’épiscopat
1.1.1.1.1.1 APIC Interview
Avant la morale, l’Eglise doit annoncer la Résurrection du Christ
Propos recueillis par l’abbé Paul Martone (*)
Sion, 11 octobre 2002 (APIC) Le cardinal Henri Schwery a fêté cet été ses 25 ans d’épiscopat et ses 45 ans de sacerdoce. Membre depuis 11 ans du collège des cardinaux, Mgr Schwery fait partie des proches collaborateurs du pape Jean Paul II. A l’occasion de son jubilé épiscopal, il jette un regard critique, mais aussi chargé d’espérance, sur l’évolution de la société et de l’Eglise en Suisse.
L’ancien évêque de Sion, qui a fêté ses 70 ans le 14 juin dernier, passe une partie de son temps à Rome, où il est actif à la Congrégation pour les causes des saints. Il participe également aux travaux du Conseil pontifical pour les moyens de communication sociale.
Le cardinal Schwery affirme d’emblée que la première chose que l’Eglise doit annoncer, «c’est la Résurrection du Christ.» L’Eglise, avoue- t-il, a peut-être fait l’erreur, dans un passé récent, de trop prêcher la morale. Or le comportement moral doit découler de la foi.
APIC: Est-ce pour cette raison que l’Eglise aujourd’hui a plutôt mauvaise presse ?
Cardinal Schwery: Nous devons prêcher la foi, l’espérance et la charité. Le comportement moral doit découler de la foi, à commencer par la foi en la Résurrection du Christ. Ensuite, par conséquent, on adhère à l’Eglise et on observe les commandements.
La démarche opposée, le «moralisme» (»faire ceci, éviter cela») est heureusement en train de se corriger. C’était la manière jusqu’au Concile Vatican II. Au temps de ma jeunesse, le 90% des sermons que j’ai entendus concernaient la morale. On nous cite encore, injustement, l’éducation religieuse de nos grands-parents pour justifier cette image caricaturale de l’Eglise.
APIC: Quelles en sont les conséquences ?
Cardinal Schwery: L’une d’elles est précisément cette étiquette moralisatrice de l’Eglise. A tel point que nos interlocuteurs semblent ignorer l’importance primordiale de l’Evangile, du Credo, de la prière, de la vie spirituelle. On ne peut même pas annoncer la Parole de Dieu éclairant l’Amour de l’homme et de la femme créés à Son image, car la question incontournable se limite à »pour ou contre la pilule ? » Nous ne pouvons plus annoncer Jésus-Christ: on nous cantonne, ou nous nous sommes cantonnés, dans un rôle de «moralisateurs». Or, le monde actuel manque cruellement de vertu de «religion». Qui donc s’inquiète de pécher contre le tout premier commandement, de manquer de «relations» avec Dieu ?
APIC: Comment contribuer à une image plus positive de l’Eglise ?
Cardinal Schwery: On doit tout d’abord constater que jamais l’Eglise catholique n’a eu dans le monde un prestige aussi universel qu’aujourd’hui, en grande partie grâce à la figure de Jean Paul II. Certaines images négatives sont des mythes entretenus par des milieux hostiles et dénués de tout fondement objectif. D’autres images relèvent de l’inquisition moderne et de la tendance aux généralisations. Je pense aux scandales, hélas toujours possibles.
Mais un pécheur le sera parce qu’il est homme et non parce qu’il est avocat ou médecin ou curé. Si l’un d’eux mérite des sanctions pénales, il n’y entraîne pas l’ensemble de l’ordre des avocats, ou du corps médical ou du clergé. Et les fautes des individus devraient aussitôt nous inviter à considérer positivement la proportion de leurs semblables qui, dans le même milieu de vie, sont exemplaires et loyaux. Quant au clergé, il n’échappe pas aux mêmes conditions de pécheurs que les autres citoyens, ni aux mêmes conséquences juridiques ou pénales.
APIC: Vous êtes membre du Conseil pontifical des Communications sociales. Comment jugez-vous l’influence des médias ?
Cardinal Schwery: L’influence des médias sur l’opinion publique est trop grande, à mon avis. On rencontre trop souvent des lecteurs qui disent: c’est écrit dans le journal, donc c’est vrai. Nous avions autrefois des journaux imprégnés d’idéaux, politiques notamment, qui avaient des critères de choix assez clairs.
Surtout pour les médias de portée internationale et pour les médias régionaux sous contrôle de «propriétaires anonymes», actuellement les critères concernent la rentabilité, le prix de vente, la diffusion. La tendance est manifeste de ne jamais nager à contre-courant. Par ce qu’on nomme le «droit à l’information» disparaissent malheureusement aussi le respect de la vie privée, la modestie et le temps de vérifier (quitte à ne plus avoir la primeur de la nouvelle), le respect du mystère, le minimum de bienveillance humaine. C’est effrayant. Je signalerai aussi un black-out habituel sur l’invisible, le surnaturel, largement compensé par les superstitions nouvelles et autres astrologies ou modes ésotériques.
APIC: «L’Esprit du Seigneur est notre joie et notre espérance», ainsi s’intitule votre devise. Où percevez-vous, dans l’Eglise aujourd’hui, cette joie et cette espérance ?
Cardinal Schwery: Ma devise contient le titre d’un document de Vatican II: «Gaudium et Spes». Mais dans ce document du Concile, on ne parle pas seulement de joie et d’espérance. L’Eglise veut aussi partager les difficultés et les souffrances du monde. Nous ne devons jamais l’oublier.
J’ai choisi cette devise, parce que force est de constater que la situation de l’Eglise – aujourd’hui comme hier – est très difficile. Il n’est pas facile de nager à contre-courant. Le prophète Ezéchiel écrit que le berger doit être comme le veilleur sur une montagne d’où il peut tout observer et, au besoin, intervenir. Le veilleur (épiscope!) n’a pas davantage de bonnes nouvelles aujourd’hui qu’autrefois.
APIC: Vous êtes critique face à la société contemporaine.
Cardinal Schwery: La société devient de plus en plus païenne. La loi des requins semble dominer le monde économique. Les individus privilégient la raison et le calcul. Dans le contexte religieux, la tolérance semble devenir la vertu fondamentale. On la confond avec la vertu de charité et on est enclin à oublier la vérité. Par exemple, que fait-on de notre dimanche, désacralisé de plus en plus ? S’il n’y a plus de dimanche, on ne fait plus mémoire du Christ ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est VIDE.
APIC: Le monde d’aujourd’hui serait-il donc mauvais ?
Cardinal Schwery: Non, le jugement dernier ne nous appartient pas. Comme prédicateur et pasteur, je dois révéler aux hommes toutes leurs chances. La pastorale de l’Eglise doit concilier deux objectifs: d’une part ne jamais masquer la vérité, ni minimiser les lois divines, moins encore s’ériger en gendarme, et d’autre part être pour les hommes de notre temps un prophète de la Résurrection du Christ, répandre la Bonne Nouvelle avec joie et espérance.
APIC: Le Valais se développe. Comment, dans l’avenir, la foi peut-elle être transmise ?
Cardinal Schwery: Dans notre canton, comme ailleurs, chacun doit se poser la question: comment, en tant que chrétien, puis-je me situer dans mon époque ? La réponse se résume en fait à l’annonce du Christ ressuscité. Une implication parmi d’autres concerne le rôle du chrétien face à la sécularisation de la culture. Paul VI le disait dans «Evangelii Nuntiandi» en 1975 : «La rupture entre Evangile et culture est sans doute le drame de notre époque».
Peut-être serait-il bon que l’Eglise, ses responsables, pasteurs et éducateurs, considèrent davantage que notre âme «habite» un corps. En particulier dans le dernier quart de siècle, notre religion s’est trop alignée sur la raison et pas assez sur les signes visibles et sensibles du surnaturel. Notre société, qu’on dit hédoniste et matérialiste, a donc besoin plus que jamais de situer correctement l’importance du sensible, du visible. La Bible entière est un recueil de «signes». L’Eglise catholique, notamment dans sa liturgie, possède en elle un potentiel énorme. On s’est cru obligé de tout expliquer. On a perdu le sens du mystère et du silence. On a rendu la religion trop cérébrale. On devrait davantage toucher le coeur sans mépriser les cinq sens.
APIC: Des signes d’espérance vous font croire en l’avenir de l’Eglise.
Cardinal Schwery: La présence de Dieu au monde. Et la présence du Christ, dans l’Eucharistie tout d’abord. Des signes d’espérance se multiplient dans des groupements de chrétiens, qui prient et qui s’engagent. Au milieu des hommes, pourtant, ce n’est pas toujours facile de mettre en évidence des signes d’espérance. Je reconnais être actuellement un peu déçu de l’opinion publique et de nos autorités, comme je suis déçu de l’Expo.02 où je ne reconnais pas de signes de fidélité à la culture chrétienne européenne.
Je suis déçu de certains catholiques oeuvrant dans les milieux de la politique, particulièrement au niveau national (p. ex. à propos de la reconnaissance législative de couples homosexuels, face au respect de la vie, pour la libéralisation des drogues, la dépénalisation de l’euthanasie active, etc.). Cependant, des signes d’espérance se multiplient dans des groupements et cercles de chrétiens laïcs, qui prient et qui s’engagent. Ils constituent des feux, des foyers où naissent des étincelles, où s’entretiennent les braises.
La jeunesse, en particulier, me redonne joie et espérance. Lorsqu’on les appelle, les jeunes viennent. J’ai une expérience comme accompagnateur spirituel de nombreux anciens drogués. Ce sont des frères et des soeurs qui ont connu l’enfer et qui ont pu redonner un sens à leur vie.
APIC: Lors de sa visite en Suisse, en 1984, Jean Paul II était une «star» en pleine forme. Aujourd’hui, il apparaît comme un vieillard en mauvaise santé: doit-il s’en aller ou rester?
Cardinal Schwery: Il a été élu pape et doit le rester jusqu’à ce que Dieu le rappelle. Pour moi, c’est une évidence. S’il lui arrivait d’être fatigué au point de ne plus pouvoir travailler, il sera capable de se retirer. Mais tant qu’il a l’esprit aussi clair et des initiatives aussi efficaces, que Dieu nous le garde!
APIC: L’Eglise ne fonctionnerait-elle pas mieux avec un nouveau pape ?
Cardinal Schwery: Je ne le crois pas ! L’Eglise universelle n’a aucune raison de se plaindre de sa gestion. Par ailleurs, dans la société actuelle, il est bon de constater que les personnes âgées et atteintes de décrépitude ont encore une valeur. Je pense à l’initiative parlementaire en Suisse pour la dépénalisation de l’euthanasie active. Mieux que toute théorie, la présence active et le succès pastoral de Jean Paul II démontrent à l’évidence qu’aucun homme ne peut décider si et quand un vieillard ne servirait plus à rien, pour le monde ou pour l’Eglise !
Demandez-le à ceux qui ont pu juger sur place les succès de Jean Paul II dans le monde de la jeunesse, de l’oecuménisme, de la diplomatie, ces deux dernières années ! Le monde entier devrait rendre grâce pour le bonheur de rencontrer en lui un saint parmi nous. Je crois en l’Esprit Saint, donc son successeur sera un très bon pape.
APIC: Vous êtes cardinal depuis 1991. Au fait, qu’est-ce qu’un cardinal?
Cardinal Schwery: Le cardinal est, en principe, un évêque. La raison principale de l’existence des cardinaux est l’élection d’un nouveau pape. Ils sont électeurs jusqu’à 80 ans. Entre deux conclaves, les cardinaux entourent le pape comme collaborateurs, confidents et conseillers. Les cardinaux de la curie, au Vatican, dirigent en son nom les divers dicastères du Saint-Siège. La deuxième catégorie est composée d’archevêques de villes importantes, comme Lyon, Cologne ou Milan, mais ils restent des collaborateurs et des conseillers du pape.
Quant à moi, je ne fais pas partie de la curie, je n’ai plus de diocèse en charge. Ma collaboration avec le Saint Père s’exerce selon son bon vouloir: membre de plusieurs Congrégations et Conseils pontificaux, j’y travaille à domicile ainsi qu’à Rome où je me rends au début de chaque mois. Près de la moitié de mon temps est consacrée au Saint-Siège.
APIC: Vous êtes membre de la Congrégation pour les causes des saints. Quelle est votre tâche au sein de cet organisme ?
Cardinal Schwery: Le parcours d’une béatification débute par une enquête fouillée dans le diocèse où a vécu le candidat. Puis, le dossier est examiné par la Congrégation romaine. Après avoir été reçu positivement par les échelons inférieurs, le dossier parvient à «l’Assemblée plénière de la Congrégation» où siègent les cardinaux membres.
Si l’assemblée plénière des cardinaux vote favorablement, un décret sera alors signé par le pape, désignant le «Serviteur de Dieu» en question digne d’être vénéré. Et, si ce dernier est proposé à la «béatification», il y faut de plus un fait miraculeux. Alors recommencent, dès le départ dans le diocèse et jusqu’à Rome, le même parcours pour démontrer qu’il s’agit d’un événement scientifiquement inexplicable dû à l’intercession du Serviteur de Dieu.
Souvent, je suis rapporteur pour les procédures relatives aux miracles, car mes pairs m’ont reconnu un goût prononcé pour les méthodes scientifiques. Juger de l’héroïcité des vertus me paraît plus difficile que se pencher sur des rapports de médecins, des radiographies, des cahiers cliniques. Il m’est cependant arrivé de me prononcer contre un «miracle» pourtant accueilli favorablement par les sous-commissions (y compris scientifiques) et les cardinaux m’ont suivi. Mais en mon âme et conscience, je devais relever fortement qu’en cette matière, plus que jamais, il y va de la crédibilité de l’Eglise dans le monde actuel. PM/JB
2.1.1.1.1.1.1 Encadré
De bons souvenirs comme évêque de Sion
Mgr Schwery relève de nombreux souvenirs très positifs, comme le lancement, dès son arrivée sur le siège de Sion en 1977, d’une année consacrée aux vocations sacerdotales et religieuses. Si les premières réactions furent sceptiques chez certains et franchement négatives chez d’autres, notamment de la part de quelques théologiens, la population, en revanche, a adopté le projet pastoral avec enthousiasme. L’évêque de Sion rappelle une expérience semblable avec le triennat de la famille, qui a mobilisé la population et le clergé. La construction du séminaire diocésain à Givisiez a été pour lui une expérience des plus positives, «car le séminaire, lieu réservé à la formation des futurs prêtres, est pour l’évêque la prunelle de ses yeux.» MP/JB
2.1.1.2
2.1.1.3 Encadré
2.1.1.3.1 Henri Schwery, le sens de l’obéissance
Le sens de l’obéissance caractérise la personnalité de Mgr Schwery. Quelques jours avant l’annonce officielle de sa nomination comme évêque en juillet 1977, l’abbé H. Schwery est convoqué à Berne par le nonce apostolique, Mgr Ambrogio Marchioni. Qui lui annonce tout de go que Paul VI l’a choisi pour le siège de Sion. «J’étais bouche bée et j’ai pleuré», avoue le prélat valaisan. «J’étais recteur du Collège, j’avais des amis, j’allais très volontiers prendre un apéritif avec eux ou avec des collègues, j’habitais chez mes soeurs. Tout cela n’existera plus, telle fut ma première réaction. Mais comme recteur, j’étais très exigeant aussi bien avec les élèves qu’avec les professeurs, alors je n’avais pas le choix. Au jour de mon ordination sacerdotale j’avais promis obéissance. J’ai donc obéi!» PM/JB
Les illustrations de cette interview sont à commander à l’agence CIRIC, Chemin des Mouettes 4, CP 405, CH-1001 Lausanne. Tél. ++41 21 613 23 83 Fax. ++41 21 613 23 84 E-Mail: ciric@cath.ch
(*) L’abbé Paul Martone est chargé d’information dans la partie germanophone du diocèse de Sion et écrit pour le journal haut-valaisan Walliser Bote (apic/pm/be)




