Abus dans l’Église, les autorités politiques pas toujours 'blanches'
Une table ronde a été organisée le 12 juin 2025 à Sarnen, dans le canton d’Obwald, sur la question du traitement des abus en Église par les autorités civiles du canton. Il en ressort que celles-ci aussi ont étouffé des affaires et continuent même à mal gérer ces plaintes.
par Regula Pfeifer, kath.ch, traduction et adaptation Lucienne Bittar
Il y a un peu plus d’un an, une jeune femme a déposé une plainte pour abus commis par un prêtre encore en vie, mais la procédure a été classée sans que l’auteur présumé des faits ne soit interrogé. Ce témoignage a été rapporté par Vreni Peterer, présidente de l’IG-M!kU, l’organisation de personnes concernées par les abus dans l’Église, lors de la table ronde organisée à Sarnen sur le thème L’Église, lieu de crime: poursuite pénale étatique et abus sexuels dans l’Église catholique depuis 1950.
Outre la représentante des victimes d’abus, membre du comité de la Conférence des évêques suisses «Abus dans le contexte ecclésial», les autres participants à la table ronde étaient Bernhard Willi, vicaire général pour la région diocésaine de la Suisse primitive, l’historien Lucas Federer, qui a apporté de nouveaux éléments issus de l’étude en cours de l’Université de Zurich sur les abus dans l’Eglise, et Stefan Keller, avocat et président de la Cour suprême du canton d’Obwald. Les échanges ont été modérés par Michele Luminati, directeur de l’Institut obwaldien de recherche sur la justice à Sarnen.
Des condamnations pénales quand les cas sont flagrants
«Les prêtres et les religieux catholiques n’étaient pas totalement intouchables», a déclaré Lucas Federer dans son exposé. Selon les recherches menées par les chercheurs de l’Université de Zurich, des condamnations judiciaires d’ecclésiastiques fautifs ont en effet eu lieu dès les années 1950, y compris dans les cantons catholiques. Notamment en cas d’actes graves, lors d’un nombre important de victimes ou d’une absence particulière de scrupules de la part de l’auteur. Ou encore lorsque «des circonstances extérieures» ont rendu les faits publics…
Les chercheurs ont découvert dans les archives de l’État de Suisse centrale «un nombre étonnamment élevé de jugements pour ›fornication d’enfants’ , ›fornication contre nature’ et autres délits similaires», a expliqué l’historien. De 1950 à 1970, 25 condamnations ont été prononcées contre des prêtres ou des religieux. En novembre 1965, la Cour suprême d’Obwald a ainsi condamné un frère du monastère d’Engelberg à 15 mois de prison ferme, une peine «relativement élevée par rapport à d’autres cas». Le religieux avait admis avoir commis une centaine d’abus en deux ans et demi sur un employé.
Un schéma similaire à celui appliqué à l’époque par l’Église
Cependant, relève l’historien, il y a eu, en général, dans les cas présumés d’abus commis par des prêtres et des religieux, «beaucoup d’obstacles sur le chemin d’une condamnation». Dans de nombreux cas, il n’y a jamais eu de jugement par un tribunal. L’Église, la hiérarchie ecclésiastique, n’a donc pas été la seule à étouffer des cas présumés d’abus sexuels, à retarder ou à empêcher des enquêtes, à régler des cas en interne.

Et de donner pour exemple un cas survenu au collège de Sarnen, vers 1970. Des rumeurs circulaient selon lesquelles un prêtre, préfet au collège, embrassait et prenait dans ses bras des élèves. Le père d’un garçon s’est adressé au directeur de l’éducation du canton d’Obwald à ce sujet. Au final, aucune procédure pénale n’a été engagée. Le prêtre a été retiré de son poste de préfet en 1971 mais il a enseigné à l’école jusqu’en 1974, date à laquelle il a été transféré dans une paroisse.
Pour le juriste Stefan Keller, ce mauvais traitement judiciaire s’explique en partie, dans le canton d’Obwald, par l’exiguïté de la région: «On se connaît.» Aujourd’hui encore, cela encore reste un défi pour le Ministère public. L’avocat souligne un dysfonctionnement du côté de la population civil : «On se met par exemple en garde mutuellement contre des prêtres ou des religieux abusifs, mais sans nécessairement poser plainte.»
Le vicaire général Willi a souligné pour sa part le rôle éminent du prêtre dans la communauté villageoise de l’époque: «Il était presque un roi de village.» (cath.ch/kath.ch/rp/lb)