Rome:Visite historique des présidentes de l’Argentine et du Chili au Vatican
25 ans après la fin du conflit du canal de Beagle
Rome, 29 novembre 2009 (Apic) Les présidentes de l’Argentine Cristina Kirchner et du Chili Michelle Bachelet se sont rendues ensemble au Vatican le 28 novembre 2009, pour marquer le 25e anniversaire du «traité de paix et d’amitié» signé par leurs pays dans le petit Etat pour mettre fin au conflit frontalier du canal de Beagle, à l’extrême sud du continent américain. Lors de cette visite riche en symboles, les deux femmes ont été reçues l’une après l’autre par Benoît XVI, avant de participer à une rencontre publique dans la Salle Clémentine et de découvrir, au cœur des Jardins du Vatican, une plaque commémorant l’intervention salutaire de Jean Paul II.
Cristina Fernandez de Kirchner et Michelle Bachelet Jeria se sont ainsi retrouvées à Rome pour une visite inédite au Vatican dans la matinée du 28 novembre. Symboliquement, avant de pénétrer dans le petit Etat, les deux femmes ont quitté leurs voitures respectives pour se retrouver dans le même véhicule, immatriculé au Vatican et décoré des fanions de l’Argentine et du Chili, pour rejoindre la Cour Saint-Damase.
Un exemple d’entente
Au deuxième étage du Palais Apostolique, Benoît XVI a commencé par recevoir le chef de l’Etat Argentin, tailleur et chapeau noirs, tandis que son homologue chilienne s’entretenait avec le cardinal Secrétaire d’Etat Tarcisio Bertone et le secrétaire pour les relations avec les Etats, Mgr Dominique Mamberti, dans une salle voisine. Michelle Bachelet, elle aussi vêtue de noir, a été reçue à son tour par le pape. Au même moment, Cristina Kirchner rencontrait les autorités de la Secrétairerie d’Etat. Chacun des deux chefs d’Etat a eu droit à une vingtaine de minutes d’entretien privé avec le pape.
Un communiqué du Bureau de presse du Saint-Siège publié peu après a informé du contenu de ces «entretiens cordiaux», sans préciser s’il concernait davantage l’un ou l’autre des pays. Ainsi, les différentes parties ont évoqué «avec gratitude le travail de médiation méritoire» accompli par Jean Paul II, mais aussi par le cardinal Antonio Samoré. «Par la voie du dialogue, ces derniers ont aidé les deux pays à dissiper un conflit territorial qui durait depuis plusieurs années», a souligné le communiqué. Il a aussi été particulièrement question, lors de ces échanges, de «l’entente» entre l’Argentine et le Chili au cours des 25 dernières années, qui a apporté «des fruits concrets de bien et de prospérité à deux peuples frères». Cette entente reste un «exemple et un modèle pour les pays d’Amérique latine et pour la communauté internationale», a ajouté le communiqué.
Après les deux audiences privées, Cristina Kirchner et Michelle Bachelet se sont retrouvées dans la Salle Clémentine, où leurs délégations avaient pris place quelques minutes plus tôt, pour écouter le discours de Benoît XVI.
Contre la «barbarie de la guerre»
S’exprimant en espagnol, le pape a considéré le traité de paix de 1984 comme «un exemple lumineux de la force de l’esprit humain et de la volonté face à la barbarie et à l’absurdité de la violence et de la guerre comme moyen de résolution des différends». Benoît XVI s’est alors appuyé sur le message radiophonique prononcé par Pie XII (1939-1958) le 24 août 1939, à la veille de la Seconde guerre mondiale : «rien n’est perdu avec la paix ; tout peut l’être avec la guerre».
«C’est pourquoi, a poursuivi le souverain pontife, il faut persévérer à chaque moment avec une ferme volonté (…) pour chercher à résoudre les différends avec une vraie volonté de dialogue et d’accord, par des négociations patientes et des compromis nécessaires, en tenant toujours compte des exigences et des intérêts légitimes de chacun».
Dans son discours, Benoît XVI a ensuite rendu hommage à Jean Paul II et à «son travail inlassable en tant que messager et faiseur de paix», précisant que «l’intervention pontificale a été une réponse à une demande exprimée par les conférences épiscopales chiliennes et argentines». Et de souligner leur engagement actif, en collaboration avec les gouvernements et les délégations diplomatiques, pour «répondre à la soif de paix profonde des populations».
De manière plus générale, Benoît XVI a expliqué que la paix s’obtient par «la promotion d’une culture authentique de la vie, qui respecte la dignité de l’être humain dans sa plénitude, ainsi que du renforcement de la famille comme cellule fondamentale de la société».
Aux yeux du souverain pontife, la paix demande aussi «la lutte contre la pauvreté et la corruption, l’accès à une éducation de qualité pour tous, une croissance économique solidaire, la consolidation de la démocratie et l’éradication de la violence et de l’exploitation (…) des femmes et des enfants».
Devant la tombe de Jean-Paul II
Le discours du pape a été suivi du traditionnel échange de cadeaux. Michelle Bachelet et Cristina Kirchner ont offert au souverain pontife un bas-relief en cuivre du Chili commémorant la signature du traité de paix de 1984, avec une représentation des visages de Jean Paul II et de Benoît XVI. Le pape leur a offert une médaille de son pontificat.
Puis, Benoît XVI a salué la dizaine de hauts prélats présents à la cérémonie, dont le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, et son prédécesseur le cardinal Angelo Sodano, qui avait participé aux négociations entre les deux Etats. On notait aussi la présence du cardinal chilien Francisco Javier Errázuriz Ossa, archevêque de Santiago du Chili. En revanche, le cardinal argentin Jorge Maria Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, très critique envers la politique sociale de son pays, était absent. Cristina Kirchner, puis Michelle Bachelet, ont ensuite présenté leurs délégations au souverain pontife.
Après avoir pris congé du pape, les deux femmes se sont rendues dans la crypte de la basilique Saint-Pierre, accompagnées par le cardinal Angelo Comastri, vicaire général de la Cité du Vatican. Après un temps de prière marqué par une brève allocution du haut prélat, Cristina Kirchner et Michelle Bachelet ont déposé une couronne de fleurs sur la tombe de Jean-Paul II et se sont recueillies quelques instants. Dans ce moment très solennel, les deux présidentes ont manifesté une grande complicité.
Autre temps fort de cette visite conjointe, la cérémonie qui s’est déroulée peu après dans la Casina Pie IV, petit édifice des jardins du Vatican abritant le siège de l’Académie pontificale des sciences. Les deux femmes y ont dévoilé une plaque commémorant le 25e anniversaire de la signature du traité de paix et d’amitié.
Médiation pontificale
En 1978, le désaccord territorial dit «du canal de Beagle» (extrême sud de l’Amérique latine), faillit provoquer une guerre entre l’Argentine et le Chili. En décembre 1978, alors qu’un conflit armé était sur le point d’éclater, Jean-Paul II, nouvellement élu pape, avait proposé une médiation pontificale aux deux chefs d’Etat, envoyant sur place un représentant spécial, le cardinal Antonio Samoré. Cette intervention entraîna immédiatement une désescalade militaire.
Le cardinal Samoré fut remplacé à sa mort, en 1983, par le cardinal Agostino Casaroli. Après plusieurs années de négociations, c’est le 23 janvier 1984 que les ministres des Affaires étrangères du Chili et de l’Argentine se retrouvèrent au Vatican pour signer, devant le secrétaire d’Etat, le cardinal Casaroli, une «déclaration commune de paix et d’amitié».
Un autre ancien secrétaire d’Etat du Saint-Siège est lié à ces négociations, le cardinal Angelo Sodano. Nommé évêque par Paul VI (1963-1978) en novembre 1977, puis nonce apostolique au Chili, du temps du général Pinochet, Mgr Angelo Sodano travailla notamment comme médiateur pontifical entre le Chili et l’Argentine. (apic/imedia/cp/js)