Série Apic : Les fêtes dans l’année liturgique
15 août : L’Assomption, une fête devenue un dogme
«Dans le ciel nous avons une Mère»
Fribourg, 16 juillet 2014 (Apic) L’Eglise catholique fête le 15 août l’Assomption de la Vierge Marie ou, selon la définition officielle de ce dogme adopté en 1950, le fait que «Marie, l’Immaculée Mère de Dieu toujours Vierge, à la fin du cours de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste». Pour Benoît XVI, «dans le ciel, nous avons une Mère».
Célébrée au moins depuis le VIIe siècle en Orient et en Occident, cette vérité de foi pour les catholiques ne repose sur aucune source tirée des évangiles et encore moins sur une base historique. Mais malgré ses origines plutôt confuses, elle a pour elle le poids d’une tradition quasi unanime aussi bien parmi le peuple de Dieu, que chez les théologiens.
Une histoire de corps
Dans sa constitution apostolique,’Munificentissimus Deus’ qui définit le dogme de l’Assomption le 1er novembre 1950, le pape Pie XII explique de manière très concrète la question fondamentale: «C’est pourquoi il est quasi impossible de considérer Celle qui a conçu le Christ, l’a mis au monde, nourri de son lait, porté dans ses bras et serré sur son sein, séparée de lui, après cette vie terrestre, sinon dans son âme, du moins dans son corps. Puisque notre Rédempteur est le Fils de Marie, il ne pouvait certainement pas, lui qui fut l’observateur de la loi divine le plus parfait, ne pas honorer, avec son Père éternel, sa Mère très aimée. Or, il pouvait la parer d’un si grand honneur qu’il la garderait exempte de la corruption du tombeau. Il faut donc croire que c’est ce qu’il a fait en réalité.» (IV,6)
Pour les historiens du dogme, l’affirmation de Pie XII répond à une question qui a commence à se poser au Ve siècle après le Concile d’Ephèse en 431 qui a défini Marie comme «Théotokos» ou Mère de Dieu en tant que mère corporelle de Jésus, vrai Dieu et vrai homme. Le corps qui avait porté Jésus ne pouvait pas connaître la corruption du tombeau.
Le Nouveau Testament muet sur la mort de Marie
En fait le Nouveau Testament est totalement muet sur la mort et la sépulture de Marie. La Vierge apparaît une dernière fois dans les Actes des Apôtres après la Pentecôte, puis disparaît. Pour pallier cette ignorance, la foi populaire se raccroche aux récits apocryphes des «Transitus Mariae» (passage de Marie) qui font florès dès le VIe siècle. Ces histoires truffées de moult détails merveilleux, racontent la mort, les funérailles et l’enlèvement du corps de Marie au ciel par Jésus et par les anges. Deux traditions s’affrontent, l’une fait mourir Marie à Jérusalem, l’autre à Ephèse où elle aurait suivi l’apôtre Jean.
Marcien, empereur d’Orient de 450 à 457 aurait fait ériger une première église de la Dormition sur le Mont des Oliviers à Jérusalem. Le culte pourrait avoir ainsi été célébré en Palestine dès avant l’an 500. De là, il émigre en Gaule et en Egypte. La date de la fête est fixée au 15 août par l’empereur byzantin Maurice à la fin du VIe siècle. Son expansion n’est cependant pas très rapide à cause du manque de sources scripturaires et de formulation théologique solide. Le pape Théodore, originaire de Constantinople qui règne de 642 à 649, est le premier à célébrer la fête à Rome.
Mahomet monte au ciel sur un char de feu
Parallèlement les théologiens s’emparent aussi de la question. Un des premiers est Jean Damascène (676-749) qui défend clairement l’idée de l’enlèvement de Marie au ciel. Il faut dire qu’à ce même moment se propage la croyance de la montée au ciel du prophète Mahomet sur un char de feu, à partir de Jérusalem.
En 863, le pape Nicolas Ier place la fête de l’Assomption au même rang que Noël et Pâques officialisant ainsi le culte populaire. Mais c’est surtout à partir du XIIe siècle que la doctrine s’élabore de manière plus complète. Les grands théologiens et philosophes du Moyen-Age défendent cette doctrine : Amédée de Lausanne, Bernard de Clairvaux, Antoine de Padoue, Albert le Grand, Thomas d’Aquin, Bonaventure…
Pierre Canisius siffle les protestants
A l’époque de la Réforme, les protestants se font rabrouer par Pierre Canisius : «On ne doit pas supporter d’entendre ceux qui nient que le corps de Marie a été élevé dans le ciel, mais on doit les siffler, à l’occasion, comme des gens trop entêtés, et par ailleurs téméraires, et comme des gens imbus d’un esprit plus hérétique que catholique.»
En 1638 Louis XIII consacre la France à Marie
La fête prend de l’importance en France surtout après la consécration du royaume à la Vierge par le roi Louis XIII en 1638. Le roi, qui après 22 ans de mariage avait enfin pu avoir un fils qui deviendra Louis XIV, fait de l’Assomption une fête nationale et demande que des processions en l’honneur de la Vierge se fassent ce jour-là dans toutes les paroisses. Une tradition qui perdure de nos jours en de nombreux lieux.
Le ›pape des lumières’ Benoît XIV (1740-1758) prend lui position contre la doctrine de l’Assomption qui à ses yeux «n’est pas un article de foi».
Il faut attendre le milieu du XIXe pour que l’Assomption revienne au premier plan. Après la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception en 1854 et les apparitions de Notre-Dame de Lourdes, un vaste courant de piété mariale se répand dans l’Eglise. Les pétitions d’évêques, de prêtres et de laïcs se font toujours plus nombreuses et insistantes à Rome pour demander la proclamation de l’Assomption comme dogme de l’Eglise catholique.
Les évêques disent oui à 90%
Face à ces demandes répétées, le pape Pie XII prend la chose en main. Il envoie en 1946 une lettre à tous les évêques du monde leur posant la question suivante : «Est-ce que vous pensez que l’Assomption corporelle de la Bienheureuse Vierge Marie puisse être proposée et définie comme un dogme de foi ?» Les évêques répondent oui à plus de 90%. Seuls quelques-uns doutent de l’opportunité d’une telle démarche dans une perspective de rapprochement avec les autres confessions. Très rares sont ceux qui remettent en cause le fond. Si bien que le 1er novembre 1950, lors d’une cérémonie grandiose sur la place St-Pierre où se pressent un demi-million de fidèles, Pie XII proclame le dogme de l’Assomption. Depuis la proclamation de l’infaillibilité pontificale par le concile Vatican I en 1870, cette déclaration de Pie XII constitue la seule utilisation de l’infaillibilité papale ex cathedra.
Souligner la dignité du corps humain
Selon son biographe, le Père Peter Gumpel, Pie XII avait deux raisons principales pour faire cette proclamation, à ce moment-là. La première est que le pape tenait à souligner la dignité de la femme et son importance dans la vie de l’Eglise à l’heure où le féminisme émergeait de plus en plus. La deuxième raison, après les horribles crimes du nazisme et du communisme durant la deuxième guerre mondiale, était de souligner la dignité du corps humain face aux thèses matérialistes. Avec la mort tout n’est pas fini. Il y a une résurrection des corps et pas seulement une survie de l’âme. Tel est le message que Pie XII voulait faire passer en faisant une ›exception’ pour Marie.
Un message que Jean Paul II rendra dans une catéchèse en 1997 : «Devant les profanations et l’avilissement auxquels la société moderne soumet souvent, en particulier le corps de la femme, le mystère de l’Assomption proclame le destin surnaturel et la dignité de tout corps humain, appelé par le Seigneur à devenir un instrument de sainteté et à participer à sa gloire.»
Le pape théologien Benoît XVI, dans une homélie de 2005 se fait lui plus intime : «Dans le ciel nous avons une Mère. Le ciel s’est ouvert, le ciel a un cœur».
La Saint Napoléon
La célébration du 15 août, instaurée comme fête nationale par le roi Louis XIII a survécu en France sous la période Napoléonienne pour une raison assez curieuse. Napoléon Bonaparte était en effet né le 15 août 1769. Par un décret du 19 février 1806, il fit du 15 août la saint Napoléon en l’honneur de Neopolis un martyr du IVe siècle à l’existence douteuse. C’est ainsi que la fête nationale continua à être célébré le 15 août sous le double patronage de l’Assomption et de saint Napoléon. Après la chute de l’empereur, la saint Napoléon tomba évidement en disgrâce mais le 15 août resta fête nationale jusqu’en 1870. Après la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, l’Assomption resta un jour férié en France comme elle l’est en Suisse (cantons catholiques) en Italie, en Espagne, au Portugal, en Belgique, au Luxembourg, en Bavière, en Grèce au Liban, et en Corée du Sud notamment.
L’abbaye de la Dormition de Jérusalem
L’abbaye bénédictine de la Dormition sur le Mont Sion, à Jérusalem est érigée sur le lieu même ou selon la tradition la Vierge Marie serait morte puis enlevée au ciel. Accolée au rempart de la vieille-ville, l’abbaye se situe non loin du Cénacle.
C’est l’empereur allemand Guillaume II qui acheta au sultan Abdul-Hamid un terrain sur le mont Sion en 1898. L’architecte du diocèse de Cologne, Heinrich Renard (1868-1928) se rendit à Jérusalem l’année suivante. Il fouilla le terrain et découvrit des vestiges de la ›Hagia Sion’ byzantine ainsi que d’autres églises.
La première pierre de la basilique fut posée le 7 octobre 1900. En dix ans, la construction de était achevée.L’église de la Dormition est une rotonde comportant plusieurs niches, inspirée de la cathédrale carolingienne d’Aix-la-Chapelle. Par deux escaliers en colimaçon, on arrive à la crypte où Marie serait morte. La Vierge y est représentée par un gisant déposé sur un sarcophage.
L’Assomption dans l’art
L’enlèvement au ciel de la Vierge Marie est un des thèmes les plus fréquents de l’art chrétien dans toutes les régions à toutes les époques. Les églises dédiées à l’Assomption sont innombrables des imposantes cathédrales au plus humbles chapelles de campagne. L’iconographie est souvent directement influencée par les récits apocryphes. Marie est la plupart du temps emportée au ciel dans une nuée entourée d’une cohorte d’anges.
Processions et festivités
Dans de nombreuses villes, notamment en France, comme Paris, Lyon ou Marseille, la fête de l’Assomption est toujours célébrée par des processions. La statue de la Vierge est transportée à travers la ville sur les épaules de porteurs. Dans des villes portuaires comme Nice, la statue de la Vierge prend la mer sur un bateau de pêche. Les festivités s’accompagnent de bénédictions de la mer et des bateaux car Marie est aussi la patronne des marins.
La proclamation du dogme le 1er novembre 1950
Dans une Europe a peine sortie de la guerre, la proclamation du dogme de l’Assomption fut une des manifestations les plus grandioses de l’année 1950. Elle clôt l’Année Sainte. Selon le Père Peter Gumpel, le temps des jours précédents le 1er novembre avait été très mauvais et les organisateurs craignaient le pire pour le jour de la Toussaint pour le demi million de fidèles qui se pressaient à Rome car il était impossible d’organiser la cérémonie à l’intérieur de la basilique St-Pierre. Mais le pape Pie XII était confiant. «Il a dit à la Vierge dans sa prière personnelle : j’ai fait tout mon possible pour vous donner tout l’honneur que vous méritez, mais le temps doit être stable, alors faites maintenant votre part». Et le 1er novembre fut une «matinée lumineuse, d’une insolite et mystérieuse splendeur», toujours selon les mots de Pie XII. La cérémonie donne lieu à un reportage d’une dizaine de minutes aux actualités cinématographiques italiennes (visible sous www.youtube.com/watch?v=4NRtx6mB2pQ#t=17
38 cardinaux, plus de 600 évêques et quelque 600’000 fidèles assistèrent à la célébration. Pie XII traversa la foule sur la ›sedia gestatoria’ sa chaise à porteurs surmontée d’un dais. Après la proclamation du dogme, Pie XII s’adresse spécialement à «vous, les pauvres, les malades, les réfugiés, les prisonniers, les persécutés, les bras et les jambes sans travail, les sans-abri, les souffrants de tous genre et de tous les pays; vous qui résidez là où la terre ne semble donner que des larmes et de privations, […] Levez les yeux vers elle, qui avant vous a marché sur les voies de la pauvreté, du mépris, de l’exil, de la douleur, dont l’âme a été transpercée par une épée au pied de la Croix, et qui maintenant regarde sans hésiter la lumière éternelle. »