Des policiers interviennent au milieu de l'avenue de Morges (quartier de Prelaz) lors de la deuxième nuit d'émeutes qui fait suite la mort d'un jeune de 17 ans qui fuyait un contrôle de police en scooter | © Keystone/Cyril Zingaro
Suisse

Abbé Boniface Bucyana: «Prélaz, ce n’est pas le Bronx!»

Depuis le 25 août 2025, les projecteurs sont braqués sur le quartier lausannois de Prélaz (VD). La mort accidentelle d’un de ses jeunes alors qu’il était poursuivi par la police a déjà déclenché deux soirées d’émeutes. Faut-il y voir une marque spécifique de ce quartier interculturel densément peuplé? L’avis de l’abbé Boniface Bucyana, curé modérateur de l’UP Prilly-Prélaz.

Marvin, 17 ans, est décédé à Lausanne dans la nuit du 24 au 25 août 2025. Poursuivi par la police alors qu’il conduisait un scooter volé, il a heurté un mur. Cette mort violente, survenue au moment même où l’affaire du racisme systémique au sein de la police lausannoise éclatait au grand jour, a beaucoup choqué. D’autant plus que, deux mois plus tôt, une adolescente de 14 ans a perdu la vie dans des circonstances similaires.

Deux nuits d’émeutes en ont suivi dans le quartier de Prélaz où vivait le jeune. Un quartier qui s’est hautement densifié ces dernières années, connu aussi pour sa grande mixité culturelle et ethnique et où le trafic de stupéfiant se développe. De là à l’assimiler au terme connoté de ›banlieue à la française’, il n’y a qu’un pas. Un pas un peu trop vite franchi pour l’abbé Boniface Bucyana, interrogé par cath.ch.

L’abbé Boniface Bucyana | © B. Bucyana

Curé modérateur de l’UP Prilly-Prélaz depuis 2011, le prêtre rwandais (donc suisse++, comme beaucoup d’habitants du coin, aime-t-il à dire!) connaît très bien le quartier. Pour lui, les deux dernières nuits d’émeutes qui s’y sont produites ne sont en rien une signature de la zone.

«Prélaz, ce n’est pas le Bronx! Ces émeutes auraient pu se passer dans n’importe quel autre quartier de Lausanne après un événement similaire!  Les jeunes, et même les adultes, sont ici en état de choc. La mort de leur camarade de 17 ans les bouleverse. Leur réaction, je crois, est épidermique et spontanée.»

Une cohabitation réussie

Ancien quartier ouvrier, Prélaz est aujourd’hui principalement habité par une population de classe moyenne inférieure, avec une forte présence étrangère. Mais il ne faut voir là, insiste le curé modérateur, aucun lien de cause à effet avec les événements récents. «Prélaz, c’est un microcosme positif du monde, un exemple de cohabitation réussie, assure-t-il. Des gens de toutes nationalités et cultures vivent ici, mais sans se rassembler dans des zones particulières, sans esprit de ghetto.»

Ce schéma, on le retrouve dans la vie paroissiale du quartier, témoigne-t-il, et dans la composition même de l’équipe pastorale, avec ses prêtres et agents pastoraux de diverses origines, rwandaise, française, italienne, polonaise et… suisse.

L’UP Prilly-Prélaz a ainsi mis en place une pastorale interculturelle, pour développer les échanges entre les différentes communautés présentes sur son territoire. «Tous les deux mois, par exemple, une de nos communautés étrangères – érythréenne, vietnamienne, camerounaise, italienne, latino – se charge de la messe dominicale, avec des chants dans sa langue, et organise ensuite un repas typique de chez elle. Cela permet aux paroissiens de se découvrir, de voyager sans acheter de ticket de transport», plaisante-il.

Un esprit solidaire

L’église St-Joseph, quartier de Prélaz, Lausanne | © cath.ch

Pour l’abbé Boniface Bucyana, les habitants de cette région de l’ouest lausannois ont développé un grand sens de la solidarité et font preuve de générosité, malgré parfois de faibles moyens. Il en veut pour preuve le succès des opérations, organisées ponctuellement par sa paroisse, de récolte de denrées et de produits d’hygiène.

 «Les gens qui viennent chercher nos cartons vivent dans notre UP mais aussi dans des paroisses voisines. Ils ont de la fierté et ne s’adressent pas toujours aux services sociaux, par peur aussi parfois d’être fichés. Ils préfèrent avoir affaire aux Églises. Nos cartons ne sont que des petits gestes de solidarité, mais ils permettent à ces personnes démunies de se sentir moins seules.»

Une densification peu gérée

Deux autres évolutions du quartier sont plus problématiques à ses yeux: la densification du quartier et le déploiement du trafic de stupéfiants. «On dirait que le centre-ville de Lausanne et la Riponne se sont délocalisés ici!» lance-t-il. Et avec les quatre tours qui se construisent à ses portes, à Malley, le changement environnemental va être encore plus prononcé. Or, pour l’abbé Bucyana, cette nouvelle réalité n’a pas été suivie de mesures suffisamment réfléchies.

«C’était un quartier calme, et globalement cela le reste encore. Il y avait bien quelques dealers et j’en connaissais certains. Mais aujourd’hui on parle de trafic de plus grande envergure, entre les mains de personnes externes au quartier.» Un trafic qui se concentrerait spécialement du côté de la rue de Genève, connu anciennement pour être un lieu actif de la prostitution.

Cette réalité est préoccupante, d’autant plus que «beaucoup de jeunes, d’enfants vivent ici, signale-t-il, car leurs familles viennent de parties du monde où la natalité est plus soutenue. Ces jeunes ont besoin d’encadrement, mais cela ne sert à rien de les stigmatiser, ni eux ni leurs parents. Il faut plutôt les aider à trouver des solutions éducatives.»

«Ces jeunes ont besoin d’encadrement, mais cela ne sert à rien de les stigmatiser.»

Pour une pastorale de la rue

Pour le curé modérateur de cette UP de l’est Lausannois, il est temps pour toutes les autorités locales, civiles et religieuses, de travailler en synergie. De créer une «plateforme» commune de réflexion et de coordination, avec des représentants des autorités politiques, des deux mosquées, des évangéliques, des réformés et des catholiques.

Il est urgent, soutient-il encore, de développer une pastorale de la rue. Par exemple en investissant les centres sportifs ou les rues où ces jeunes se rassemblent souvent. «Ils sont en recherche et il nous faut aller vers eux.» Une journaliste du Blick, envoyée à Prélaz à la suite de la mort de Marvin, a rapporté qu’un jeune du quartier lui avait demandé s’il y avait une vie après la mort. «C’est très significatif…» (cath.ch/lb)

Des policiers interviennent au milieu de l'avenue de Morges (quartier de Prelaz) lors de la deuxième nuit d'émeutes qui fait suite la mort d'un jeune de 17 ans qui fuyait un contrôle de police en scooter | © Keystone/Cyril Zingaro
27 août 2025 | 13:35
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 4  min.
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